Thierry CROUZET

Réinventer l’édition : expérience pratique

J’ai ressorti le vieux manuscrit d’un roman, écrit en 1993, réécrit en 2003, jamais proposé à un éditeur, pour tenter une expérience et prolonger ma réflexion sur la mort de l’édition.

Ce roman, Genius locus, est terminé pour moi mais il n’est pas terminé au sens de la chaîne du livre. 1. Je suis le seul à le juger bon, ce qui vous l’avouerez n’a pas beaucoup d’importance tant je suis mal placé pour apprécier mon propre travail. 2. En plus de ne pas être poussé par un éditeur qui y croit, ce roman n’a pas bénéficié du travail de cet éditeur qui aurait pu révéler des incohérences et me conseiller des améliorations. 3. Il n’a pas été corrigé par un professionnel. C’est ce travail qui donne à un texte un aspect fini (ce travail va bien au-delà de la traque des fautes d’orthographes). 4. Il manque à ce livre encore beaucoup de choses pour que des lecteurs non-professionnels puissent l’apprécier. Pour dissuader de lire rien de tel que les coquilles à répétition et les imperfections faciles à corriger mais que l’auteur ne voit plus. Le lecteur les perçoit même inconsciemment. 5. Mon texte n’étant pas achevé selon ces critères, je me vois mal le transmettre à des journalistes, à des blogueurs, le proposer aux jurés des grands prix littéraires ou même à publie.net de François Bon. Il n’a donc pour le moment qu’une existence potentielle. 6. Genius locus est pourtant déjà disponible sur Amazon ! Voir la fiche technique du livre avec les liens vers les boutiques et autres plateformes.

Que se passera-t-il si les amateurs et les écrivains professionnels se mettent à diffuser leurs textes de cette façon ? Nous assisterons à un appauvrissement de notre culture. Elle augmentera en volume sans augmenter en qualité (ou même sans être capable d’en maintenir le niveau). Je vois pour les auteurs quatre possibilités.

  1. Auto-publier comme je viens de le faire avec Genius locus à la mode du web 2.0 me paraît insuffisant. Une photo, tu la regardes, tu t’en vas. Ça prend un rien de temps. Un article sur un blog, tu le lis en une minute et tu acceptes les imprécisions. Un livre, tu y plonges pour plusieurs heures. L’amateurisme fatigue vite. Difficile de consacrer beaucoup de temps à une œuvre encore approximative.
  2. Négocier avec un éditeur à l’ancienne qui, s’il accepte le livre, reversera des royalties.
  3. Trouver un éditeur transparent comme je l’ai défini dans le billet sur la mort de l’édition.
  4. Devenir soi-même, dynamiquement, un éditeur transparent pour son propre livre. C’est ce que je voudrais expérimenter maintenant.

Comment ça pourrait se dérouler ?

  1. L’auteur diffuse son manuscrit sur une plateforme comme scribd.com ou calameo.com.
  2. Sur cette base, il recherche les différentes compétences qui lui manquent (un éditeur qui travaille la cohérence du texte, un correcteur, un graphiste et quelqu’un qui acceptera de faire la promo).
  3. Les partenaires s’entendent sur la répartition des royalties. Ils se partagent par exemple 6 euros qui seront ajoutés au prix de fabrication (nul pour le cas d’un ebook) et de distribution.
  4. Une fois le produit achevé, l’équipe le diffuse sur les plateformes d’impression à la demande, sur Amazon et dans tous les formats possibles.
  5. Ils maintiennent une copie finale sur scribd.com ou calameo.com. pour que les lecteurs puissent goûter le livre, éventuellement le lire en intégralité gratuitement, exactement comme dans une librairie ou une bibliothèque publique. Il a toujours été possible de lire des livres sans les acheter. Il n’y a aucune raison qu’Internet modifie cette logique de partage culturel.
  6. En se dématérialisant, le livre devient copiable à l’infini. Il faut accompagner ce phénomène. L’équipe d’édition peut alors demander aux lecteurs qui ont obtenu le livre gratuitement d’effectuer un don d’au moins 6 euros via une plateforme comme Paypal. Cette source de revenus complémentaires sera peut-être suffisante pour donner à l’équipe éditoriale assez d’argent pour tenter d’autres aventures (il faudra que les lecteurs le comprennent s’ils veulent continuer à lire).
  7. Le travail de promotion commence comme d’habitude, avec un livre qui n’a rien à envier à ceux qui ont suivi un processus plus traditionnel.

