Thierry CROUZET

La loi protègerait le plus faible

Dire que la loi protège le plus faible serait donner un avantage au faible l’amenant rapidement à devenir le plus fort. Non ? En tout cas, les choses se passent de cette façon dans la nature.

Dans Le peuple des connecteurs, j’ai donné l’exemple des morues. Quand nous avons interdit la pêche des petits spécimens, ces derniers se sont trouvés avantagés, l’espèce a évolué pour que les poissons adultes soient moins gros (et au passage de moins bons reproducteurs ce qui risque de condamner l’espèce).

Si la loi protégeait le plus faible, les faibles auraient pris depuis longtemps la place du plus fort. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas chez nous. Je crois plutôt que la loi a pour but de protéger les hommes des excès de quelques uns. Mais bon je ne suis pas juriste.

Quand la loi dit que le vol est puni, elle ne fait aucun présupposé sur la faiblesse ou la force du voleur et de sa victime. Pire, le fort est toujours avantagé car il peut se payer les meilleurs avocats. Même en cas de crime. Si la loi protégeait les femmes, elles seraient dominantes dans la société or une femme se fait tuer par son compagnon tous les trois jours en France.

Croire que la loi protège le faible est une idée reçue, une idée même dangereuse car elle implique que, plus on édicte de lois, plus le faible est protégé (d’où le populisme à la Nicolas Sarkozy).

Mais qui édicte les lois, qui les influence, sinon les puissants ? Les régimes autoritaristes qui multiplient les lois n’ont jamais été favorables aux plus faibles mais, au contraire, à une minorité toujours plus réduite.

Ce n’est pas par la loi, en tout cas la loi telle que nous la connaissons, que nous pouvons protéger les plus faibles. Mais comment faire ? Car il faut bien que celui qui se trouve dans un état de faiblesse puisse en sortir ?

Si la loi ne protège pas le plus faible dans l’absolu, quelques lois particulières peuvent le faire, celles notamment qui entérinent des acquis sociaux. Reste donc à savoir comme me le demandait Eric Culnaërt s’il est possible de protéger le faible dans un système auto-organisé, décentralisé et collaboratif ?

Je ne propose aucun système cohérent mais j’ai de bonnes raisons d’être optimiste.

  1. Le système actuel ne va pas s’écrouler, nous devons l’améliorer au contraire. Nous ne construisons pas un nouveau monde à partir de rien mais à partir de l’ancien. Ce monde commence sur des bases où le faible est un tant soi peu protégé à force d’acquis sociaux.
  2. Dans le nouveau système, les gens pourront continuer à défendre leurs droits comme par le passé, ils pourront se battre pour de nouveaux droits.
  3. Le modèle collaboratif implique la participation de beaucoup de gens. Si les gens ne sont pas satisfaits par un service collaboratif, il s’écroule. Le droit de grève et de protestation est contenu implicitement dans le principe collaboratif. Voilà la fameuse ligne de code qu’Eric Culnaërt me demandait d’introduire dans mon système (c’est un non-code comme le cinquième pouvoir est un non-pouvoir).
  4. Quand les usagers sont insatisfaits, ils peuvent très vite le faire savoir et s’auto-protéger (boycott et passage chez un concurrent par exemple). Par le passé, les acquis sociaux se sont gagnés à coup de batailles. Le système collaboratif me paraît beaucoup plus sensible à la grogne.
  5. Auto-organisation ne signifie pas absence de règles. Les usagers peuvent inventer de nouvelles règles et les essayer (c’est ce qui se passe dans tous les systèmes collaboratifs actuels).
  6. Si le faible n’est pas exclu du système, il peut se faire entendre beaucoup plus que dans une société hiérarchique. Les faibles peuvent collaborer plus facilement pour représenter une force.
  7. Comme dans toute société, il y aura des exclus. Nous avons déjà mis en place certains systèmes de solidarité, il faudra les développer, les rendre plus justes. La solidarité n’est pas inconciliable avec la collaboration. Au contraire, je crois qu’elle nous deviendra bien plus naturelle que dans un système où tout nous est dû par le haut.
  8. Car le véritable changement est là : responsabilité. Quand vous créez les produits que vous achetez, quand vous écrivez les lois du pays dans lequel vous vivez, quand vous fixez les programmes scolaires de vos enfants… vous devenez de plus en plus responsables (la responsabilité s’apprend). Les problèmes ne sont plus de la faute de l’État mais, surtout, de votre faute. Quand vous voyez un pauvre, vous vous devez de l’aider. Là encore, pas besoin d’ajouter des lignes de code. Le modèle collaboratif contient en lui-même la responsabilité, donc la protection du plus faible, ce qui est une responsabilité morale.
  9. Et quand ça ne marche pas il restera les bonnes vieilles lois. Je rappelle que ça ne marche pas toujours dans notre monde malgré les lois. La solution n’est pas tant dans la loi que dans la façon dont la société se structure.

