Thierry CROUZET

Tags : métalangage du web

Henri Alberti, l’amoureux de la rigueur nécessairement intéressé par le formalisme, vient d’attirer mon attention vers une interview de Pierre Levy publiée dans Le Monde (PDF).

Ce texte est loin de m’avoir enthousiasmé, au contraire, je le trouve profondément rétrograde. Non pas à cause de l’éloge de l’intelligence collective, qu’il faut encourager à tout prix, mais à cause du chemin pour y parvenir que propose Pierre Levy, le langage IEML (Information Economy Meta Language).

Je commence à tiquer lorsque Michel Alberganti demande à Lévy « Internet n’est-il pas aujourd’hui une immense bibliothèque aux livres entassés en désordre ? » et que Lévy approuve. Je ne suis pas d’accord, mais pas du tout d’accord.

Internet est désordonné seulement si on le regarde avec les yeux d’un bibliothécaire du dix-neuvième siècle, voire du vingtième. Il est désordonné parce que l’information n’est pas hiérarchisée, n’est pas rangée dans des cases elles-mêmes rangées dans d’autres cases.

Sur internet, ce désordre apparent cache une structure bien plus subtile, proche de celle de nos cerveaux, un réseau d’interconnexion entre les informations. La structure n’y est plus hiérarchique mais topographique : il existe un chemin de telle information à telle autre. La largeur du chemin et sa distance suffisent à déterminer leur proximité. Cette organisation autorise des relations de n à n sans aucune limite. On est passé du 2D des bibliothèques au multidimensionnel.

Pour essayer d’organiser cet espace, Lévy veut bâtir un nouveau métalangage. J’ai toujours un léger frisson à l’évocation de projets de cette espèce. Je pense aux positivistes, à leur rêve d’un langage mathématique absolu… rêve détruit par Gödel en 1931. Il n’y aura jamais de métalangage capable de structurer l’ensemble des connaissances et des informations.

D’ailleurs pourquoi inventer un tel langage ? Pour structurer le web au-delà de ce que propose les moteurs de recherche, nous avons découvert il y a trois ou quatre ans une solution : les tags.

Voici un magnifique exemple d’intelligence collective en action. Les utilisateurs créent une taxonomie dynamique. Ils associent telle information à tel mot-clé. Peu à peu, un réseau se dessine, un metaréseau car il résulte de liens au-dessus des liens initiaux existant sur le web.

Nous devons à tout prix éviter d’enfermer le web dans un formalisme qui pourrait l’étouffer. Il serait dangereux de vouloir retrouver un semblant d’ordre classique. Avec l’hypertexte, le lien non hiérarchique entre deux informations, nous avons découvert la classification du millénaire à venir.

Les tags viennent qualifier ces liens. Ils ne sont jamais uniques, ils n’obéissent à aucune autre logique que celle des utilisateurs, mais peu à peu ils se renforcent, privilégient des sens de circulation. Le web est un réseau qui apprend, c’est un immense cerveau d’enfant.

Initialement, les liens étaient à sens unique. Je pointe vers toi. Aujourd’hui, ils deviennent de plus en plus souvent réciproques. Je sais que tu as pointé vers moi et je repointe vers toi. Cette circulation à double-sens sera le véritable moteur de l’intelligence collective.

En tant que blogueur, je l’éprouve à tout moment. Quand un autre blogueur pointe vers mes textes, je vais le lire, je le commente parfois, nous nous rencontrons d’autres fois, nous créons peu à peu des communautés de pensée qui avancent plus ou moins dans la même direction. C’est cela l’intelligence collective.

Il est alors possible de cartographier ces liens, de découvrir des connivences et aussi des pistes qui n’ont pas encore été explorées. Des auteurs qui ne se sont jamais rencontrés peuvent être très proches même en l’absence de lien direct. Les cartes, telles celles que trace RTGI, peuvent révéler ces proximités.

Nous pourrons bientôt créer des liens vers des liens. Plutôt que de pointer vers des informations, nous pourrons pointer vers leurs mises en relation, c’est-à-dire un tag. Il sera ainsi possible d’empiler des cartes au-dessus des cartes. L’avenir de la recherche sur internet passe par-là et non par un quelconque langage plus ou moins formalisé.

