Thierry CROUZET

Campagne de dénigrement

Dans mon prochain livre, je montrerai que le cinquième pouvoir, dont la blogosphère est la partie émergée de l’iceberg, a un réel pouvoir. Je ne vais pas faire ici cette démonstration. Supposons donc pour la suite de ce billet que ce pouvoir soit réel.

Je crois alors que nous autres blogueurs devons être prudents et responsables. Quand je vois certains d’entre-nous s’étriper plus ou moins gentiment, plus ou moins méchamment, je me dis que tout cela peut nous être reproché à un moment donné.

Je ne dis pas halte aux insultes et aux querelles. Au contraire, nous pouvons nous en donner à cœur joie, nous disposons d’un espace illimité pour nous exprimer et c’est là tout le danger.

Jusqu’à aujourd’hui, l’espace d’expression étant limité par la nature même des médias traditionnels, le dénigrement était présent mais en quantité finie. Plus rien ne l’empêche maintenant de prendre des proportions exagérées.

Par le passé, quand on disposait d’un espace pour dire quelque chose, on disait les choses qui nous tenaient le plus à cœur, pas toutes les choses qui nous passaient par la tête. Il y avait une sorte d’autocensure économique (très frustrante je le reconnais).

L’espace illimité est une bonne chose mais notre propension à nous adonner au dénigrement risque de se traduire en bombardement immodéré contre les politiciens que nous n’apprécieront pas. Comme ils seront très nombreux, la blogosphère peut se transformer en sphère de dénigrement. On pourrait alors croire qu’elle ne porte aucune idée nouvelle… ce qui n’est pas le cas.

Aux États-Unis, les élections à la télé se résument en dénigrement sur dénigrement. La règle numéro 1 : taper sur tous les adversaires en même temps. Traduit en français, ça donne : si je suis DSK, je conspue Ségolène et Fabius. Si par malheur je ne frappe que sur l’un des deux, je perds autant que lui, c’est le troisième qui gagne. En tous cas, c’est ce que certaines études prouvent.

En conséquence, si Fabius voulait soutenir DSK, il devrait s’attaquer de front à Ségolène sans jamais parler de DSK, surtout pas dire qu’il est avec lui. Cette tactique serait plus efficace que le ralliement pur et simple.

Nous autres membres du cinquième pouvoir avons donc au moins le pouvoir de dénigrer. C’est un pouvoir qui risque de se retourner contre nous lorsque nous pèseront dans une campagne. Car pour nous affaiblir, il faudra aussi nous dénigrer. J’espère que nous serons alors assez forts pour nous retourner contre le dénigreur, pour nous affirmer comme une force positive.

Internet est un espace de liberté. Il ne faudrait pas que par le dénigrement, pourquoi pas la calomnie, un candidat s’attaque à internet, tout ça pour juguler le cinquième pouvoir, pour assouvir une autorité immodérée sur la société.

Bruno de Beauregard @ 2006-10-16 10:05:07

La blogosphère peut aussi être un moyen de contre-carrer une entreprise de dénigrement classique, dans le genre bien costaud.

Je suis même pas loin de penser qu’accompagnée des moteurs de recherche, elle constitue un détecteur de mensonges prometteur.

Bref, une autre raison de rêver la voir sous contrôle, en se rasant ...

Thierry Crouzet @ 2006-10-16 10:12:24

Nous avons et nous aurons de plus en plus les outils pour lutter contre le mensonge comme l’a souligné Eric Schmidt. Mais ils ne nous aideront pas à lutter contre les attaques ad hominem. Si je traite quelqu’un de gros con, google ne l’aidera pas à se défendre. Le dénigrement le plus efficace ne s’appuie pas sur le mensonge mais frappe là où ça fait mal.

Bruno de Beauregard @ 2006-10-16 10:45:01

Celui qui insulte tout autant que ses propos restent gravés dans le marbre de la blogosphère, et ce à priori très longtemps.

Cette traçabilité du dénigreur et de ses dénigrements sont ainsi assurées, à charge ensuite au commun des lecteurs de se faire une idée, de croiser les infos dans la blogosphère etc.

Et d’ailleurs, pourquoi penser que le dénigrement est le seul à frapper là où sa fait mal ? Et le mensonge alors ? Et la diffamation ?