Mais au final qui est faible qui est fort ? Cette notion est très relative. Qui est qualifié pour dire que quelqu’un d’autre est faible ou fort ? Quand le faible se dit faible, je l’entends. Quand c’est un politicien qui parle en son nom, je doute beaucoup. C’est une des raisons pour lesquelles je n’aime pas notre démocratie représentative et que je préfèrerais une démocratie collaborative qui reste à inventer.

Aurelia @ 2007-03-29 09:50:48

Thierry, j’aime beaucoup cette idée de démocratie collaborative qui me rappelle un peu la démocratie directe qu’a connue Athènes, où chaque citoyen se retrouvait sur l’Agora pour délibérer du sort de la Cité - à noter tout de même que dans cette "démocratie", le statut de citoyen excluait les femmes, les métèques, les esclaves et les barbares...soit 95% de la population (la toile n’est-elle pas elle-même encore loin de pouvoir prétendre à l’universalité?).

En revanche, c’est à mon avis avoir une trop grande confiance en la nature humaine que de présumer qu’un surcroit de moralité émergerait spontanément de la "réticularisation" auto-organisée des masses. Je n’arrive d’ailleurs pas très bien à me faire une opinion sur ce qui a pu se produire Gare du Nord ce mardi.

Sinon euh...pourquoi tu mets d’office les femmes du coté des faibles?

@bientôt.

Aurelia @ 2007-03-29 12:00:19

Tiens, je suis pas la seule à penser que le Web 2.0 est susceptible du pire comme du meilleur : http://www.fredcavazza.net/index.php?2007/03/29/1473-les-limites-de-la-sagesse-des-foules

Amicalement.

Thierry Crouzet @ 2007-03-29 12:03:24

Pour les femmes, c’était juste le côté musculaire en moins (en plus c’est ma femme qui m’a fait ajouté cette référence aux femmes). Sinon je ne pense pas une seconde que les femmes soient plus faibles que les hommes (en plus elles vivent plus longtemps). Et je me demande combien d’hommes sont tués par leur femme chaque année (je connais pas cette stat et celle que je donne ne veut rien dire sans elle).

Sinon internet demain touchera 95% des citoyens exactement comme la TV. Et la collaboration ne passe pas nécessairement par internet. Elle est avant tout une nouvelle façon de vivre ensemble et de penser les solutions à nos problèmes.

Ne pas voir confiance en la nature humaine est une position absurde. Si nous étions majoritairement négatifs, nous n’aurions pas réussi à créer des civilisations. Le win-win est à l’œuvre sinon pas d’évolution biologique.

Quand on n’a pas confiance, qu’est-ce qu’on fait? Il n’y a pas d’issue car on ne peut remettre notre sort entre les mains des ET. Donc faut faire confiance aux hommes, ou subir ceux qu’on n’a même pas choisis.

