Thierry CROUZET

La contre-démocratie

Je viens de commencer la lecture du dernier livre de Pierre Rosanvallon, la contre-démocratie.

Cette contre-démocratie n’est pas le contraire de la démocratie ; c’est plutôt la forme de démocratie qui contrarie l’autre, la démocratie des pouvoirs indirects disséminés dans le corps social, la démocratie de la défiance organisée face à la démocratie de la légitimité électorale.

J’ai l’impression que Pierre Rosanvallon parle d’une partie du cinquième pouvoir.

Au sens le plus fort du terme, nous n’avons, d’une certaine façon, jamais connu de régimes pleinement « démocratiques ». Les démocraties réellement existantes sont restées inachevées ou même confisquées, dans des proportions certes très variables selon les cas.

Pour moi, il ne fait aucun doute que nous vivons dans une de ces démocraties confisquées. Je traiterai de ce sujet à la fin de mon prochain livre.

Si l’économie institutionnelle des démocraties représentatives n’a finalement subi aucune révolution majeure en deux siècles […], ces pouvoirs de surveillance se sont quant à eux considérablement étoffés et diversifiés.

Je crois justement que nous avons atteint le stade où ces pouvoirs ne font pas que contrer mais agissent et proposent. Il est temps de rénover la vieille démocratie. Mais pas en essayant de faire du neuf avec du vieux, en introduisant des gadgets comme le vote électronique, plutôt en changeant la nature même de la démocratie dans ses soubassements les plus fondamentaux.

PS : Nous nous en sortirons que tous en semble en solidifiant nos réseaux relationnels, internet n’étant qu’un petit morceau de tout cela. Notre liberté n’a de sens que si les gens qui nous entourent sont aussi libres que nous. Ceux qui dans un domaine en savent un peu plus doivent aider ceux qui en savent un peu moins. De la sorte, nous nous offrons un surplus de liberté. On peut pas imposer la liberté. Il faut trouver des solutions pour ceux qui n’en veulent pas. En fait, ce n’est pas qu’ils n’en veulent pas, c’est qu’ils n’ont pas l’occasion d’y penser. Je ne vois que deux solutions : éducation d’un côté, solidarité de l’autre. Maintenant, on peut inventer des nouvelles formes de solidarité et d’éducation qui passe par la liberté alors que le plus souvent elles passent par une réduction de cette liberté.

Dilbert @ 2006-10-25 19:13:12

Je crois qu’on confond (ici comme ailleurs) démocratie et liberté. La démocratie n’est qu’un mode d’organisation de la chose politique, qui peut d’ailleurs très bien supprimer "démocratiquement" les libertés individuelles.

Moi ce qui m’intéresse en tant que libertarien, ce n’est pas la démocratie, c’est la liberté. Et je ne suis pas sûr du tout que la démocratie soit le moyen de me donner plus de liberté. Au contraire : il n’y a pas de grosse différence de nature entre démocratie et démagogie. Ce qu’il faut est rendre le pouvoir aux gens, et non pas instaurer "plus de démocratie".

Bruno de Beauregard @ 2006-10-26 02:31:59

@Dilbert

Que veut dire exactement et pratiquement "rendre le pouvoir aux gens" ?

Dilbert @ 2006-10-26 07:41:53

Eh bien par exemple, au lieu de leur extorquer des cotisations sociales, les laisser libres de s’assurer auprès de l’organisme social de leur choix. Au lieu de les contraindre aux 35 heures, les laisser libres de négocier leur temps de travail avec leur employeur.

rendre le pouvoir aux gens, ce n’est p

Dilbert @ 2006-10-26 07:44:32

Sorry, fausse manip...

Rendre le pouvoir aux gens, ce n’est pas inventer de nouvelles usines à gaz réglementaires, c’est uniquement ABOLIR ce qui entrave artificiellement la vie des gens.

Autre exemple : supprimer la carte scolaire et supprimer même l’obligation scolaire, qui n’aboutit qu’à avoir des élèves non motivés ("je viens à l’école parce que je suis obligé") et des profs non motivés ("que je sois un bon prof ou pas, je suis payé pareil", "les élèves sont mauvais, mais on n’a pas le droit de les sélectionner").

Bruno de Beauregard @ 2006-10-26 09:40:37

@Dilbert

Ok, ça me va :)

iza @ 2006-10-26 17:21:32

Ben oui, mais alors là, voilà, on touche à ce qui me chiffonne.

Ok, supposer que, quand on est "libre" on est en mesure de faire des choix judicieux pour soi, c’est vrai quand on nage dans un luxe tel qu’on ne se rend même plus compte qu’il existe : celui précisément d’avoir un libre arbitre. Celui d’être éduqué à exercer son sens critique. Celui d’avoir la capacité de hierarchiser les choses ... et j’en passe.