Si parmi vous certains veulent tenter l’expérience, on peut s’y essayer (avec le texte que je propose ou un autre). Publier un livre professionnel sans passer par un éditeur traditionnel ! Si ça marchait un tout petit peu, ça nous ouvriraient bien des perspectives et ferait entrer notre métier dans la nouvelle économie des biens dématérialisés. Personne n’a toutes les réponses, surtout économiques, mais vouloir se figer sur ce qui fonctionnait avant Internet me paraît suicidaire.

Notes

  1. L’approche transparente que je viens de décrire peut aussi intéresser les auteurs publiés qui récupèrent leurs droits. Il devient facile pour eux de réinjecter leurs livres dans le circuit.
  2. En réduisant les coûts de l’impression à la demande, ce qui me paraît facile juste avec de la négociation directe entre un éditeur transparent et une imprimerie, on peut vendre un livre bien moins cher que dans le circuit classique tout en doublant au minimum les revenus de tous les créatifs. Je suis sûr que même les auteurs populaires ont tout à y gagner.
  3. Lulu fabrique à la demande un poche de 200 pages pour 12 euros. PourGenius locus, j’ai pour le moment ajouté 2 euros de marge pour arriver à 14 euros (on est déjà en dessous du prix d’un roman tout en proposant à l’auteur un revenu supérieur).
  4. Typiquement le livre final, devrait coûter 12+6 euros. La version ebook elle aussi coûtera le prix exigé par la plateforme, environ 1 euro, plus 6 euros.
  5. Il me parait capital d’habituer les lecteurs à savoir ce qu’ils donnent à la fabrication, à la distribution, à l’équipe créative.
  6. Un livre au format ebook ne pèse pas plus de 1 Mo. La circulation des copies pirates explosera que nous le voulions ou non. Les livres circuleront par mail. Pas besoin de P2P ou de protocole particulier. Pour empêcher ce piratage là, il faudra interdire le mail ! Ou passer des lois pour autoriser l’espionnage des mails !
  7. Des blogueurs comme Jacques-Olivier Teyssier à Montpellier ou Paul Jorion nous montrent que le don peut fonctionner, même si en France nous le pratiquons moins facilement qu’ailleurs.
  8. J’imagine que dans les ebooks les éditeurs rappelleront qu’ils ont besoin des dons pour continuer à travailler. Les lecteurs seront peut-être plus enclins à donner s’ils sont familiarisés avec le découpage du prix entre les postes créatifs et non créatifs (si tu pirates un livre c’est que tu as une chance de l’aimer, tu peux avoir envie de rémunérer l’équipe éditoriale… et tu ne spolies personne d’autre car l’édition transparente ne s’appuie pas sur la distribution).
  9. Je ne sais plus si ça se fait mais dans les Fnac il y avait des gens qui lisaient partout des BD. Ils pirataient mais j’ai jamais vu quelqu’un les chasser et les menacer de procès. On a besoin de goûter aux produits culturels avant de les payer parce que ce ne sont pas des produits dont on sait par avance s’ils nous combleront. Le sucre tu sais que c’est du sucre. Un nouveau roman, tu ne sais pas ce qu’il a dans le ventre. Tu le lis, tu l’aimes, tu le paies. Pourquoi cette façon de faire ne deviendrait pas une habitude ? Qu’on ne me dise pas que l’homme est un égoïste. Si un auteur t’a donné quelque chose, tu le sais. Tu peux le lui rendre pour qu’il te donne à l’avenir autre chose.

PS. Pour toute remarque sur Genius locus lui-même reportez vous à la fiche descriptive.