Thierry Crouzet @ 2007-03-29 12:06:08

J’ai lu l’article de Wired. Nous savons tous que le web est propice au spam. Il le sera toujours. Je ne crois pas que ça condamne le modèle participatif. Ce serait comme dire que la liberté est dangereuse car un homme libre peut faire n’importe quoi.

Aurelia @ 2007-03-29 12:29:03

Je ne pense pas que les civilisations soient le fruit de la confiance en la nature humaine. Au contraire, pour fonder une société, il faut connaître les vices des hommes. Ce n’est pas pour rien que Hobbes consacre les seize premiers chapitres du Léviathan à une anthropologie.

En revanche, je suis d’accord: les dérives du Web 2.0 ne condamnent pas le modèle collaboratif. Il faut juste garder à l’esprit que de la technique, notamment lorsqu’elle s’applique aux pratiques réticulaires, n’est pas intrinsèquement porteuse d’un surcroit de démocratie. Tout reste à faire en la matière.

Garbun @ 2007-03-29 13:17:53

" Ce serait comme dire que la liberté est dangereuse car un homme libre peut faire n’importe quoi."

Et pourtant c’est bien là l’argument principal des anti-libéraux.

Thierry Crouzet @ 2007-03-29 13:49:51

Plus les gens sont à gauche, moins ils font confiance à l’homme. Je n’ai jamais compris pourquoi alors que les valeurs humanistes devraient être à gauche avant tout (du coup j’ai bien du mal à me positionner en politique traditionnelle). Si l’homme n’était pas majoritairement "bon" il n’y aurait pas d’homme. Donc ne pas faire confiance à l’homme est absurde. Bien sûr il y a des déviants mais il ne faut pas faire de leur particularité une généralité.

manu21 @ 2007-03-29 15:19:55

Bonjour,

Ce que suggère le post de Thierry, c’est un processus qui s’appelle le back-casting. Il s’agit d’abord de projeter une situation future, de la décrire (ce n’est pas un scénario, mais plus un photo) pour ensuite revenir vers le présent. On regarde à partir de ce qui existe aujourd’hui, ce qu’il y a à faire pour aller vers la situation désirée.

Ce processus est à la fois simple et puissant. Il donne une vision claire de ce qu’il à faire et structure la situation actuelle et future. En fait, il est intéressant non, de le faire une seule fois mais autant que nécessaire. Alors on back-cast pour construire demain ?

Ca serait rigolo de la faire sur le net. Je ne sais pas s’il existe des outils pour le faire. Un wiki pourrait peut être faire l’affaire ?

Thierry Crouzet @ 2007-03-29 15:22:55

Bone idée manu21. Faut que je remette en route mon wiki. Je sais mais manque un peu de courage... ça va venir.

Henri Alberti @ 2007-03-29 15:57:43

A Garbun entre autres:

Je m’adresse à toi parce que tu résumes un problème de confusion voir un quiproquo.

« Et pourtant c’est bien là l’argument principal des anti-libéraux. »

Tu utilises « libéraux » dans le sens liberté ( pour être simple ), nous sommes pas mal de gens dans ce blog à l’utiliser de cette façon. Mais l’état libéral ou la communauté libérale n’existe pas ( pas encore ), c’est un projet. Vu sous cet angle « anti-libéraux » n’existe pas, ou en tout cas pas ceux que tu crois.

Ceux qui se disent anti-libéraux utilisent un autre sens pour « libéral », quelque chose comme néo-capitalistes qui eux existent : une certaine partie des politiques des USA et Grande Bretagne par exemple.

Il faudrait sérieusement se débarrasser de certains préjugés, et des fantasmes de préjugés de son interlocuteur.

Benoit @ 2007-03-29 21:08:58

L’idée est séduisante. Mais la démocratie collaborative n’est elle pas une utopie?

Vous indiquez bien que c’est une implémentation "qui reste à inventer".

Je vous rejoint sur le fait que la loi ne règle pas tout et qu’il serait temps de mettre plus de conciliations...

