Thierry CROUZET

Qu’est-ce que l’interdépendance

Je parle de plus en plus osuvent d’interdépendance mais je n’ai pas défini l’interdépendance. Je ne l’ai pas fait parce que je crois qu’il est impossible de définir avec précision ce dont on parle.

Comme l’a montré Wittgenstein, toute définition se dissout sur ses frontières. Il suffit pour se comprendre d’avoir une idée du cœur de la chose. Ainsi nous nous comprenons lorsque nous parlons de la conscience alors que personne n’a jamais réussi à définir la conscience. Même la vie n’a jamais été définie de façon satisfaisante. On peut toutefois essayer de donner des exemples pour préciser l’image de la chose dont on parle. Alors c’est quoi l’interdépendance ?

Les cyanobactéries qui libérèrent l’oxygène dans l’atmosphère exterminèrent la quasi-totalité des autres organismes qui existaient avant elles. Depuis l’origine de la vie sur Terre, tous les organismes sont interdépendants. La vie des uns influence la vie des autres. Personne ne peut vivre en vase clos. Nous appartenons tous à un réseau hypercomplexe du type de celui de la chaîne alimentaire dans l’Atlantique nord. Il suffit de regarder ce réseau pour comprendre la notion d’interdépendance. Dès que nous respirons, dès que nous mangeons, nous prenons part à ce réseau.

Mais pourquoi l’interdépendance deviendrait-elle déterminante aujourd’hui ? Elle a toujours existé, c’est vrai. Elle a simplement franchi un nouveau seuil de complexité. Une maladie apparue en Chine peut dorénavant se propager à la planète en quelques jours. Par le passé, il fallait des années. Certains continents n’étaient même jamais touchés. Cette époque d’isolement n’existe plus. Les frontières sont perméables aux influences.

Durant la révolution industrielle, les pollutions restaient locales. Aujourd’hui, elles sont globales. C’est une nouvelle cause d’interdépendance. Lorsque nous travaillons, lorsque nous consommons, il est impossible de le faire uniquement en local. Nous utilisons des outils fabriqués en Chine, nous regardons des films tournés en Amérique, nous partons en voyage en Afrique. Il est impossible de s’opposer à cet état de fait. Même si quelqu’un veut s’isoler, il ne le peut pas car il vit à proximité de gens qui eux ne sont pas isolés. Même un ermite subit les pollutions générées à l’autre bout du monde.

Nos santés sont interdépendantes, nos sources d’approvisionnements, nos loisirs… L’interdépendance n’est pas une croyance mais un fait observable. Les politiques doivent tenir compte de cette contrainte. En ne le faisant pas, ils nous mettent en danger.

L’interdépendance implique que tous les problèmes sont liés, qu’il faut les aborder tous en même temps. Ça paraît fou et pourtant il y a une solution : nous devons nous adapter à l’augmentation de l’interdépendance. C’est ce qu’ont toujours fait les organismes vivants. Et nous adapter vite. Cela signifie changer nos habitudes, essayer de penser différemment. Nous détenons tous une part de la solution.

La biosphère fait face aujourd’hui à une série de problèmes globaux : réchauffement climatique, risque de surpopulation, pollution, pauvreté… (la biosphère a toujours des problèmes à résoudre). En s’appuyant sur leur bon sens, les politiques préconisent presque systématiquement des solutions globales à ces problèmes globaux. Mais le bon sens est parfois trompeur. Si on ne l’avait pas remis en cause, la Terre serait pour nous encore plate.

Force est de constater que les approches globales n’apportent pas vraiment de solution. Le réchauffement climatique se poursuit malgré Kyoto, les hommes continuent de s’entretuer malgré l’ONU, le FMI n’empêche pas les crises économiques… Ces solutions globales particulières ne sont pas mauvaises en elles-mêmes.

Le problème n’est pas là : toute solution globale est mauvaise dans un monde interdépendant. Il faut abandonner l’approche globale au profit de l’approche locale. Les problèmes globaux seront solutionnés par des millions de solutions locales.

