Thierry CROUZET

Intégral réfutation

La philosophie intégrale, fondée par Ken Wilber, m’attire et me repousse en même temps. Depuis que je l’étudie, je sens qu’elle est inconsistante comme j’ai déjà tenté de l’expliquer. Le sujet m’est revenu à l’esprit durant la journée sur l’intelligence collective organisée par TheTransitionner et Jean-François Noubel.

Pour Wilber, nous devons nous-mêmes procéder à un développement intégral, c’est-à-dire développer notre esprit aussi bien que notre corps, en ne négligeant aucun des plans de l’existence. Ainsi Jean-François nous a fait travailler le corps, le mental et l’esprit simultanément.

Il m’a fait sentir combien je négligeais certains domaines auxquels j’attachais jadis plus d’importance. Il m’arrive trop souvent de me faire avaler par mon PC. Et c’est avec difficulté que je m’en arrache pour aller me promener en garrigue. Et, même quand j’y vais, je suis aujourd’hui incapable d’y traîner pendant des journées entières juste pour chercher le bon endroit où peindre une aquarelle. Je vis une espèce d’impatience perpétuelle.

J’ai pris conscience de ce travers et je travaille à le dépasser, toutefois je n’envisage pas devenir un philosophe intégral. Il me paraît invraisemblable de cultiver tous les plans existentiels possibles, selon une espèce d’éclectisme universel. Comment, en même temps, épanouir sa vie sexuelle, familiale, artistique, intellectuelle, politique, économique, physique, spirituelle… et, dans chacun de ces domaines, approfondir chacune des milliers de possibilités ? C’est tout simplement impossible.

J’ai pourtant fait l’éloge de l’éclectisme dans mon Ératosthène. Mais éclectique ne veut pas dire selon moi goûter à tout, pris d’une espèce de maladie de la superficialité, mais plutôt goûter à certaines choses en particulier, les approfondir, souvent à des moments divers de sa vie, et se constituer un cocktail unique qui fait que nous différons des autres.

J’ai malheureusement l’impression que le rêve de l’integral philosophy est de faire en sorte que nous nous épanouissons tous de manière égale, que nous soyons le résultat de la même intégration idéale, donc identiques. Pour moi l’intégralité, nom moderne pour désigner l’idéalité, est une très vieille idée. Je me passionne plutôt pour la diversité.

J’étudie en ce moment la constitution des supers organismes. Une des choses les plus passionnantes est l’évolution de la coopération. Plus il y a coopération, plus il y a spécialisation. Plus il y a spécialisation, plus il y a coopération. Une fois que le boulanger pétrit mon pain, je dépends de lui mais, en même temps, je profite du temps gagné pour mieux me spécialiser dans autre chose. C’est ainsi que se construisent les sociétés. Chez les insectes sociaux, la spécialisation se limite à quelques castes. Chez nous, elle se déploie presque à l’infini.

Plus une société se complexifie, plus il y a de spécialités. On peut imaginer que ce processus se poursuive jusqu’à ce que chacun de nous devienne l’unique spécialiste de sa spécialité. Nous devenons alors indispensables à notre société. La spécialité ainsi conçue doit s’inventer. Elle apparaît au confluent d’une approche éclectique que chacun de nous doit poursuivre au fil de sa vie.

Il ne s’agit donc pas d’intégrer tous les possibles, de tous les cultiver avec un zèle identique, mais de se créer un chemin unique et original. Du physique, du mental, du social et du spirituel mais dans une infinité de dosages et directions divergentes.

Thierry Crouzet @ 2009-06-15 12:23:41

Sur mon blog : Intégral réfutation ou contre Ken Wilber http://is.gd/12rWC

Phyrezo @ 2009-06-15 14:40:14

mmm, y a de ça.

moi j’ai eu l’impression que integral ne signifiait pas forcemment d’intégrer toute les parties, physique, spirituelle et mentale, de notre être - bien que comme tu le décris ici, une pratique intégrale tend vers cette réconciliation - ni comme tu avais pu l’évoquer intégrer toutes les opinions - bien que la aussi, on a vu que jf s’efforcait à recevoir chaque opinion, sans jamais la réfuter spontanément - le concept d’integral renvoit plutot aux quatre quadrants, à leur réconciliation et integration.

Thierry Crouzet @ 2009-06-15 15:06:54

JF m’a bien dit qu’il ne confondait la carte et la réalité, que l’integral philosophy était pour lui un outil... Je questionne Wilber pas Noubel.

Des quadrants, pourquoi 4 et pas 2 ou pas 6 et pas 8... si tu changes la carte, l’intégration change... tu peux très bien vivre heureux sans développer le côté physique par exemple. C’est à chacun de doser, si on doit chacun développer les mêmes traits, on va devenir des clones.

Et puis il y a cette idée de chemin d’un quadrant à l’autre, suivant une circularité là encore qui me paraît arbitraire. ça fait un peu méthode pour être heureux alors que moi je crois que nous devons chacun tracer notre route dans un réseau complexe, pas sur la carte primitive de Wilber. C’est un peu un schéma simpliste pour séduire les gens en mal de spiritualité.