Mais je ne crois pas en la faisabilité d’une démocratie collaborative au niveau national, dans un Etat de plus de 60 Millions d’habitants comme la France. Avez vous déjà participé à des réunions? A dix personnes d’avis différents c’est déjà très difficile de se faire entendre, imaginez si chacun pouvait donner son avis: personne ne serait entendu.

Le système actuel est imparfait, mais c’est à peu pret le moins pire!

Je crois par contre en des structures locales de conciliation, par exemple des "arbitres" issus de la société civile: une forme de tribunal allégé, épaulé d’experts.

Garbun @ 2007-03-30 00:15:30

@Henri, non je n’ai pas utilisé le terme "anti-libéraux" dans le sens "contre la liberté", mais bien pour désigner ceux qui critiquent ceux que tu appelles les "neo-capitalistes", ils se définissent d’ailleurs eux-mêmes de cette façon (personne n’est d’ailleurs contre la liberté en elle-même, dans son sens le plus large).

Et je disais donc que ces anti-libéraux utilisent comme argument de fond le fait que la liberté - principalement économique donc - permettrait de faire tout et n’importe quoi.

A vrai dire je ne vois pas à quel monde ils rêvent. Si quelqu’un qui se dit anti-libéral lit ce message, j’apprécierai qu’il m’expose brièvement la mécanique du système qu’il voudrait.

Hugues2 @ 2007-03-30 01:32:43

Tu as raison Thierry de rappeler que l’être humain est foncièrement bon ! Allez expliquer ça à Monsieur Sarkozy...

Une info qui devrait vous plaire :

Nicolas Sarkozy se verrait-il déjà à l’Elysée ?

Communiqué de la Société des Journalistes de France 3

Encore une nouvelle proposition. Sarkozy veut la résurrection de l’ORTF.

Nicolas Sarkozy se verrait-il déjà à l’Elysée ?

Trépigne-t-il déjà en s’imaginant bientôt disposer des pleins pouvoirs ?

Sans doute grisé par les sondages qui le placent en tête du premier tour, le candidat UMP s’est récemment laissé aller à une petite crise d’autorité dans les locaux de France 3. Une sorte de caprice régalien que l’on croyait appartenir à d’autres temps, ceux de la vénérable ORTF.

M. Sarkozy a en effet menacé de « virer » notre direction. Comme ça, sur un coup de tête. Parce qu’elle n’a pas daigné lui dérouler le tapis rouge et accourir immédiatement à sa rencontre lorsqu’il est venu, le 18 mars dernier, participer à l’émission France Europe Express, présentée par Christine Ockrent.

A peine arrivé, Monsieur le Ministre-candidat se laisse d’abord aller à quelques grossièretés, estimant que cette émission « l’emmerde » et qu’il n’a pas envie de la faire !

Ensuite, le voici vexé de devoir attendre dans les couloirs de France 3 pour être maquillé, d’autres invités occupant déjà les lieux (et oui, France 3 ne dispose que d’une salle de maquillage). Coupable de ce « crime de lèse-Sarkozy », voici notre direction sur la sellette. « Toute cette direction, il faut la virer », a lâché le candidat UMP, comme le rapporte le Canard Enchaîné du 21 mars 2007. « Je ne peux pas le faire maintenant. Mais ils ne perdent rien pour attendre. Ca ne va pas tarder ».

Les Français sont désormais prévenus ! L’une des priorités de Nicolas Sarkozy s’il est élu président de la République sera de couper des têtes à France 3. A la trappe ces directeurs qui tardent à exécuter les courbettes.

Le Ministre-candidat avait déjà habitué notre rédaction à ses poses agacées, à ses humeurs dans nos locaux, face à une rédaction qui ne lui semble manifestement pas suffisamment docile. Comme cette récente provocation gratuite à l’adresse d’un journaliste du service politique « ça ne doit pas être facile de me suivre quand on est journaliste de gauche ! ». Désormais, c’est à la direction qu’il veut s’en prendre ?

