Le blogueur se retrouve seul, avec quelques lecteurs mais seul. Vinvin vient d’exprimer un sentiment que je partage. Les années passées, nous nous sommes sans doute laissé griser par les regards portés sur nous mais ils avaient pour mérite de provoquer des conversations. La mayonnaise est retombée, comme je l’évoquais déjà en 2007.
Mais n’est-ce pas un peu de notre faute. Nous avons critiqué le système, dénoncé son incurie et le système à son tour prend du plomb dans l’aile, tentant de s’illusionner de sa vitalité en légiférant sans cesse. Ce n’est pas à cause de nous, c’est juste que nous avons traduit un sentiment déjà enraciné dans l’âme des hommes, nous l’avons fait résonner et entrer en vibration. Maintenant la mayonnaise du capitalisme nous donne des aigreurs d’estomac, nous n’avons plus envie de toujours plus de matières grasses mais d’autres choses.
Il nous faut proposer une autre cuisine. Depuis longtemps, nous le faisons en écrivant gratuitement, en nous exposant gratuitement, en tentant d’inventer la coopération. Depuis longtemps nous avons remis en question les droits d’auteurs, puisque nous y avons renoncé implicitement, persuadés que dans l’échange s’inventent une nouvelle humanité. Alors ça nous rend maussades de voir que des artistes défendent les lois rétrogrades comme hadopi.
Parmi les blogueurs anti-hadopi, certains défendent paradoxalement les anciens partis, le monde bien ordonné, d’un côté le blanc, de l’autre le noir, c’est rassurant, et rassurer reste le meilleur moyen d’avoir des lecteurs. D’autres commentent l’actualité, ce qui se passe puis s’en va aussi vite, ils imitent la presse. Encore une formule qui marche. Mais à quoi bon dépenser de l’énergie à dire ce que tout le monde sait déjà.
Le véritable défi, c’est vers demain. Comment allons-nous vivre ? Qu’est-ce qui va nous réjouir, nous émouvoir, nous rendre fiers de que nous accomplissons ? Je suis malheureux quand je me dis que je suis impuissant, que nous sommes incapables de transcender, d’éveiller les potentialités que nous ressentons tous.
Quand j’ai écrit Le cinquième pouvoir, j’avais l’espoir parce que je ressentais une force que je ne ressens plus aujourd’hui. Grâce à Twitter, je ressens le bouillonnement des âmes du monde, mais je ne vois émerger aucun ordre. C’est une sorte de conscience reptilienne, encore trop peu humaine pour qu’elle fasse acte de liberté.
Le blog est individualiste, proche du livre et de l’ancienne culture. À l’opposé, Twitter approche du degré zéro de la pensée. Il la décompose en impressions fugitives. Je joue entre ces opposés en écrivant Croisade. J’avoue que je m’amuse beaucoup, plus que jamais avec le blog peut-être. Comme le suggère Vinvin, l’important est sans doute d’inventer, d’expérimenter, d’exploiter les potentialités d’une forme. Cette recherche nous amènera peut-être à trouver des solutions plus générales et plus vitales pour l’ensemble de l’humanité.
Le plus rageant c’est de ne pas voir les choses changer aussi vite qu’on le voudrait. Tout s’effondre et rien ne se passe. C’est une sensation terrible. Faut-il l’éprouver jusqu’à la lie avant d’être capable de se reconstruire ?
PS : Peut-être qu’en consolidant les tweets comme je le fais avec Croisade, on simule les mécanismes fondamentaux de la conscience. On passe du fugitif à la pensée solide. Des outils comme Twitdoc ouvrent des perspectives nouvelles.