Bien des gens sont loin, mais alors très très loin de ça. Bien des gens sont englués dans la gestion calamiteuse du quotidien, assommés de culture et d’infos de masse..

Evidément, obliger ceux là à aller à l’école, c’est penser faire leur bien malgré eux. Ouais, c’est pas terrible ok. mais se contenter de dire que ce n’est pas obligatoire, c’est renvoyer au moyen âge une grande partie de ceux là. Alors oui, il y aura qui se rebelleront et du coup qui iront joyeux vers le savoir... mais combien ??? (et Dieu sait pourtant tout le mal que je pense de l’école).

iza @ 2006-10-26 17:27:35

Idem pour l’histoire du temps de travail, ça va bien ça quand on est assez costaud pour se payer le luxe de dire f... à l’employeur qui serait tenté d’abuser de sa position dans la négociation....

Si j’ai 3 mômes à nourrir et que je gagne 3 sous et que celui-ci abuse en "négociant" des horaires impossibles, je vais m’écraser et dire oui. Belle liberté en vérité.

C’est la négociation du pot de terre contre le pot de fer ça...

Je suis d’accord pour mettre le doigt sur bien des faiblesses du système actuel, et je suis enthousiaste sur plein d’aspects de ce qui se profile.

Mais pour l’instant, je ne trouve pas réponse à ces questions précises : ce fait-on de ceux qui ne sont pas encore en mesure de choisir, de critiquer, de participer ???? je veux bien que la solution soit impensable "d’en haut", mais que faisons-nous, nous "d’en bas" pour ça ??

Thierry Crouzet @ 2006-10-26 19:18:49

Je crois que nous nous en sortirons tous en semble en solidifiant nos réseaux relationnels, Internet n’étant qu’un tout petit morceau de tout cela. Notre liberté n’a de sens que si les gens qui nous entourent sont aussi libres que nous. Ceux qui dans un domaine en savent un peu plus doivent aider ceux qui en savent un peu moins. En faisant ça, nous nous offrons un surplus de liberté.

On peut pas imposer la liberté. Il faut trouver des solutions pour ceux qui n’en veulent pas. En fait, ce n’est pas qu’ils n’en veulent pas, c’est qu’ils n’ont pas l’occasion d’y penser.

Je ne vois que deux solutions : éducation d’un côté, solidarité de l’autre. Maintenant on peut inventer des nouvelles formes de solidarité et d’éducation qui passe par la liberté alors que le plus souvent elles passent par une réduction de cette liberté.

iza @ 2006-10-27 09:37:22

Voilà qui me parle plus.

Nouvelles formes de solidarité et d’éducation sans réduire la liberté. c’est bien l’équation qu’il faudrait résoudre.

Moi je te dirais bien que je m’en fous bien pas mal de réduire (un peu) la liberté de ceux qui en ont beaucoup pour augmenter la liberté de ceux qui n’ont pas la possiblité (plus que l’occasion) d’y penser. Voilà pour ma sensibilité politique, euh, primaire si j’ose dire.

Maintenant force est de constaster que se contenter de dire ça de nos jours est débile. ça creuse les écarts, radicalise les positions, et se contente de simplifier à l’extrême des problèmes bien trop complexes... je suis cent fois d’accord avec toi.

Reste à inventer, diffuser ces nouvelles formes... sacré chantier ! mais j’y crois !

Job @ 2006-10-29 23:17:20

Être libre ? sans la Loi est une illusion.

Vous aurez de fait le Droit du Plus Fort.

Quelques lectures-recherches me semblent nécessaire : 1/ sur Solon d’Athènes et 2/ Hobbes "De Cive" et "Le Leviathan".

Votre idée de la liberté conduit à l’injustice.

La Démocratie est un régime parfait. En celà, il est dangereux car en effet on peut démocratiquement tout faire au nom de tous. Le problème, c’est que c’est un régime politique délicat qui demande à tous d’être éduqués et responsables.

Les autres régimes s’en remettent à des minorités plus ou moins éclairés. On suppose qu’il est plus facile d’obtenir une minorité éclairée qu’une majorité.

C’est cet aspect "éducatif" qui a toujours posé problème jusqu’à rejeter le régime lui-même. Platon le premier à travers le procès de Socrate rejette la Loi Démocratique. Il préférera par la suite une dictature militaro-philsophique dans un mélange de la tradition spartiate et pythagorcienne.

Tout ces événements ont laissé des traces profondes dans la formation des esprits à travers les siècles. Un mépris pour ce régime s’est transmis génération après génération.

Mais en lisant les commentaires sur Agoravox et d’autres "carrefour" du Net, je me dis que l’éducation peut aussi conduire à des comportements anti-démocratiques.