La Société des Journalistes de la Rédaction Nationale de France 3 ne peut qu’être scandalisée par une telle attitude de la part d’un candidat à la plus haute magistrature de France. Nous nous inquiétons que M. Sarkozy puisse afficher sans aucune gêne un tel mépris pour l’indépendance des chaînes de service public.

Non, monsieur Sarkozy, les journalistes de la Rédaction Nationale de France 3 ne sont pas et ne seront jamais vos valets. Ils résisteront à toute menace pesant sur leur indépendance. Si nous devons des comptes, ce n’est pas à un ministre-candidat, mais aux millions de téléspectateurs, qui regardent chaque jour nos journaux d’information.

Par respect pour eux, pour leur intelligence, nous n’accepterons jamais aucune forme de mise sous tutelle politique. Ni de votre part, ni de la part d’aucun autre candidat.

A bon entendeur.

La Société des Journalistes de France 3. Le 23 mars 2007

Sources : http://www.unisavecbove.org/spip.php?article2133

Henri Alberti @ 2007-03-30 11:05:49

L’homme est bon ou pas ?

FÉCONDITÉ MORALE

L’égoïsme est une fiction des théoriciens de la morale ; ne vouloir que son propre bien n’est absolument pas, pour le sentiment, simple affaire personnelle. Purement égoïste ne pourrait être qu’une totale surdité affective, un automatisme non accompagné de conscience, le court-circuit entre stimulus sensoriel et volonté sans interposition d’aucun sentiment du monde. Le débauché, le grand criminel, le coeur de glace représentent comme tout autre type d’homme des variétés de l’altruisme ; comme on a dû reconnaître dans le donjuanisme une forme d’amour.

On a démontré que tout mouvement d’altruisme peut être ramené à des gestes d’égoïsme ; on aurait pu démontrer aussi bien que tout acte égoïste cache des élans altruistes sans lesquels il ne serait pas pensable. Les deux déductions, sous cette forme extrême, sont également drôles ; c’est la majesté du concept dans un pot branlant, un jeu intellectuel involontaire - du fait que le terrain affectif sur lequel il se déroule est mouvant.

Ce qui ressort de l’analyse de tout exemple d’égoïsme, c’est un rapport affectif avec l’entourage, une relation entre soi et l’autre qui se trouve être, aux deux bouts, difficile. Mais il n’y a jamais eu non plus d’altruisme à l’état pur. Il n’y a jamais eu que des êtres amenés à rendre service à d’autres parce qu’ils les aimaient,

et des êtres amenés à leur nuire parce qu’ils les aimaient sans pouvoir exprimer autrement cet amour. Ou qui faisaient l’un et l’autre, parce qu’ils haïssaient. Mais la haine et l’amour ne sont eux-mêmes que des manifestations trompeuses, des indices fortuits d’une seule et même force qui tourmente nombre d’entre nous et que l’on peut définir seulement comme une agressivité morale, le besoin - d’ordre finalement imaginaire - de réagir de quelque violente façon sur son prochain, de se répandre en lui, de l’anéantir ou de bâtir, par rapport à lui, quelque constellation riche de trouvailles intérieures. L’altruisme comme l’égoïsme sont des possibilités d’expression de cette imagination morale ; mais ils ne sont, ensemble, pas davantage que deux de ses innombrables avatars.