Qu’est-ce qu’une diffamation si ce n’est un assassinat social ? Et une diffamation, n’est-ce pas un mensonge dénigrant ?

Thierry Crouzet @ 2006-10-16 12:11:35

Je suis convaincu que le cinquième pouvoir peut s’en sortir, je veux juste prévenir les attaques qui ne vont pas manquer de tomber. La traçabilité permettra en effet de dénoncer les dénigreurs et autres calomniateurs. Je vais ajouter cette idée dans mon livre en même temps que le point de vu d’Eric Schmidt.

Gilles G. Jobin @ 2006-10-16 13:54:51

Dénigrer est la solution de facilité pour ceux qui veulent avoir leur petit quinze minutes de gloire mais qui n’ont, finalement, rien de constructif à apporter. Mais il faut faire confiance à l’intelligence des lecteurs qui finiront, il faut l’avouer, par ne plus les lire. Pourquoi? Parce que les propos constructifs sont tellement plus intéressants, et comme on ne peut TOUT lire, il faut trier.

Il est clair que les médias aiment bien reprendre ces propos "croustillants" (ce sont des mèmes éphémères, quant à moi) car le tri est réalisé par l’éditeur. Avec le web, le tri est fait par le lecteur. Nos éditeurs en ont sans doute pris conscience lorsqu’ils ont tenté de discréditer Wikipédia (et oui, le dénigrement se fait aussi dans l’autre sens!)

Internet ne rend pas plus intelligent, mais permet à l’être d’exercer son intelligence.

De là l’importance criante qu’il faut apporter à l’éducation de nos enfants.

Axel @ 2006-10-16 14:21:56

Dans un autre sujet de votre blog, Laurent Bervas de Blogwaves avait souligné un autre problème, mais qui entre dans ce thème des talons d’Achille du cinquième pouvoir. C’est celui de la protection/usurpation de l’identité. Rien n’empêche M. X d’écrire sur un blog ou un forum un message signé Laurent Bervas, avec son e-mail ou son URL. Qui ensuite sera repercuté dans Google, et le faux se mêlera au vrai. Il est très difficile à partir de Google, lorsqu’on tape un nom, de savoir quels messages sont authentiques, quels sont signés d’un usurpateur ou plaisantin ou troll.

Finalement, la protection de l’identité sur le Web tient à peu de choses. L’adresse IP ? Quid quand on est en déplacement? On n’écrit pas d’une seule adresse IP. Comment distinguer un message de Thierry Crouzet écrit par Thierry Crouzet dans un cybercafé, d’un message de Y écrit dans ce même cybercafé, et signé abusivement Thierry Crouzet?

On se souvient que sur le blog de Loïc Le Meur, Jean-Pierre Raffarin avait déposé un commentaire. Personne n’y croyait! L’équipe de Raffarin a confirmé l’authenticité du message, mais on ne peut pas s’amuser à vérifier comme ça l’identité réelle de chaque posteur.

On sait également qu’il est facile d’envoyer un courrier avec une adresse e-mail usurpée, avec des serveurs qu’on peut configurer pour envoyer un e-mail @tcrouzet.com par exemple, le serveur ne vérifiant pas l’appartenance du domaine à l’envoyeur.

Bref, le jour où des intérêts puissants menacés par le 5e pouvoir décideront de s’attaquer à Internet, ils pourront jouer sur ces failles dans la protection de l’identité pour semer la zizanie et faire perdre la confiance dans les échanges sur le Web. Il faudra trouver de nouveaux systèmes garantissant l’identité, peut-être des clefs chiffrées, mais elles ne résisteront pas à des services d’Etat.

Je ne parle même pas des piratages de serveurs, qui demandent plus de compétence, sans être impossibles (surtout pour des intérêts puissants, s’ils décident un jour de s’en prendre au 5e pouvoir). En piratant un serveur ou un ordinateur, un pouvoir peut récupérer des données très importantes appartenant à un blogueur, et s’en servir contre lui. Le blogueur devient alors victime de cet Internet qui était sa force. Il est très vulnérable, de par la masse d’informations qu’il échange via un réseau très peu sécurisé. La loi rend d’ailleurs impossible de sécuriser le réseau de façon à le protéger des pouvoirs publics. En définitive, le 5e pouvoir reste dépendant du 1er.

