Thierry CROUZET

Trois méthodes politiques

La complexité ni ne se contrôle ni se commande. La société humaine étant complexe, elle obéit aux mêmes règles que les autres systèmes complexes. Trois méthodes politiques me paraissent alors possibles.

Dictature. Puisque la complexité pose problème, on tente de la réduire, ce qui commence par une limitation des libertés, notamment la liberté pour les individus d’interagir. Plus nos sociétés se complexifieront, plus séduisante sera la dictature pour les gouvernants qui veulent que le monde se conforme à leur vision. Voilà pourquoi, partout dans le monde, au cœur des démocraties, les penchants autoritaristes se multiplient.

Hypocrisie. Pour les tenants de cette ligne, la complexité est une illusion, ils la nient, ils font comme si elle n’existait pas et tentent de persuader les citoyens que la société est contrôlable, qu’elle peut se plier à la volonté d’une élite. L’hypocrisie me paraît encore plus dangereuse que la dictature car elle ne cherche même pas à régler les problèmes et se spécialise dans la poudre aux yeux et la démagogie.

Utopie. Puisqu’on ne peut pas contrôler, puisqu’on ne sait pas comment passer d’un état (le chômage) à un état souhaité (le plein emploi), on fait confiance à l’ingéniosité individuelle et à la responsabilité. En tant que politicien, on ne contrôle plus, on ne commande plus, on n’impose plus des solutions, on donne des impulsions, on porte des projets, on incite… et surtout on fait confiance aux hommes.

J’aimerais que nos politiciens, que nos partis, se positionnent par rapport à cette grille de lecture schématique. À mon sens, seule la voie utopique est aujourd’hui envisageable. La société a besoin d’une direction et non d’un manuel pour atteindre la destination.

Notes 1. Un être humain est un système complexe. Il ne se contrôle pas de l’extérieur sans une acceptation de l’être lui-même. L’être ne se contrôle pas, il s’auto-organise. La différence me paraît fondamentale. 2. L’absence de contrôle n’est pas synonyme d’anarchie puisque l’auto-organisation est possible. C’est la forme d’organisation la plus repandue dans la nature comme dans les sociétés humaines. 3. L’auto-organisation a besoin de règles pour opérer. Dans la nature, les règles résultent des mécanismes évolutifs. Les hommes ont le pouvoir d’imaginer arbitrairement des règles et de les essayer. En ce sens, nous dépassons la nature (elle nous a donné les moyens de la transcender). 4. Pour essayer de nouvelles règles, il est toujours plus prudent de les essayer à petite échelle. Par exemple pour le CPE, Villepin aurait dû choisir un département pilote, ou même plusieurs départements avec des variantes de CPE. Les ingénieurs adoptent toujours cette méthode. On ne déploie pas directement les nouvelles technologies sur tout le territoire. On les propage peu à peu, ce qui permet de changer de direction en cours de route et d’apprendre en faisant. 5. Une règle peut prendre la forme d’une loi, par exemple la fin de la peine de mort ou l’autorisation de l’avortement. Ces règles sont de l’ordre du projet, elles donnent une direction à la société, elles définissent une façon de vivre ensemble. Elles sont souhaitables et même indispensables pour fédérer une communauté et lui offrir du rêve. 6. Une règle peut prendre la forme d’une mesure, le CPE par exemple. Ces règles qui influencent immédiatement la société, qui la façonnent, sans lui dire où aller doivent toujours être mises en œuvre au niveau local et généralisées seulement après avoir démontré leur pertinence et après avoir fait des émules.

Cratyle @ 2006-09-29 16:33:18

Telle que, peu significative, cette analyse, parce que simpliste: même si l’on admet la description, les trois attitudes citées ne sont que des pôles entre lesquels toute combinaison est possible, ce qui ruine l’obligation de choisir l’un des trois. Il y a une logique dans nombre de combinaisons.

"On ne peut pas contrôler" est ambigu, "On ne peut rien contrôler" est évidemment faux, on peut toujours contrôler en partie et d’autant plus qu’on accepte de ne pas contrôler autre chose, d’ailleurs; mieux, il ne s’agit jamais de contrôler parfaitement, mais bien toujours de contrôler dans une certaine mesure. Le jeu consiste donc à déterminer un degré de contrôle et ce que l’on essaie de contrôler.

Vous tentez de saisir les problèmes de la complexité en classificateur!! Absurdité. Mais on peut comprendre, autrement.

Garbun @ 2006-09-29 17:58:57

A propos du CPE, il est impressionnant de voir à quel point les politiques sont imbus d’eux-mêmes. Jamais ils n’oseraient admettre qu’ils ne savent pas si une mesure va marcher. Le fait de l’appliquer partout en même temps, c’est une façon de dire "mais évidemment que ça va marcher". Il nous faudrait quelqu’un qui n’ait pas peur de dire "bon écoutez, je sais pas si ça marchera, essayons quelque part, on verra bien". Ça me parait completement fondamental pour faire avancer les choses efficacement.