Il ne faut pas créer un langage mais créer des outils qui permettront aux réseaux d’apprendre chaque fois que les utilisateurs lieront entre elles des informations.

PS1 : Pierre Lévy dit pouvoir proposer son langage d’ici trois ans. Ce n’est pas une échelle de temps web. C’est comme si un entrepreneur annonçait lancer sa société cent ans plus tard. C’est absurde.PS2 : J’ai en ce moment la tête plongée dans les tags. Je les ai intégrés depuis quelque temps à bonWeb, de telle façon que la classification des sites s’effectue d’elle-même. Le système apprend tout seul et de mieux en mieux. La base de données initialement hiérarchisée devient peu à peu topographique.

Henri Alberti @ 2007-06-24 12:23:38

Thierry a niqué une grosse mouche amoureuse:

Que l’on dise que je suis amoureux de la rigueur a autant de sens que de dire que je suis amoureux de la façon de me coiffer.

Ne rigolons pas, voilà ce qui arrive quand on oublie son peigne ou une rigueur minimum.

J’ai lu le texte du monde en diagonal et je n’ai pas fait attention à cette histoire de métalangage. Donc je suis tout à fait d’accord avec le billet de Thierry.

J’ai visité le site du IEML: Non content d’essayer de contre dire l’impossible ( Godel, Turing ), ils mélangent allègrement Saussure avec la sémiotique, les grecs avec le moyen age pour arriver a ( et ce qui sera toujours ) une espèce de bricolage qui prétend être cohérent.

Thierry, tu encules les mouches, là ! ((-:

Thierry Crouzet @ 2007-06-24 12:50:48

Mais non... ;-)

En lisant ce texte, en réaction plutôt, j’ai pu préciser mes idées au sujet des cartes et des tags. C’est de ça que j’ai parlé plus que du IEML...

Enfant Terrible @ 2007-06-24 13:50:17

Ô Babylone, Babylone

Ils élevaient ton temple

A la gloire des hommes.

Il Lui fallait un exemple...

Ceci dit, il me semble qu’il ne parlait pas de l’étendre à l’ensemble du web. Il s’agissait de domaines bien spécifiques, le sien en particulier, l’économie.

"Qu’il y reste!" me direz-vous, bandes de spécialistes :-) et sur ce coup vous n’aurez probablement pas tort vu qu’il n’a même pas évoqué le classement à facettes ou bien qu’il s’imagine que la totalité des fonds documentaires sont exploités à 100 %dans une bibliothèque. Ne parlons pas non plus du progrès qu’à fait faire l’informatisation des réseaux de bibliothèques aux Etats-Unis avant d’être plus ou moins bien pris en exemple en France (le "grand déménagement" a aussi pris du temps et a occasionné certaines "disparitions").

Bref, en disant au contraire que le langage appartenait à l’être humain et pas aux machines, je pensait qu’il avait éveillé la curiosité des gens sur quelque chose qui n’avait pas été évoqué jusqu’alors.

Je me prenait à imaginer des surperTags reliés par de nouveaux opérateurs et connecteurs encore plus proches de nous qu’ils ne l’ont jamais été.

Mais j’aurais du me douter que s’il confondait, dans ses réponses, intelligence et érudition, les ponts d’un nouveau genre qui devaient naître entre les disciplines tarderaient à voir le jour.

Ton commentaire, Henri, a achevé de me faire comprendre qui était à la tête d’un projet aussi ambitieux.

Il faut par contre faire attention: ce n’est pas parce que le métalangage ne sera jamais fondateur de quoi que ce soit, qu’il n’a aucune existence et aucune fonction réelle dans le monde. un simple discours indirect sert à montrer que les événements ont été rapportés, et ce n’est pas rien.

Seules les LIMITES du métalangage ont été découvertes (avec Gödel entre autres). Je pensais que, depuis, autre chose avait été défriché à leur sujet et que ce quelque chose avait stimulé de nouvelles découvertes dans la manière même de rechercher.

"Falch Geraten"! comme disent les allemands, "essayes encore..." répète le joujou électronique...

Henri Alberti @ 2007-06-24 14:19:36

Tout à fait d’accord avec Enfant Terrible ( j’ai tout compris ) à condition que la phrase:

"Seules les LIMITES du métalangage ont été découvertes (avec Gödel entre autres)."