Ce système de pensée est si généraliste qu’il peut intégrer tout. Ça s’appelle une religion ça, ou une métaphysique. Mais ça nous avance à quoi ?

Je propose la désintégration totale, la diversification absolue.

Et puis pour moi de réfuter à la volée... c’est un jeu, un plaisir... je ne suis pas dans le politiquement correct.

Phyrezo @ 2009-06-15 16:32:05

"La philosophie desintegrale" selon Thierry ;)

Je joue moi aussi avec plaisir à contredire. Mais, en général, je ne vis pas cette contradiction, je la soulève pour engendrer le débat, et je peux ensuite défendre le contraire. Politiquement incorrect...

Mais on voit souvant des personnes qui sont réellement convaincu que l’autre à tord et quoique l’autre dise, il vont le refuter. cependant, ils ne sont pas si convaincu de leur propre opinion, qu’ils finissent par établir plus en contradiction avec toute les autres, qu’en réelle construction avec toute la violence que cela engendre.

Simone Weil disait : "Il n’y a pas à choisir entre les opinions: il faut les acceuillir toutes mais les composer verticalement et les loger à des niveaux convenables."

4 quadrants, c’est effectivement un choix, une carte : le moi et le nous (l’individu et le collectif) croisé avec l’intérieur et l’extérieur (ou l’objectif le subjectif).

Ces deux fois deux couples correspondent à un vision de notre réalité. Si tu veux faire des triplet et avoir neuf quadrants libre à toi, ce sera une autre carte, une carte 2D une carte 3D, qui t’amenera à une autre reflexion qui se peut être tout aussi intéressante. Des exemples de délire philosophiques qui peuvent résulter de l’étude de ces quatres quadrants.

Après le côté coach spirituel bon marché dans la recherche du bonheur de Wilber est tout simplement insupportable...

Thierry Crouzet @ 2009-06-15 17:04:43

Les sceptiques ont construit une philosophie de la contradiction permanente... c’était pas mal aussi pour démontrer qu’on se sait rien. Le consensualisme contemporain m’insupporte. Encore une fois, c’est un penchant vers l’idéalisme, comme s’il exister une façon juste de vivre.

Schizo @ 2009-06-15 17:48:19

L’alternance des savoirs est impossible chez un seul homme, aussi longtemps que la greffe de mémoire bio-technologique n’est pas possible.

(Plus tard on pourra sans doute introduire des savoirs, comme on charge des MP3s ou des logiciels.)

En revanche ce qui est possible c’est l’alternance des personnalités, revendiquée par Montherlant, contre l’idée d’une personnalité unique.

C’est la figure de l’Hermès à quatre visages.

Une forme de schizophrénie contrôlée pour goûter toutes les nuances de l’existence.

Thierry Crouzet @ 2009-06-15 18:09:08

Cette approche, qui un peu la mienne même si j’ai pas les mêmes faces, est justement l’antithèse de la philosophie intégrale... qui voudrait maintenir une sorte de totalité continue. Les 4 faces en même temps, ce qui pour moi est invraisemblable, surtout si on ajoute des faces.

Henri A @ 2009-06-15 18:43:34

Spéciale dédicace au schizo :

http://www.dailymotion.com/relevance/search/benureau/video/xuve0_didier-benureau-le-paysan_fun

Schizo @ 2009-06-15 19:39:05

Il y a deux ans le Nouvel Obs publiait l’interview d’un psy, qui expliquait que le Web conduisait à des formes de schizophrénie avec multiplication des identités.

Mais, et c’était la nouveauté du papier, il voyait ça comme un progrès :

une façon d’épanouir des faces de soi, que la société traditionnelle voulait étouffer sous le mensonge de l’identité sociale unique.

Dans la société traditionnelle il y avait le phénomène du carnaval : sous le masque il était enfin permis d’être différent de son image publique corsetée.

(Kubrick reprend l’idée dans Eyes Wide Shut.)

Sur le Web c’est carnaval tous les jours.

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Cela conduit à une psycho-sociologie aléatoire à l’incertitude quantique, certainement éloignée du rêve de la philosophie intégrale, qui ne doit pas aimer cet anarchisme.

Deux façons de vivre la complexité.

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@ Henri A

Pas mal ton sketch. Au début je ne t’ai pas reconnu sans le t-shirt canari.

Tu as raté hier à la télé un débat entre Patrick Bruel et Florent Pagny, analysant les résultats des élections européennes.

A côté même Paris Hilton c’est la philosophie intégrale.

swimmer21 @ 2009-06-17 13:45:44

Je me rends compte maintenant avec une certaine acuité de que bien des théories cherche à penser à la place des autres. Mais pour s’en apercevoir, il m’a fallu désapprendre à juger puis apprendre à discerner. Après, chacun est appelé à une vocation spécifique.

Je plussoie ton comment sur l’intégral philosophie, sans très bien connaître wilber.

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