Thierry CROUZET
D’Arthur Koestler à Ken Wilber
D’Arthur Koestler à Ken Wilber

D’Arthur Koestler à Ken Wilber

Hier, après avoir exprimé mes doutes sur l’utilité de l’idée de superorganisme, on m’a renvoyé à la théorie des holons proposée par Koestler et vulgarisée par Wilber. Je me suis expliqué à ce sujet l’année dernière lorsque j’ai lu Wilber.

Définition. Un holon est une entité qui est en même temps une part de quelque chose et, en elle-même, une totalité. Exemple. Une cellule dans un organisme.

Bien sûr, je pense souvent à la philosophie intégrale lorsque je m’interroge sur la fécondité de l’idée de superorganisme. Je viens de lire un nouveau texte sur le sujet. Je tombe très vite toujours sur le même bug. La théorie des holons ne permet pas d’expliquer un organisme ordinaire à moins de le schématiser trop simplement.

holons
holons

Sur ce schéma, les organes sont des holons eux-mêmes des touts qui appartiennent à l’organisme, un tout hiérarchiquement supérieur. Mais ce schéma oublie tous les systèmes distribués qui imprègnent la totalité de l’organisme, organes compris : système sanguin et nerveux, et plus particulièrement le système immunitaire qui traverse l’ensemble des organes.

holons + liant = mayonnaise
holons + liant = mayonnaise

Les systèmes distribués ne sont pas des holons puisqu’ils ne peuvent exister par eux-mêmes. Pour reprendre l’image de Koestler en 1969, on ne peut pas les transplanter. Il existe donc des composantes non-holoniques dans un organisme (un philosophe intégral dira alors qu’elles appartiennent à l’organisme lui-même). Un holon n’est donc pas toujours composé uniquement de holons et les holons ne permettent pas de décrire l’ensemble des choses.

Les holons eux-mêmes ne sont rien sans les systèmes distribués comme nous ne sommes rien sans notre environnement. L’idée que quelque chose est un tout en lui-même est absurde, ne serait-ce que parce qu’une chose ne peut maintenir son intégrité que grâce aux forces naturelles souvent modélisées comme des champs.

Métasystème transition
Métasystème transition

Déjà en 1977, donc avant la formulation par Wilber de la philosophie intégrale, le cybernéticien Valentin Turchin avait montré qu’un métasystème a besoin d’un mécanisme de contrôle pour intégrer les sous-systèmes (le système immunitaire est un des mécanismes de contrôle pour l’organisme). Les holons ne suffisent pas.

Un système distribué peut être dans le holon et hors du holon. En dessous et en dessus hiérarchiquement. C’est-à-dire sans aucun lien proprement hiérarchique avec lui mais plutôt en symbiose. Sans le système distribué, le holon se désintègre, meurt. Il n’est donc pas un tout autonome mais une structure qui maintient son intégrité en interdépendance avec d’autres.

Un holon serait alors juste un système transplantable. On pourrait changer le système immunitaire dans lequel il baigne et qui le baigne. Ce système servirait de lien, de connexion. C’est lui qui permet l’existence d’un holon plus grand (et ainsi de suite). Holons + liants = mayonnaise (toute la question est de savoir à quoi ressemblera la mayonnaise pour les nouveaux métasystèmes).

Le monde n’est ni totalement hiérarchique, ni totalement distribué (comme le résume mon second gribouillis). Des hiérarchies existent mais traversées de forces qui les dépassent et les unissent. Je crois que notre société respecte cette structure.

La fable des horlogers qui inspira Koestler se réduit à une histoire de Lego. L’un des horlogers fabrique des sous-montres avant de les assembler en une montre, l’autre fabrique directement la montre.

Nous sommes loin des systèmes complexes qui ne peuvent pas être découpés en parties. Au sein d’une structure complexe, on découvre des structures stables mais pas forcément indépendantes, pas forcément liées dans un rapport de hiérarchie ou d’hétérarchie. C’est ainsi que je conçois la société humaine, un espace où la liberté peut s’exprimer.

L’approche intégrale, celle du superorganisme en fait, revient à simplifier l’humanité, à lui appliquer les critères d’un organisme inférieur. C’est le meilleur moyen d’oublier la nouveauté. La société n’est pas que la somme des individus mais quelque chose de plus… une mayonnaise.

Un philosophe intégral dirait qu’elle transcende mais sans proposer la moindre explication technique. Le fait de transcender, je le vois dans ce qui n’est pas contenu dans les holons, dans ce qui se glisse entre eux pour qu’une émergence se produise. Avant de parler d’un superorganisme humain, il faut donc s’intéresser à ce nouveau liant, ce que j’appelle la connexion.

PS : Il va s’en dire, que remettant en cause le principe des holons (ils existent mais ne constituent pas la totalité des choses), la philosophie intégrale me paraît fumeuse. J’ai peut-être rien compris aux holons. Si c’est le cas, j’espère qu’un philosophe intégral me proposera de m’ouvrir les yeux. Pour le moment, pour le peu que je l’ai lu, Geoffrey D. Falk semble plutôt me convaincre que Wilber est tout simplement doué pour le marketing, et la mauvaise fois consubstantielle, que pour la philosophie.