De même, le mal n’est pas le contraire du bien ou son absence ; ce sont des phénomènes parallèles. Bien et mal ne sont pas des contraires fondamentaux, moins encore ultimes, de la morale, comme on l’a toujours supposé, même pas, probablement, des concepts particulièrement importants pour sa théorie ; ce sont des combinaisons, des abrégés pratiques. Les opposer diamétralement relève d’un stade de pensée antérieur où l’on attendait tout de la dichotomie, et n’est guère scientifique. Ce qui prête une apparence de sérieux à toutes ces bipartitions morales, c’est qu’on les confond avec la distinction entre ce qu’il faut combattre et ce qu’il faut encourager. Cette opposition authentique, inséparable de tous nos problèmes, comporte effectivement, elle, une composante importante de la morale, et toute théorie qui chercherait à l’émousser ou à la réduire ne saurait être que boiteuse. Mais prétendre que tout comprendre, c’est tout pardonner, n’est pas une erreur plus grave que d’affirmer que la décision sur ce qu’a de pardonnable ou d’impardonnable un phénomène moral en épuise la signification. On voit là se confondre deux notions qu’il faut absolument garder distinctes. Ce que l’on doit combattre ou encourager, ce sont des réflexions pratiques et des situations de fait qui le déterminent et suffisent, pourvu qu’on laisse assez de jeu aux contingences historiques, à l’expliquer. Pour justifier le châtiment d’un voleur, il n’est pas besoin de raisons dernières : les actuelles suffisent. Mais on ne trouvera pas trace, en pareil cas, de méditation ou d’imagination morales. Si quelqu’un, en revanche, au moment de châtier, se sent paralysé, s’il voit son droit de toucher à autrui brusquement vaciller, s’il se met à faire pénitence ou se saoule à mort dans des tavernes, ce qui lui arrive alors n’a plus rien à voir avec le bien et le mal; il ne s’en trouve pas moins dans un état de réaction morale extrêmement violente.

La preuve que nous ressentons la morale, en profondeur, comme une aventure vécue, c’est que ses théoriciens eux-mêmes quittent volontiers le terrain sûr de l’utilitarisme pour tenter d’élever ses commandements au niveau d’une expérience vécue originale, pour faire entendre à notre porte les coups frappés par le sentiment - sous le masque d’un étranger imposant : le devoir. L’impératif catégorique - et tout ce que l’on a tenu depuis pour un événement spécifiquement moral - n’est au fond qu’un détour, masqué de dignité bougonne, pour retrouver le sentiment. Mais, ce faisant, ce que l’on met au premier plan est quelque chose d’absolument secondaire et dépendant qui présuppose des lois morales au lieu d’en créer; une expérience accessoire et nullement, il s’en faut ! l’expérience centrale de la morale.

De tous les principes moraux jamais énoncés, le plus fortement imprégné d’altruisme n’est ni «Tu aimeras ton prochain comme toi-même », ni « Fais le bien », mais celui selon lequel la vertu peut s’enseigner. Toute activité rationnelle, en effet, a besoin de l’autre et ne se développe que dans l’échange d’expériences communes. Mais la morale ne commence vraiment que dans la solitude qui sépare chaque homme de l’autre. C’est à cause de l’incommunicabilité, de l’enfermement en soi, que les hommes ont besoin du bien et du mal. Le bien et le mal, le devoir ou la forfaiture sont les formes sous lesquelles l’individu crée un équilibre affectif entre lui et le monde. Or, l’important n’est pas seulement d’établir la typologie de ces formes, c’est, plus encore, de comprendre la pression qui les crée ou l’état de dépression sur lequel elles se fondent, ainsi que leur infinie diversité. L’action - que l’on ait affaire à un héros, un saint ou un criminel - n’en est que la traduction balbutiante. Le meurtrier sexuel lui-même est, en quelque recoin de son âme, plein de blessures intimes, de brigues secrètes, il est encore, quelque part, comme un enfant à qui le monde a fait tort ; mais il n’a pas les moyens de l’exprimer autrement qu’il vient précisément d’y parvenir. Il y a chez le criminel à la fois une résistance et une absence de résistance au monde, et l’une et l’autre se retrouvent en tout homme à forte destinée morale. Avant d’éliminer pareil individu - serait-ce le plus infâme -, on devrait recueillir et conserver ce qu’il y avait en lui de résistance, et que le monde a dégradé. Et nul n’est plus nuisible à la morale que ces maniaques du bien et du mal qui, saisis d’une molle terreur devant telle ou telle de leurs manifestations, en refusent jusqu’au contact.