Il y a aussi la possibilité pour le pouvoir d’acheter des blogueurs, comme il fait avec des journalistes, ce qui finit par discréditer ce média.

Dans un premier temps, Farid Taha soulignait une autre tactique du pouvoir politique pour prendre la main sur le 5e pouvoir : le trustage de Google : “il semble que certains cherchent à lancer une OPA sur le Web pour confisquer la démocratie”. En investissant beaucoup d’argent et avec un sens de l’organisation, un parti politique peut construire une blogosphère artificielle qui sature les résultats de recherche sur Google, donnant moins de poids aux blogs indépendants.

Le 5e pouvoir va connaître une phase d’émergence libre, puis avec son succès il sera victime des mêmes tentatives de pression et détournement dont a été victime le 4e pouvoir, pour l’étouffer, le discréditer, mettre en place des hommes à soi en place des blogueurs libres. Dans quelle mesure pourra-t-il résister aux énormes masses d’argent qui seront investies par le premier pouvoir pour en prendre le contrôle? C’est tout l’inconnu des 20 prochaines années.

Thierry Crouzet @ 2006-10-16 16:16:17

Tu es lumineux comme d’hab Axel... je vais te pomper :-)

Pour ma part, je suis optimiste. Je crois que les outils avancent plus vite que les moyens de contrôle... Et la complexité grandissant sans cesse, le contrôle devient de plus en plus utopique.

Je crois que nous ne devons jamais oublier que nous ne sommes pas seuls. En cas de problème, usurpation d’identité par exemple, nous pouvons invoquer l’aide d’autres blogueurs. J’espère que nous trouverons des solutions à tous les problèmes. Mais la résistance sera féroce.

Thierry Crouzet @ 2006-10-16 16:18:47

Autre chose... C’est vrai que les splogs peuvent aussi fausser le débat. Si l’UMP crée des centaines de blogs linkés, ils vont truster les premières places sur technorati comme sur google. C’est un vrai problème. En attendant, c’est toujours bonVote qui est dans le sandbox google. :-)

José @ 2006-10-16 20:15:06

Je ne vois pas bien ce que tu veux dire, Thierry :)

  • S’il s’agit de constater qu’il circule sur internet autant de cons, de gens grossiers, méchants, égoïstes, négatifs, néfastes qu’ailleurs, je te le confirme. Dans tous les cas, ils sont très nombreux. On murmure même, dans les milieux bien informés, qu’ils seraient très majoritaires. Et durablement implantés, malgré les sommes folles dépensées en vain pour les éduquer.

L’invention de la roue, de l’écriture, du télégraphe Chappe, du téléphone, du minitel et même de l’I-Pod n’y ont rien fait. Nombreux ils étaient, nombreux ils demeurent.

  • S’il s’agit de réguler, de moraliser, de netiquetter ce flot sur le net et, particulièrement sur les blogs, on n’est pas rendus. Il nous faudra naviguer à la godille, avec la grâce des danseurs, entre les esquifs des crétins et les porte-avions des agresseurs.

  • S’il s’agit de prévenir la capacité des Etats (comme le dit Axel) à maîtriser tout ça, je suis beaucoup plus optimiste. On ne maîtrise pas l’eau qui coule. On peut faire barrage ici, détournement là, casser untel, briser tel autre, mais l’eau passe, quoiqu’il advienne et va vers la mer.

A nous d’utiliser le pouvoir de l’eau, de passer entre les lignes, de savoir contrebalancer le plaisir qu’il y a à “tuer“ par le bonheur qu’il y a à faire vivre, à construire, à aimer.

Axel @ 2006-10-16 20:49:41

Je ne suis pas pessimiste non plus. Simplement il y aura des obstacles et des tentatives de détournement de la liberté sur Internet par le 1er pouvoir, ne nous leurrons pas, le 5e pouvoir n’aura pas la vie facile, à mesure même qu’il sera puissant. Ce que fait l’UMP, consacrer 100 000 euro par mois pour truster Google, est très significatif du fait que les choses changent, en faveur du 1er pouvoir.

