Quand je dis que je crois qu’il existe du hasard dans le monde, on me répond souvent que le hasard n’explique pas tout.
Ai-je dis qu’il n’y avait que du hasard ? Et même si c’était le cas, les phénomènes émergeants nous montrent que, à partir du hasard, l’ordre peut apparaître. Dans le monde, il y a sans doute du hasard et aussi beaucoup d’ordre.
J’ai déjà parlé de temps à autres des coïncidences qui se produisent parfois dans nos vie. Il m’est arrivé de me retrouver nez-à-nez dans le métro avec un de mes amis qui vit dans le Midi. En juin dernier, en rentrant de Suisse en TGV, quelqu’un m’a demandé si je ne m’étais pas trompé de place. J’ai levé la tête, c’était un de mes cousins. Nous avons éclaté de rire.
Durant mes études, un ami qui vivait à Montpellier me parla d’une anecdote semblable. Il se retrouva dans un supermarché new-yorkais face à son voisin auquel il n’avait jamais adressé la parole. Ils firent enfin connaissance.
Phyrezo vient d’attirer mon attention sur un article au sujet de la sérendipité version Yung. J’ai eu l’impression de lire du Wilber. Ça commence mal :
Tout ce qui arrive ne peut être expliqué par des relations de cause à effet, écrit l’auteur. Il y a des liaisons évènementielles qui ne sont pas simples à expliquer.
Ce n’est pas parce que nous expliquons avec difficulté, ou que nous sommes même incapables d’expliquer, qu’une causalité n’est pas à l’œuvre. Quand on commence un raisonnement par un raccourci de ce genre, il me semble qu’on ne peut qu’aboutir à des conclusions douteuses.
Par ailleurs, le principe de non causalité existe en physique quantique, tout ça pour dire que la science ne croit pas que tout est causalement lié (ce qui ne veut pas dire qu’elle a raison). Je partage cette croyance car je crois à la liberté, donc à la possibilité, même rare, d’une non-causalité.
Dans ce cadre, comme expliquer la sérendipité ? J’ai une fois lu un article qui après calcul affirmait que, suivant la loi des grands nombres, il est logique qu’il nous arrive de temps autres des évènements improbables comme le raconte Yung ou comme je viens de le raconter.
L’exemple de Young avec les poissons n’est d’ailleurs pas si extraordinaire que ça. Après avoir acheté un cabriolet gris métallisé, j’ai vu partout des cabriolets gris métallisés, surtout de la même marque que le mien. J’étais simplement devenu attentif à des évènements qui au préalable passaient inaperçus. La sérendipité survient d’autant plus que nous sommes attentifs.
Mon explication psychologique ne clôture pas le sujet. Que dire si la sérendipité survient plus souvent que ne le prédit la loi des grands nombres ? Si c’est le cas, ce que je crois, faut-il invoquer une causalité magique ? Je préfère parler comme Young d’une synchronicité mais je ne l’expliquerais pas de la même façon.
Nous sommes interconnectés avec nos amis et nos relations. La carte sociale se superpose à la carte géographique. Les lieux où je passe ont de bonnes chances d’être visités par les gens de mon réseau. Un restaurant par exemple. Nous sommes d’une certaine façon synchronisés à travers le réseau. Nous regardons les mêmes films, lisons les mêmes livres… tout ça fait que nous ne sommes plus dans une situation initiale totalement aléatoire. Un peu de hasard là-dessus suffit à provoquer des évènements exceptionnels.
Il ne faut pas oublier que le hasard s’applique à une situation initiale qui elle n’est pas nécessairement aléatoire (elle peut justement résulter d’une émergence). C’est ainsi que le hasard conduit au cours de l’évolution à des évolutions improbables si on les estime from scratch.
Un exemple pour être plus clair. Expliquer l’apparition du vol à partir d’animaux cloués au sol, c’est tout simplement impossible à l’aide de mutations hasardeuses. En revanche, l’expliquer à partir d’animaux, des dinosaures en l’occurrence, ayant adopté depuis longtemps les plumes pour leur qualité thermique, c’est beaucoup plus simple.
Mais je n’ai même pas besoin d’évoquer le hasard pour expliquer la sérendipité. À force de partager des expériences à travers le réseau de nos interactions, même indirectement, nous nous synchronisons comme les cigales qui se réveillent tous les 7, 11 ou 13 ans ou les horloges de Huygens.
La sérendipité serait en quelque sorte un phénomène naturel, pas mystique pour deux sous même si pour l’expliquer il faut recourir à la théorie de la complexité.