Robert Musil. ( Mars 1913 )

Hugues2 @ 2007-03-30 14:56:35

Pour répondre à Henri Alberti, "De tous les principes moraux jamais énoncés, le plus fortement imprégné d’altruisme n’est ni «Tu aimeras ton prochain comme toi-même », ni « Fais le bien », mais celui selon lequel la vertu peut s’enseigner. Toute activité rationnelle, en effet, a besoin de l’autre et ne se développe que dans l’échange d’expériences communes." Entièrement ok avec toi !!!

lisez donc plutôt ce texte et mon analyse de notre monde actuel ici :

http://arlesquint.free.fr/Conclusion.html

Amitiés à vous toutes et à vous tous ;-)

humour politique @ 2007-03-30 15:30:15

Les plus faibles doivent mourir, c’est ça la sélection naturelle!

Le PIRE fournis beaucoup de bonne idées à ce propos!

allez-voir leur site =)

www.pire.ca

Sylvain Poirier @ 2007-04-01 13:49:40

Je viens enfin de mettre en ligne l’article que je compte proposer à Agoravox résumant ma théorie politique concrétisée par mon projet de logiciel:

"Infolibéralisme, ou comment le 5ème pouvoir peut remplacer les 4 premiers"

http://spoirier.lautre.net/infoliberalisme.htm

Merci de le commenter ici avant que je ne le soumette effectivement pour publication.

En réponse à:

"Nous savons tous que le web est propice au spam. Il le sera toujours."

A mon avis, une fois mon projet réalisé il ne le sera plus.

Par ailleurs:

Je ne crois guère que les acquis sociaux protègent les faibles, sauf cas particuliers. Les seules mesures "sociales" que je conçois comme assez efficaces pour protéger le faible sans trop d’effets pervers sont le revenu d’existence, le financement public de l’école primaire et les allocations pour handicapés.

Comme Henri vous avait signalé, j’avais déjà expliqué ici un aspect des choses

http://spoirier.lautre.net/revenu-capital-travail.htm

Un autre bloggeur libéral a également commenté sur le sujet

http://jesrad.wordpress.com/2006/11/04/dallaaaaas-ton-socialisme-impitoyaaaaable/

Henri Alberti @ 2007-04-01 15:36:02

A Sylvain:

Je vois que tu as fais un effort pour enfin ne plus faire référence à la gauche et à la droite, ce qui est normal quand on prétend remplacer tous les pouvoirs par un seul. Ton projet peut être qualifié en restant modeste de révolutionnaire ( plutôt évolutionnaire ), donc tout clivage artificiel est une idiotie. Bravo. Si tu pouvais faire la même chose avec les autres liens, cela détendrait l’atmosphère en évitant toutes crispations réflexe.

Si tu ajoutais ta définition de ce que tu appelles la croissance qui n’a rien à voir, de près ou de loin avec la définition usuelle, cela serait un plus.

Une remarque: le mot honnêteté n’est pas assez neutre et précis.

Sylvain Poirier @ 2007-04-01 18:43:35

Je ne remplace pas tous les pouvoirs par un seul, mais par une myriade de pouvoirs indépendants.

Euh ? Effectivement je ne parle pas de la gauche quand j’expose les principes d’un monde meilleur, pour la bonne raison que dans un monde meilleur la gauche n’existerait plus. Quoi d’étonnant à ce que je ne parle pas de ce qui ne devrait pas exister, quant on me demande quel monde je cherche à construire ? Ceci dit, je ne me fais pas d’illusion: les dinosaures de la débilité humaine ne mourront pas facilement de leur plein gré. Dans la période transitoire, une guerre civile entre une minorité de gens libres et sensés et une majorité de fous défenseurs du totalitarisme "social" qui ne supporteront pas de voir d’autres gens réussir sans entrer dans le moule de leurs réglementations et autres cotisations n’est même pas à exclure. Mais ce genre d’évènement ne serait à mon sens qu’un artéfact de l’histoire (comme bien des évènements historiques n’ont été que des artéfacts comme par exemple l’union soviétique...) en attendant que la vérité s’impose d’elle-même par la force des choses et de la technologie malgré l’opposition des hommes : je ne m’intéresse qu’à l’objectif final.