Mais en définitive il existe sur le Web un solide réseau, notamment les développeurs de logiciels libres, la communauté Linux, Mozilla, etc, attachés à la liberté, qui maitrisent les noeuds technologiques assurant la circulation des informations sur le réseau, et sauront sans aucun doute défendre l’esprit de liberté qui caractérise le Web, en développant les outils qu’il faut.

"c’est toujours bonVote qui est dans le sandbox google"

l’émergence d’un concurrent solide à Google sera indispensable pour assurer la vitalité d’Internet. Un réseau mondial ne peut pas dépendre d’un seul acteur, aussi excellent soit-il. Qu’un seul moteur détermine 80 % du trafic, ce n’est pas normal.

Google a enchanté tout le monde par sa pertinence et sa réactivité, maintenant on constate qu’en cas de faille de son système un site peut mourir ; en cas de campagne de référencement par une organisation puissante financièrement, les résultats de recherche sont faussés, etc.

Il faudra d’autres systèmes fonctionnant sur des méthodologies différentes.

Thierry Crouzet @ 2006-10-16 21:06:59

Superbe ton image de l’eau José (encore une idée à piquer). C’est pour ça que je suis moi aussi optimiste.

J’ai écrit ce post après avoir étudier la campagne US en 2004 et constaté que les blogueurs, qui au début étaient novateurs avec Howard Dean, se sont en suite livrés uniquement au dénigrement. Le cinquième pouvoir avait alors fusionné avec le quatrième pouvoir.

Thierry Crouzet @ 2006-10-17 09:40:23

Natacha a rebondit sur son blog. Un de ses commentateurs a parlé d’une intéressante histoire à Venise. Je vais approfondir.

Matou @ 2006-10-17 11:01:18
  • Banalisation des insultes

C’est pathétique, sur internet, dès que l’on n’est pas d’accord avec quelqu’un et qu’on l’exprime avec force et pugnacité, on est assimilé à un parasite, un "troll" ! La radio des Mille Collines employait le même terme (parasite) pour stigmatiser et disqualifier les Tutsi. Ce genre d’insulte est inadmissible. Beaucoup trop d’internautes ne sont pas mûres pour le débat.

Pour mémoire :

Relativité de l’Histoire

« Refuser d’écouter est le plus grand crime que l’on puisse commettre. Parce que quand nous diabolisons l’autre, nous nous autosanctifions. C’est désastreux. Avez vous vu "The Fog of war", ce documentaire d’Earl Morris ? Robert McNamara, secrétaire d’État américain à la Défense pendant la guerre du Vietnam, y explique que si le résultat de la Seconde Guerre mondiale avait été différent, les Alliés auraient été jugés pour crimes de guerre, que tout découle de la position vainqueur / vaincu ».

Shimon Dotan in Télérama n°2945

  • Dérive communautaire

Certains blogueurs construisent une forteresse autour de leurs idées. Ils ont choisi de se regrouper en un milieu homogène pour discuter. De façon à réaliser au mieux ce filtrage, ils utilisent des méthodes peu éthiques, comme la modération de points de vue contraires, la limitation de la parole, ou la stigmatisation et les insultes.

Il convient de dénoncer très vite cette pratique de censure empruntée aux média classiques. Sinon le monde pronétaire sera de plus en plus limité à une forme d’échange très centralisé. Les règles doivent être celles de la libre expression, sans codes limitatifs, si ce n’est uniquement l’interdiction des insultes et propos méprisants.

Cette notion de "troll" ou parasite vient de milieux informatiques où la sphère privée des discussions est très importante. Or l’esprit démocratique, de préservation d’une parole publique s’oppose à la mise en place de codes identifiants obligatoires, ou de modérateurs permanents comme sur les forums. L’ouverture indispensable d’un côté, la fermeture et les filtrages de l’autre !

Finalement, peut-on réclamer ce que l’on ne pratique pas chez soi ? Et pourquoi ne pas faire confiance en les principes de l’agora citoyenne ? La prophétie de Joël de Rosnay quant à l’avènement d’un espace de débat et d’échange nouveau est à ce prix. Songez-y vite, avant que les habitus tant décriés par Pierre Bourdieu en son temps ne viennent envahir et submerger le web citoyen.

Source : http://myfriendsandme.org

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