Veuille bien dire que l’on peut faire tout ce que l’on veut avec un métalangage, sauf que de temps en temps on ne saura pas si c’est correcte ou pas ( je vulgarise ).

Guilhem Fouetillou @ 2007-06-25 11:38:54

Passionnant billet Thierry. Je souscris évidemment totalement à tes commentaires et suis je dois l’avouer assez consterné par ce projet IEML qui semble ressurgir des confins du web sémantique qui je l’espérais était bien mort et enterré depuis l’arrivée triomphale des folksonomies.

Ce chercheur est resté bloqué dans un web encyclopédique espace de connaissance alors que nous somme passé à un web social espace de "faire connaissance".

De plus je ne peux que m’inscrire en faux devant cette tentative de (re)sémantisation de cet "espace documentaire" au détriment de son organisation hypertextuelle, de sa topographie.

L’avenir du web en tant qu’objet de recherche est du côté de son graphe social, dans le renouvèlement de l’étude des réseaux sociaux, la sémantique ne vient qu’après, le web sémantique (débarrassé de sa tentation universaliste, positiviste) ne pourra se construire que sur la carte de ses liens, de ses proximités, de ses groupes sociaux.

paul de montréal @ 2007-06-25 20:24:15

Je prefere le connecteur au censeur ou simplificateur.

Reste qu’avec tous ces langages informatiques, qui se créent et disparaissent pourrait on ralentir un peu pour ces pauvres programmeurs qui doivent sans arrêt se mettre à jour.

Merci pour eux.

XML est un métalangage deja utilisé sur le web.

http://en.wikipedia.org/wiki/Metalanguage

In logic and linguistics, a metalanguage is a language used to make statements about other languages.

HTML and XHTML are examples of markup languages that can be used by anyone wishing to present Web pages on the internet with media such as text (formatted or unformatted), graphics, sound and video. Markup languages are different to metalanguages as they only describe how a document should be presented and not the syntax of a computer programming language. XML is the metalanguage used to describe to XHTML just as SGML is used to describe HTML

Enfant Terrible @ 2007-06-26 16:02:06

@Henri:

Cela veut simplement dire qu’on peut relier deux hypothèses entre-elles, comme le fait l’histoire en cherchant des facteurs de continuité qui donnent une histoire et une unité par exemple aux différents domaines mathématiques, en les associant justement au mot "mathématiques" lui-même.

Mais la limite empêche de nommer l’un d’entre eux en tant qu’ origine des autres, même s’il est chronologiquement antérieur aux autres, en s’appuyant uniquement sur ce classement organisé autour de l’étude d’un objet.

Ce qui a défrayé la chronique dans la découverte de Gödel, c’est qu’elle remettait en cause la notion même de sciences organisées de manière sûre (idée que l’on se faisait des sciences à l’époque où l’histoire n’avait pas encore bien déterminé son objet).

Ceci dit, on peut regretter que la plupart des pédagogies du premier et second cycle tentent de clarifier le sens de ce que peut être une science en avalisant ce principe d’organisation, tout en regrettant d’autre part que les futurs jeunes scientifiques ne jurent plus que par leurs disciplines respectives.

Car la seule justification opposée à ce regret est qu’il faut bien commencer par quelque chose pour leur apprendre, pour qu’ils s’y retrouvent dans le monde simple dans lequel ils vivent.

L’enseignement est une médiation, et restera une médiation (une béquille) quoique l’on puisse en dire par ailleurs, et il a besoin du métalangage pour donner un semblant de réflexion à la bouillie de ce que l’on a nommé avec fierté l’ère historique par rapport à l’ère pré-historique.

Il faudra sans doute apprendre aux élève à supporter la déception devant laquelle ils se retrouveront lorsqu’ils comprendront qu’ils doivent choisir de rester dans un monde organisé ou d’entrer dans un monde désordonné.

Si seulement le sacrifice que l’on fait pour apprendre quelque chose avait un sens...