Thierry Crouzet @ 2006-09-29 19:39:08

@Cratyle Pas du tout d’accord avec vous... on ne contrôle pas dès que la complexité d’un système dépasse un seuil critique... largement franchi par notre société. Le contrôle est impossible. Il y a ceux qui l’admettent et les autres, il n’y a pas de demi-mesure possible en ce domaine.

Cratyle @ 2006-10-01 13:29:26

Garbun: l’expérimentation est une des bases de la méthode de fonctionnement prônée par l’UDF avec ce genre de réforme, spécialement quand il y a un enjeu social.

Thierry: "Il n’y a pas de demi-mesure possible" c’est vous qui le dites, mais ça reste une affirmation totalement gratuite pour l’instant. C’est précisément ce que je conteste: il y a de l’espace entre tout et rien. Prouvez-le, ou du moins donnez des arguments.

Nous allons vivre une présidentielle pour laquelle les média ont un comportement fortement orienté, pour ne pas dire plus. Pour se défendre, ils disent: on ne peut pas contrôler le vote des Français - et absolument, c’est vrai (système trop complexe). MAIS ce genre d’argument est un prétexte hypocrite, car il est faux aussi qu’ils n’ont aucune influence, ils peuvent même formater en partie l’opinion, exercer une influence, contrôler partiellement s’ils savent renoncer à la chimère totalitaire du contrôle total pour accepter un contrôle partiel, par l’influence, et du coup être déterminants - de fait, un grand nombre de candidats auront du mal simplement à être entendus, et ont un handicap supplémentaire.

Voilà un exemple possible. Le binaire, tout ou rien, c’est toujours une erreur simpliste. L’intérêt c’est le contrôle partiel dans votre travail, sinon vous restez dans les banalités. Nous vivons dans une société entrouverte.

Cratyle @ 2006-10-01 13:46:10

Si vous préférez, dans le genre social:

  • la liberté pédagogique, avec des programmes communs

  • la liberté d’entreprendre, avec un code du travail

  • la mondialisation, avec une régulation

  • la liberté d’agir, avec le code pénal

  • les logiciels libres, avec le droit d’auteur

  • la liberté parentale, avec la protection de l’enfance

  • l’autonomie des individus, avec un Etat

  • l’égoïsme individuel, avec uns solidarité collective

Nous sommes continuellement dans la liberté avec des contraintes. Et en soi c’est cela l’idéal, s’il est bien équilibré. La même remarque est d’ailleurs valable avec votre conception des connecteurs, je crois. Il faudrait dialectiser tout ça.

Et encore, en présentant cela comme une dialectisation de seulement deux pôles je simplifie considérablement, mais vous n’acceptez déjà pas cela.

Garbun @ 2006-10-01 14:03:06

Cratyle, je ne suis même pas certain que la liste que tu as dressée représente comme tu le dis l’idéal. Rien ne prouve que les programmes communs soient une bonne choses par exemple. Je ne dis pas que j’ai un avis tranché pour chacun de ces points, je ne prétend pas tout savoir, donc j’aurais tendance à ne pas être catégorique, même si en général je suis plutôt séduit par l’absence de contraintes.

Il est triste de penser que pour que le monde tourne correctement, les gens doivent être dirigés par une poignée de soi-disant élites, mais, si c’était le cas, j’aimerais autant qu’ils n’en profitent pas pour mettre leur nez partout et chercher à tout controller.

Thierry Crouzet @ 2006-10-01 14:10:14

@Cratyle J’ai effectué la démonstration que vous me demandez dans le peuple des connecteurs. Je ne dis pas que nous n’avons pas d’influence. Nous influençons à coup sûr mais sans maîtriser dans quel sens va se développer notre influence. C’est justement parce que nous ne sommes pas dans une situation binaire que nous ne pouvons pas contrôler d’ailleurs. :-)

Pour ma part, en ce qui concerne l’éducation, je suis pour l’autonomie des profs et même pour l’autonomie des programmes. C’est le cas en Finlande.

Farid Taha @ 2006-10-04 20:39:35

Thierry "nous influençons à coup sûr" est bien présomptueux...ne pensez vous pas ?

ça me fait penser à une phrase de Cocteau «Puisque ces choses nous dépassent, feignons d’en être les instigateurs»

Feignons, feignons... !

Thierry Crouzet @ 2006-10-04 20:43:16

Je ne parlais pas des blogs... mais des hommes qui cherchent à contrôler leur vie... des politiques qui cherchent à contrôler la société... oui on influence à coup sûr... et même les blogs aussi d’ailleurs... tout le problème est destimer cette influence. C’est en fait imposssible.

Farid Taha @ 2006-10-05 20:47:06

Pour l’influence d’une campagne Web on ne peut le faire qu’à postériori comme ce qu ia été fait avec le travail de recherche mené à l’UTC par Franck Ghitalla et Guilhem Fouetillou sur le role d’internet (Blogs et sites web ) sur la campagne autour du TCE et le vote qui s’en suivi.

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