Pour éviter le réchauffement climatique, certains disent qu’il faut construire des écocités partout dans les campagnes. C’est l’exemple type d’une solution particulière qui devrait être appliquée globalement sans que nous ayons la moindre preuve de son efficacité. Il faut faire le contraire. Essayer diverses solutions localement, les comparer, les mettre à l’épreuve. Tout cela peut paraître abstrait mais c’est en fait concret.

Je vais installer chez moi une chaudière solaire et des panneaux photovoltaïques. C’est une action locale. Chaque fois que des gens viendront chez moi, je leur montrerai mon installation. Ils auront peut-être envie de m’imiter. Nous n’avons pas besoin d’attendre que l’État nous ordonne de passer au solaire globalement, nous pouvons le faire maintenant. Peu importe, si ça nous coûte. Agir, ça coûte toujours.

Si vous croyez que les villes écologiques sont une bonne chose, commencez par construire une maison bio. La ville bio viendra après si votre initiative porte ses fruits. Nous nous devons d’agir ici et maintenant, d’essayer, de voir ce qui marche, de le dire quand ça marche. Il faut être pragmatique.

La plupart des gens que je rencontre reconnaissent notre interdépendance mais peu ont envie d’assumer la responsabilité qui en découle. C’est un peu comme avec la liberté : se dire libre, c’est s’affirmer responsable. Cette analogie entre interdépendance et liberté n’est pas fortuite. Les deux notions sont intimement liées. L’interdépendance engendre des problèmes qui ne seront solutionnés que par des hommes libres car seuls des hommes libres auront le courage de chercher des solutions à des millions de problèmes locaux pour, in fine, régler les problèmes globaux. Nous devons agir immédiatement, chacun de notre côté, pas seul, mais avec l’aide des gens qui nous entourent, avec l’aide des gens avec lesquels nous sommes connectés.

La situation est grave, nous n’avons pas le temps d’attendre que l’État providence se réveille. Nous devons investir dans l’avenir chacun avec nos moyens. Si l’espèce humaine perturbe la biosphère, c’est avant tout parce que chacun de nous est un pollueur. Nous sommes responsables.

L’État est irresponsable car il ne veut pas s’appuyer sur notre responsabilité. Il veut nous en déposséder en proposant une poignée de solutions particulières, pour ne pas dire partisanes, à des problèmes globaux. Nous ne devons pas l’imiter. L’État doit changer de rôle.

jcm @ 2006-07-12 15:24:57

Croyant que ce texte était de Nico (http://www.nuesblog.com/?179/Qu-est-ce-que-l-interdependance) je lui avais laissé un commentaire.

A tout seigneur tout honneur , levoici :

Largement d’accord avec ta vision de l’interdépendance, Nico, mais ta vision sur les effets des approches globales dont l’efficacité pourrait s’avérer inférieure à des dynamiques locales ne me convainc pas.

Il faudrait d’abord démontrer que, dans un temps donné, le différentiel entre approche globale et approche locale aurait, sur le plan théorique, de bonnes raisons de montrer des différences significatives.

Quel serait le principal ressort de cette approche locale ?

Le volontarisme personnel, que tu imagines contagieux et peut l’être dans certaines limites, sera ce ressort et il agira de loin en loin par la propagation d’un exemple concret, que tu illustres par ton installation de chaudière solaire.

Mais ce même volontarisme personnel est également un des ressorts des solutions globales qui pourraient être adoptées, car elle le sont en partie sous la pression conjuguée d’un très grand nombre de volontés - ou d’intentions - personnelles exprimées par une voie différente de celle de l’exemple : une des forces motrices à ces solutions globales est "l’opinion publique", une autre est la "volonté politique" qui, elle même, trouve un moteur dans "l’opinion publique", un autre moteur étant la volonté propre aux décisionnaires en politique.