Thierry Crouzet @ 2009-07-19 09:26:20

Après la mort de l’édition, sa réinvention par la pratique http://bit.ly/3W7xX (billet dédié @fbon )

Olivier Tripet @ 2009-07-19 11:05:10

Réinventer l’édition : expérience pratique http://bit.ly/18Fzid (via feedly)

Francis Mizio @ 2009-07-19 19:57:00

Beau billet mais l’erreur c’est de croire qu’on va continuer d’accorder une valeur € au livre de fiction http://bit.ly/3W7xX (via @crouzet)

cedric naux @ 2009-07-21 09:49:36

"Après la presse, c’est l’édition qui meurt". Source : blog de Tcrouzet http://bit.ly/zorhF et son expérience pratique : http://bit.ly/dYw6E

Emilie Ogez @ 2009-07-21 09:57:09

RT @cnaux: "Après la presse, c’est l’édition qui meurt". (blog de Tcrouzet http://bit.ly/zorhF et son expérience : http://bit.ly/dYw6E)

wassy @ 2009-07-21 15:59:05

Bonjour à tous,

L’édition littéraire et connexe(s) m’intéresse énormément pour des tas de raisons dont l’expérience renouvelée bien des fois de dénicher d’excellents textes dans de petites maisons d’édition et qui n’ont pas eu la chance de concourir sur "le marché" littéraire.

C’est pourquoi, j’apprécie à leur juste valeur ces propositions d’édition transparente, écolo, équitable, etc.

Toutefois, il y a une note qui me laisse pantois - sauf si humour il y a :

"La circulation des copies pirates explosera que nous le voulions ou non. Les livres circuleront par mail. Pas besoin de P2P ou de protocole particulier. Pour empêcher ce piratage là, *il faudra interdire le mail ! Ou passer des lois pour autoriser l’espionnage des mails* ! "

Y a-t-il une explication ?

a+

BB.

. (ex J) @ 2009-07-21 16:04:20

à quelqu’un qui s’intéresse à l’édition et au 21e siècle, je dirai de se pencher avec sur ce qu’il vient de se passer sur kindle.

je trouve cette histoire particulièrement riche en pistes de réflexion.

Thierry Crouzet @ 2009-07-21 17:41:38

Pas d’humour : peur que ça se produise !

Franck Briand @ 2009-07-22 08:14:12

Réinventer l’édition : expérience pratique | via tcrouzetblog http://bit.ly/18Fzid

wassy @ 2009-07-22 09:54:42

Bonjour à tous,

@ .(ex J) : effectivement, ça repose la question de la dématérialisation des données culturelles ( ou intellectuelles) et, surtout, leur contrôle inévitable par des malveillants ! Comme quoi, rien ne remplacera vraiment le support physique : livre, disque, cd, dvd, etc. mais ça n’empêche pas de d’explorer les autres pistes simplement ce n’est plus tout à fait le même "objet".

@ Thierry : c’est sûr mais les solutions que tu proposes sont drôlement radicales ! ;-)

a+

BB.

lény @ 2009-07-23 13:00:49

Bonjour Thierry, il y a un bail...

juste pour te dire que ce thème m’intéresse beaucoup et pour moi et pour Meriem avec qui je collabore sur une série de livrets.

Nous en avions déjà parlé un peu toi et moi et je souhaite aller dans ce sens.

J’ai déjà mis en ligne un des livrets produit avec Meriem [http://issuu.com/joubert.leny/docs/labo01] mais si l’idée de livre en ligne est largement acquise dans mon esprit, si je peux avoir quelques idées de contenu, en revanche je n’en ai pas beaucoup pour le développement. Je suis donc bien partant pour tenter l’expérience et aller plus loin.

Le problème qui persiste est un problème culturel, d’égo, de réussite ou quelque chose de ce genre.

A part peut être pour la musique qui est capable de présenter des spectacles, l’ensemble des artistes rechignent à passer par autre chose que leur réalisation à travers un circuit de reconnaissance légitime. Ainsi produire un livre, par exemple, et le faire éditer par une maison même petite confère encore une validation quand à la qualité (discutable) du contenu et par là même à l’écrivain.

Le circuit est ainsi très verrouillé et peu sont ceux qui veulent passer par un autre chemin.