Enfant Terrible @ 2007-06-26 16:14:31

Quant aux enfants, les êtres les plus chétifs et les plus fragiles du monde (par rapports aux petits de tous autres animaux). Doit-on répéter pourquoi leurs parents s’évertuent à leur simplifier le monde. L’intuition nous souffle qu’il faut faire quelque chose pour les aider à faire avec ce traumatisme qui les attend. Ne serait-ce que pour nous protéger, nous, des foudres de ces futurs adultes.

C’est un art que la civilisation non-a a su développer, mais pas encore la notre...

Robin COULET @ 2007-06-26 17:50:49

Finalement Pierre Lévy assume tout. Tout en inavouant son inexpérience, il exprime clairement son intention de créer. Il cherche à inventer quelque chose, à tout prix. L’écueil est considérable : faire un langage qui soit manipulé par des ordinateurs, puisque les langages humains ne le permettent pas, puisque les langages humains ne sont pas calculables, alors que justement le tag est tout sauf un langage avec calcul. Le tag est sans calcul, sans science, sans fondement, mais il est le sens, puisque son mode de médiation est : Tout Le Monde. Pierre Lévy cherche...il veut chercher, espere trouver des mots pour indexer. Mais les mots ne sont ils pas faits pour "dire" ?

Son langage utilisé exclusivement par les ingénieurs de la connaissance ou autres architectes de la communication, son programme de recherche scientifique qui fera apparaitre les dimensions géométriques du savoir, son truc, quand il aura fini de le chercher (atterissage prévu dans 2 à 3 ans), ne fabriquera pas d’idées nouvelles.

Ah bon, en plus ?

Pour sans servir il faudra faire un effort de formalisation. Un effort de formalisation, dans un espace défini de liberté...

Pierre Lévy se contredit sans doute.

Sophie @ 2007-08-20 09:01:46

J’ai beaucoup apprécié ce billet je me permets d’en reprendre quelques extraits (en vous citant) dans mon blog à destination de mes collègues, j’espère que vous n’y verrez pas d’inconvénients ?

Thierry Crouzet @ 2007-08-20 09:07:15

Pas de problème Sophie... c’est de l’open source.

Généreux Gary, président de l’association dixiemefamille.com @ 2007-10-17 15:56:39

Je suis écoeuré, dégoûté pour ne pas dire plus - et je le dis - par l’avanlanche nauséabondes des critiques même pas constructrives, mais surement méchantes, envers les recherches de Pierre Levy, contre un homme qui essaie depuis 15 ans, de bâtir quelque chose.

Bâtir, construire, messieurs les censeurs, vous devriez méditer ce mot.

Evidemment que tout ce qui’l fait n’est pas en béton, qu’il tatonne, qu’il cherche et recherche, mais au moins, lui il agit. Et ne se contente pas de rester assis sur son cul pour réciter des saloperies, mais pour renter d’améliorer les savoirs. Et la transmissions de ceux -ci.

Je suis président d’une association, dixiemefamille.com, qui tente depuis trois ans, avec plus ou moins de succès, d’organiser un système de transmissions de savoirs envers les plus démunis.

Comment?

La plupart des gens trouve le concept formidable, alors qu’il faut ll’organiser et c’est là que les ennuis commencent.

Grâce à l’ontologie IEML, nous allons pouvoir dans 3 ou 4 mois utiliser ce langage ppour harmoniser des problèmes que nous ne parvenons pas à résoudre avec l’internet habituel.(celui auquel il ne faut pas toucher d’après certains)

Sans doute la meilleure façon de vous répondre.

En dehors de ma colère.

Gary Généreux.

(pour ceux qui se poseraient la question, c’est mon nom)

Thierry Crouzet @ 2007-10-17 21:04:46

Il s’agit justement de construire... pas de rêver d’outils idéaux.

Généreux Gary, président de l’association dixiemefamille.com @ 2007-10-18 10:15:05

oui, mais pour construire, il faut aller sur le terrain et obenir bcp d’échecs. C’est comme ça qu’on trouve. Justement en rêvant. Quant aux outils merveilleurs déjà existants sur internet, dont parle ce monsieur Alberti, ils sont d’une part bcp plus soumis à la loi du marché qu’on ne pense - gratter un peu - et trouver les liens aussi merveilleux existants décrits par ce monsieur Alberti est réservé aux grands chercheurs comme ce monsieur. Pas au grand public.

GG

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