Et l’on constate que dans différents domaines de profondes différences peuvent exister entre la volonté propre des politiques et l’opinion publique (OGM, nucléaire...).

Des phénomènes extérieurs peuvent créer la différence d’efficacité des deux approches : leur coût et leur niveau de nécessité.

Le coût affecte directement la possibilité de chacun, quelle que soit son opinion, sa conviction, d’agir localement et de produire un exemple.

Ainsi serons-nous nombreux à ne pas souhaiter acheter de fioul pour nous chauffer l’hiver prochain mais à en acheter malgré tout parce-que nous n’aurons pas les moyens, notamment financiers, d’investir dans un autre mode de chauffage.

Mais l’influence du coût existe aussi pour ce qui concerne les approches globales.

Il y aura donc de la part de chacun dans l’action locale l’influence de la conviction, du point de vue de la nécessité, et celle de la dépense à consentir.

Que survienne un événement "catastrophique" susceptible de déclencher un sentiment de nécessité fort et plus largement partagé ne changera rien aux disponibilités financières de chacun (ou, au surplus, aura peu de chances de les augmenter) et les possibilités d’actions locales ne s’en trouveront pas très largement accrues du côté des "convaincus", mais leur effectif pourrait se trouver accru du fait de cet événement.

Par contre cet événement catastrophique pourrait bien être l’occasion que soient prises des décisions au niveau global qui auraient un impact fort et rapide.

Pour établir un parallèle repensons au tsunami dans l’Océan Indien, qui a conduit à la décision d’installer un réseau de détection, qui est un élément de solution globale.

Ce parallèle nous amène aussi à considérer que certains problèmes sont assez peu susceptibles de recevoir une solution qui serait faite d’une somme de petites initiatives individuelles et locales, ce réseau de détection ne pouvant être la résultante d’une multitude de bricolages individuels sur un coin de plage.

Tu écris : "Force est de constater que les approches globales n’apportent pas vraiment de solution."

(puis "...le FMI n’empêche pas les crises économiques..." : on pourrait même l’accuser d’en avoir créé un certain nombre, mais c’est un autre problème ! )

Mais ces solutions ne peuvent se manifester massivement d’un coup, car il faut des temps de gestation, des convictions largement répandues, puissantes, des moyens... pour que les changements se manifestent massivement, quelle que soit la voie qu’ils empruntent.

Je pense que, locale ou globale, ces approches doivent être mises en oeuvre en parallèle, que l’existence de l’une ne donne aucun motif à critiquer ni rejeter l’autre, quelle que soit leur efficacité supposée à un moment donné car il n’y a aucun moyen fiable à notre disposition pour démontrer que l’une serait, dans tous les cas de figure, plus efficace que l’autre.

Il n’y a donc refuge sûr ni dans un "tout global" ni dans un "tout local", ce qui signifie que ces deux approches sont probablement aussi indispensables l’une que l’autre et doivent être également soutenues.

J’ajouterais qu’elles sont elles-mêmes interdépendantes : imaginons que la France décide d’une "approche globale" qui permettrait à chacun d’investir sans douleur dans un système de chauffage solaire ou au bois (prêt à taux très faible par exemple) je n’hésiterais probablement pas à me débarrasser aussi définitivement que possible du fioul, et nous pourrions ainsi être nombreux à agir dans le cadre d’une approche locale et individuelle...

Et si l’interdépendance allait ainsi plus loin que tu ne le supposais ?

Thierry Crouzet @ 2006-07-12 17:13:47

J’ai vu hier ton commentaire et j’ai pas encore pris le temps de te répondre. J’essaie de le faire d’ici demain.

Thierry Crouzet @ 2006-07-14 08:13:18

Voilà, je viens de publier une réponse.

lampedusa @ 2009-10-07 14:41:35

Qui a la plus grosse quéquette sur Twitter ?

c’est quoicette connerie c’est pas pour lire ça que je viens de m’inscrire chez vous

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