La Liberté est une valeur que seule la Démocratie peut offrir pleinement. Mais, je crois que les hommes et les femmes ne sont pas encore mûrs. Il faudrait modéré ses appétits matériels. À quoi accumuler les milliards dans un monde où pour en jouir, il faut se cacher et se faire protéger par des vigiles ?

C’est finalement la pauvreté d’esprit collective qui est un empêchement à la Liberté comme à la Démocratie.

Le caractère preignant de l’animal nous domine encore trop.

casabaldi @ 2006-10-29 23:49:32

Fouyaya... euh... quelqu’un peut expliquer à Job, là ?

(je fais le début)

Job.

tu nous dis "La Démocratie est un régime parfait".

Très bien. Si tu veux.

Sauf que la Démocratie (surtout avec un grand "D"), ce n’est pas un régime, c’est une idée. (la perfection aussi, mais passons)

Et qu’il en existe plein de formes différentes. et que la forme dominante actuelle (qu’on va appeler la démocratie représentative, pour faire court) est non seulement peut-être la moins démocratique de toutes, mais est en plus dans une crise telle qu’à mon avis, elle ne s’en relèvera pas.

On peut se demander pendant des plombes si c’est bien ou pas. ça ne servirait à pas à grand chose. c’est en train d’arriver, c’est tout.

Parce que le monde bouge, change, évolue.

Nos régimes n’ont pas beaucoup bougé, eux, depuis quelques décennies et sont devenus obsolètes. Et on essaie juste de commencer, humblement, à construire la suite.

Et ça peut être tout à fait démocratique. Et même beaucoup plus.

Job @ 2006-10-30 00:44:31

Je comprends.

Mais je serai clair : la Démocratie est un régime esquissé du temps d’Athènes, il ya 26 siècles. Ce régime a fait peur à tous le monde.

Notre régime dit démocratie représentative n’est pas une forme de la démocratie : c’est une forme de la République (modèle politique romain) qui compose avec le peuple en l’associant par le biais du vote et d’institutions intermédiaires contrôlables (comme le Tribunat).

L’erreur entre les deux modèles vient du titre du texte de Platon "La République". C’est un nom latin pas Grec. Les Grecs ont d’autres noms plus précis pour les différents type de régimes politiques qu’ils connaissent : timocratie (régime des guerriers : la dictature militaire comme à Sparte), l’oligarchie (régime de quelqu’uns : se confond souvent avec la ploutocratie/aristocratie : régime des riches), etc.

Notre régime politique est une République dont on a amélioré au fur et à mesure les mécanismes pour associer progressivement de plus en plus de personnes.

Les pauvres au XIXème siècle avec le Suffrage Universel ; les femmes en 1946.

Mais pour accéder aux fonctions, il faut passer par des circuits sociaux assez précis. Ce n’est pas un système démocratique mais plutôt un système cooptatif.

Un système démocratique organise les institutions de telle sorte que chacun participera à une assemblée à un moment donné ou à un autre de sa vie - que la personne le veuille ou non. La citoyenneté est à ce prix.

Aucun système actuel n’est organisé dans ce sens. Nos régimes politiques sont des Républiques Libérales au sens où elles essaient d’associer un maximum de gens ; mais en tant que régime politique elles restent favorables à la minorité riche.

Car la question de la pauvreté et de la richesse détermine les conditions de possibilité d’existence d’une Démocratie. Or il est constatable que personne n’est prêt à résoudre ce problème. Tant qu’il y a des gens dans la misère ou dans la pauvreté, sans perspective, il ne peut y avoir de Démocratie.

On reste avec nos simulacres et nos mauvais arguments pour justifier le maintien de la situation presente.

Et le communisme n’est pas non plus la solution (je le précise).

Job @ 2006-10-30 00:53:25

J’ajoute en supplément :

qui accède aux commandes du politique en France ?

Pour l’essentiel les gens des professions suivantes :

Les professeurs des Ecoles, les médecins et les avocats.

En ce qui concerne les plus hautes fonctions :

Les Enarques.

Tous viennent en majorité de classes sociales (ou CSP) aisées ou garanties par le système. Le gros de la population n’accède à rien et ne participe qu’au moment du vote pour légitimer l’état de fait en le reconduisant.

C’est donc bien des minorités éclairées qui nous dirigent. Avec notre consentement par le biais du vote. Ils se débrouillent pour devenir nos représentants. Et ce à travers des mandats qui les laissent libres de décider ce qu’ils veulent sans tenir la moindre promesse faite aux électeurs.

"Merci de sortir de votre sommeil dogmatique", dirait Kant.

Vous cherchez une cause à votre malaise : réveillez-vous. Déconditionnez-vous de ce qu’on vous amis dans la tête.

N’est-ce pas çà finalement la démarche du citoyen qui sort de la caverne ?

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