Dans mon papier sur la métaphore Lego, j’ai évoqué l’émergence d’un cinquième pouvoir chez Lego. Les critiques n’ont pas manqué, chez Pegase et chez Eric Culnaërt. J’ai l’impression d’entendre de vieux gauchistes crier contre les méchants patrons (pire les méchants libéraux). Je voudrais rappeler quelques petits trucs pour éclairer le débat :
- Pegase est de mauvaise foi quand il prétend que Lego Factory ne propose rien de nouveau. Par le passé, les fans de Lego pouvaient acheter des briquettes en sachets mais jamais acheter juste le nombre nécessaire pour monter la maquette de leur rêve. Donc, ils font déjà une économie (divisent par 100 le prix de leurs constructions).
- Mais c’est un détail. La nouveauté est de pouvoir créer des boîtes de Lego qui seront vendues sur le site de Lego. Pour un fan, c’est déjà un honneur. Leurs créations peuvent rivaliser avec celles des designers de Lego.
- Exploitation crient déjà les néo-marxistes. Nouvel esclavage. Mais non puisque les nouveaux designers toucheront des droits d’auteurs sur leurs œuvres, en tout cas si elles se vendent.
- Lego ne fait ni plus ni moins qu’ouvrir son atelier à toutes les bonnes volontés, exactement comme le font les éditeurs de livres ou de musique depuis longtemps. Différence : il n’y a pas de sélection à l’entrée, tout le monde peut publier, comme sur lulu.com.
- J’imagine que si ce processus de développe, le consommacteur va peu à peu transformer Lego en profondeur. Personne n’est capable d’anticiper jusqu’où ça peut nous mener. Il faut certes être vigilant mais, a priori, ne pas dire non à la nouveauté (surtout quand ce qui existe aujourd’hui n’est pas nécessairement fameux).
- Lego crée une longue traîne chez lego, longue traîne qui contient en elle-même la fin de l’hyper capitalisme comme j’ai essayé de le montrer dans Le cinquième pouvoir. Les néo-marxistes devraient être heureux.
- La prise en main de l’outil de production par les consommateurs, sur le modèle Lego Factory, commence il y a tout au plus deux ou trois ans. Nous sommes en train d’inventer un nouveau modèle. Personne ne prétend qu’il est mature, c’est au contraire un nouveau né plein de promesses et qu’il faut surveiller avec attention.
- C’est tout l’outil de production qui pourrait passer entre les mains des consommateurs. Même Marx n’a pas rêvé ça. Nous n’y sommes pas mais nous sommes en train d’inventer la technologie pour y parvenir. L’outil de production, c’est nous les consommateurs et personne d’autre.
- Les plates-formes de travail collaboratif sont aujourd’hui souvent centralisées, donc il y a quelqu’un qui se sucre sur les dos des usagers, mais ce n’est pas une nécessité. Par exemple, on peut ouvrir son blog sur une plate-forme ou en l’installant sur un serveur indépendant. Dans certains domaines, nous avons déjà le choix (Eric, en publiant sur Agoravox, tu n’es pas du tout logique avec toi-même puisque tu sers le grand méchant que tu dénonces – et se servir de lui pour le dénoncer n’est ce pas le consacrer ?).
- Je pense d’ailleurs que les plates-formes centralisées, très à la mode aujourd’hui, de Flickr à Dailymotion, n’ont pas beaucoup d’avenir. Elles incarnent le méchant capitalisme mais elles présentent si peu d’intérêt que nous nous passeront bientôt d’elles.
- La critique d’Eric serait fondée si nous en restions éternellement à une version centralisée des outils collaboratifs (voir sa critique de caresquare). Sans parler des problèmes techniques qui ne manqueront de survenir (le P2P décentralisé est toujours le plus efficace), je crois justement que les usagers refuseront d’être les dindons de la farce. Ils cesseront de publier leurs vidéos sur Dailymotion le jour où Dailymotion s’engraissera sur leur dos (aujourd’hui, cette entreprise n’est toujours pas rentable il me semble).
- Nous sommes en train de construire une société où les intermédiaires peuvent disparaître. Je ne crois pas que des plates-formes collaboratives prendront la place de la grande distribution. Je crois au contraire que les AMAP présagent un modèle plus novateur. La technologie nous permettra de le déployer à grande échelle. La collaboration ne peut qu’être décentralisée.
- Par ailleurs, un outil collaboratif ne sera jamais seul sur un marché. Chacun de nous pourra offrir ses services sur plusieurs outils (qui seront concurrents entre eux). Cette concurrence sera plus loyale que dans le modèle hyper capitaliste car créer l’outil ne coûtera rien. On ouvrira bientôt des services comme caresquare en trois clics de souris (voilà un business dans lequel il faut se lancer). Les consommacteurs se dirigeront vers les services qui leur paraîtront les plus justes (aujourd’hui nous nous dirigeons vers ceux que nous trouvons – l’offre étant réduite dans un monde où la longue traîne ne s’est pas généralisée). Les consommateurs pourront créer leurs propres services. Il n’y aura même plus que des services de consommateurs.
- Nous sommes dans une phase d’expérimentation. Nous ne savons pas vers où nous nous dirigeons. Simplement, il y a de gros problèmes dans le monde, aussi bien écologiques que sociaux, et il nous faut trouver de nouvelles solutions pour les régler. Le collaboratif appuyé sur la décentralisation ouvre une piste. J’avoue que je n’en vois pas d’autres (celles expérimentées par le passé ayant démontré leurs limites).
- Eric, la critique est facile mais tu ne proposes rien d’autre que ce qui existe déjà et qui est en train de nous détruire à petit feu. Être vigilant est une chose mais la vigilance sans la proposition ne nous fait pas avancer. N’oublie pas que depuis Le peuple des connecteurs, j’ai écrit Le cinquième pouvoir. Il me semble que j’y réponds à certaines de tes questions. Je sais aussi que nous sommes loin d’avoir inventé un nouveau modèle. Mais nous avons une piste.