Si des gens font des crispations réflexes c’est leur problème et non le mien. Je ne considère pas de mon devoir de tordre la vérité rien que pour ne pas froisser ceux dont la meilleure manière qu’ils connaissent de se donner bonne conscience est de consacrer leur vie à diaboliser cette vérité. Et cela ne crispe que les gens qui sont conditionnés par l’erreur, tandis que d’autres n’y verront que du naturel.

Si on me parle de la gauche, je ne peux que m’y opposer dans la mesure où l’écrasante majorité des mesures que réclament les mouvements qui se situent de ce côté (y compris ATTAC et l’altermondialisme) seraient strictement nuisibles à l’intérêt général. Le constat en est clair, concret et précis, et tourner autour du pot à ce sujet n’aurait pour moi aucun sens. Ceci ne vaut pas compliment pour "la droite", aucun rapport.

En ce qui concerne la notion de croissance, euh je n’en ai pas écrit de définition très précise dans mon site sauf celle-ci que je recopie:

"La croissance c’est le fait de permettre aux gens d’accéder au même confort en travaillant moins, toutes choses étant égales par ailleurs (i.e. dans la mesure où cela ne nuit pas au reste de la société et à l’écosystème). Refuser la croissance, c’est vouloir obliger les gens à toujours travailler dur pour un résultat donné alors qu’aucune nécessité n’obligeait à cela. C’est donc une volonté de faire ch... purement sadique."

à quoi s’ajoutent quelques remarques:

http://spoirier.lautre.net/philo/civilisation.htm

http://spoirier.lautre.net/philo/origines-du-mal#croissance

Je ne vois pas l’intérêt de l’ajouter à mon texte sur l’infolibéralisme déjà très serré pour tenir dans la taille demandée, aucun rapport à mon avis.

Thierry Crouzet @ 2007-04-01 18:55:59

@Sylvain j’ai créé un post pour recuillir tes commentaires, là c’est le bronx.

http://blog.tcrouzet.com/2007/04/01/infoliberalisme/

Henri Alberti @ 2007-04-01 19:03:49

Sylvain :

Heureusement que je te complimentais...

Il faut un minimum de diplomatie et de psychologie quand on veut faire avaler un cube à quelqu’un.

Je vais voir ou en sont tes textes de math, voilà !

Sylvain Poirier @ 2007-04-01 20:48:35

@Thierry: oui je sais, seulement je répondais ici à Henri sur des questions qui à mon avis n’avaient pas de réel rapport avec l’article en question.

dikipare @ 2007-12-22 06:08:39

artisant ètrangè je suis ,le travail est une realitè et construction de l homme ,imaginer ne veut rien dir je pensse, l homme est la plus grande combinaison possible,pas d ouverture possible, je pensse , maitriser, soutenir, manipuler, et respecter, les pauvre font vivre les riches depuit des lunes , conssomation probleme,combien annee l homme a mi pour persé le secret des piramides a til vraiment reussi ou le pence t il, la force developer par l eford et une reel veritè de compreention, limaginaire ne fait que passè a cotè ,t en h omme et de femme son capable de faire la diference mai pas possible, ils sons souvant ècrasè et èsuiyer avec une poigneè euro, coupé les maillonts, inci le chant des hommes,ecraseè les derniers chevalier, qui on les cles et vous n aurai plus qu a vous branchèes a vos propre ordinateur ,pour survivre et essèyer de compremdre

les cerveau ne tiene pas dans une main ,je pense qu il son souvant dans l union,artisant et travailleur respecter le meilleur vous optiendrè beaucout plus, je vous l aisse devinè l inversse suivant le degreè infligè.

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