Enfin tu sais peut être que je souhaite faire la même chose avec l’image (ma tentative sur konexeavait été un échec). C’est aussi quelque chose sur lequel il faudrait se pencher.

Big big brother @ 2009-07-23 15:59:49

"l’espionnage des mails"

Arrêtez avec vos vieilles peurs visant uniquement l’Etat.

Conception complètement archaïque de Big Brother.

Vos mails sont déjà scannés et archivés par Google, qui sait également tout des sites que vous visitez etc etc etc etc.

-

Facebook vient d’ajouter de nouvelles technologies d’espionnage de ses membres: les connexions sont désormais géolocalisées et archivées:

"Par la création de ces filtres, Facebook entend mieux cibler les internautes, leurs habitudes, leurs goûts et par conséquent, leur mode de consommation. L’opération cherche à améliorer la pertinence des publicités qui leur sont destinées."

On voit les mêmes lutter contre Big Brother quand il prend la figure de l’Etat, et faire la promo de Facebook qui est dix fois pire.

Par exemple un créateur du Pacte des pirates est aussi à la tête d’une société qui propose de créer des profils Facebook etc.

Il nourrit le vrai Big Brother actuel, en croyant lutter contre un vieux Big Brother (l’Etat).

Et maintenant Facebook commence à demander aux membres leurs cartes d’identité, sous prétexte de lutter contre les faux noms. Le fichage complet n’a plus de limite:

Voici ce que reçoivent de plus en plus de membres de Facebook:

1: compte désactivé sous prétexte de faux nom

2: demande de carte d’identité

"Veuillez répondre à ce message avec une image numérique d’une pièce d’identité officielle (comme un permis de conduire) qui nous permettra de vérifier que vous êtes titulaire du compte.

Veuillez également inclure toute correspondance précédente. Nous réévaluerons le statut de votre compte une fois ces informations reçues. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée.

Nous vous remercions pour votre compréhension,

xxx

User Operations

Facebook"

ça signifie que Facebook cherche à tout prix à mettre ensemble toutes les informations livrées et une identité officielle, pour un fichage complet et imparable des populations.

Facebook = CIA @ 2009-07-23 22:10:23

Facebook est sous contrôle de la CIA comme le démontre cette émission de France 5 ! c’est pas de la parano :

http://www.dailymotion.com/video/x3n9i7_liens-facebook-cia_news

Tous ceux qui ont un compte sur Facebook livrent leurs infos à la CIA.

J @ 2009-07-26 14:13:00

thierry, j’ai pensé à toi en tombant là dessus, car ce papier explore pas mal je trouve.

Le livre numérique, un projet d’avenir

http://ow.ly/hU70

Thierry Crouzet @ 2009-07-26 14:20:30

Je l’avais lu... c’est même plus comment j’y étais arrivé ou qui me l’a déjà conseillé ! Trop de fil, je perds la tête.

J @ 2009-07-26 15:12:39

ah, ok :)

oui, on perd tous un peu la tête avec ces 3 milliards de lieux en ligne, et ces 3000 milliards milliards de fils d’info.

je parlais à qqu’un récemment, et je lui disais qu’il y a pas mal d’années, quand je suis né on line, il était possible de faire le tour d’un sujet au bout de quelques jours.

à l’époque je me souviens je connaissais à peu près tout ce qui se disait sur le marketing en ligne, et à peu près tous les lieux où on en parlait.

c’était possible.

aujourd’hui...

ça fourmille... d’humains qui parlent un peu partout le Net! rires...

000 @ 2009-07-26 15:24:21

Sarkozy hospitalisé. Il a voulu suivre tous les fils et a aussi perdu la tête.

Thierry Crouzet @ 2009-07-26 15:30:05

Tu as de la lecture :-) Y’a un coup à faire à la Manaudou nue :-) Tu vas voir tous les blogueurs à la con se jeter sur le bout de gras.

icolas chambaud @ 2009-07-31 15:24:51

RT @crouzet Après la mort de l’édition, sa réinvention par la pratique http://bit.ly/3W7xX (billet dédié @fbon )

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