Thierry Crouzet @ 2009-08-21 07:51:29

D’Arthur Koestler à Ken Wilber http://bit.ly/3LFobP À la recherche de la bonne mayonnaise!

Philippe\_Paul Lamber @ 2009-08-21 08:28:34

RT @crouzet:D’Arthur Koestler à Ken Wilber http://bit.ly/3LFobP À la recherche de la bonne mayonnaise! (A suivre!)

Rédaction de Books @ 2009-08-21 09:23:46

RT @crouzet D’Arthur Koestler à Ken Wilber http://bit.ly/3LFobP Et sur Books, le superorganisme des sociétés d’insectes http://bit.ly/2w9Btn

Phyrezo @ 2009-08-21 10:44:29

Très juste. Si je comprends en plus des holons, des entités qui forment un tout, il faut des liens ou des champs qui les connectent les font communiquer et maintiennent leur cohérance.

Cependant ces liens, on peut aussi les trouver à toutes les échelles, notre reseaux sanguin ou les routes et chemin de fers, notre système nerveux et internet.

La seule chose que m’apporte cette notion de holon et d’essayer de projeter ma conscience à différente échelle, celle de mon organe ou celle de ma société, et peut-être de les mettre en cohérence.

Si par exemple je réduis ma consommation de viande, c’est à la fois bon pour la planete et pour mon coeur. Alors peut-être était-ce une illusion quand je pensais que plus je mangeais de steak plus j’étais heureux...

Iza @ 2009-08-22 21:51:27

"La société n’est pas que la somme des individus mais quelque chose de plus… une mayonnaise."

Ah, voilà une piste qu’elle me parait bonne. Tu devrait aller traîner du côté des théories du changement, des stades de développement des groupes etc ... dans ce liant, cette "connexion", se jouent bien des choses qu’il conviendrait d’ajouter à l’équation.

Dans (l’abondante) littérature du management et socio/psycho truc, on retrouve cette question : à quel moment ce "liant" apporte t’il un plus ? Cette mayonnaise peut-elle apporter plus de performance ? au contraire engluer tout le monde ? pourquoi et comment ?

Et surtout ... qu’est ce que la performance ? Et la conscience alors ? ...

arvic @ 2009-08-28 10:26:00

Je suggère également une exploration [qui pourrait se révéler très féconde et te sortir - peut-être - de quelque impasse dans laquelle tu pourrais t’être enfermé... ;-) ] du côté du dilemme du prisonnier dans la théorie des jeux (John Von Neumann): il y a des "problèmes", des "situations", bref des "jeux", qui sont indécidables par "auto-organisation" entre les joueurs. D’autres nomment ça des "problèmes d’action collective".

Le comportement rationnel des joueurs, dés lors qu’ils intègrent une anticipation rationnelle du jeu de leur adversaire aboutit - dans certains cas - à un résultat défavorable pour les deux joueurs. L’auto-organisation, ça ne fonctionne pas toujours !

Le plus célèbre exemple étudié dans ce domaine est celui de la course aux armements, ruineuses pour les deux adversaires, et dont l’"auto-régulation" est une spirale sans fin qui n’accroit jamais la sécurité d’aucun des "joueurs", mais au contraire la diminue pour les deux.

La seule manière de sortir de ce type de dilemme est une intervention extérieure aux joueurs ou au jeu en cours (c’est à dire à la règle du jeu). En d’autres termes : soit un arbitre, soit une nouvelle loi, par une négociation aboutissant à un accord accepté par les deux adversaires.

On est d’ailleurs parvenu à sortir de la course à l’armement nucléaire entre USA et URSS de cette manière : la négociation aboutissant à des traités internationaux de désarmement (Start 1, 2, etc.), c’est à dire à une rupture brutale du jeu en cours et l’instauration d’une nouvelle règle du jeu par la négociation.

Contre les anarchistes de tous bords (les libéraux comme les libertaires) certains défendent l’idée (Joseph Heath et Andrew Potter, par exemple, dans "Révolte consommée, le mythe de la contre-culture") que la plupart des problèmes sociaux ne sont pas dus à la nature du pouvoir top-down, bureaucratique ou autoritaire, mais à des "problèmes d’action collective", qui ne trouvent pas leur "arbitre" ou n’aboutissent pas à des "accords bilatéraux de désarmement" entre les joueurs.

Issu, pour ma part ;-), d’une tradition politique nullement anarchiste, mais bel et bien socialiste (même si c’est un socialisme qui est toujours resté minoritaire et que l’on confond souvent, à tort, avec l’anarchisme : le socialisme autogestionnaire), je n’ai nulle difficulté à intégré cette manière de pensée en politique.

Elle a le grand mérite de conserver l’unité du projet de société entre les membres qui la forment (ce qui est le défaut rédhibitoire - à mon avis - de tous les anarchismes, de toutes les pensées révolutionnaires et "alter" en tous genres qui fleurissent régulièrement). Surtout elle est fondée sur le principe de l’Etat de droit, le droit étant un principe d’arbitrage devant réguler les intérêts antagonistes et apaiser leurs conflits.

La conséquence, c’est que l’action politique ne consiste plus du tout à construire un "autre" monde dans son petit coin, en attendant que l’"ancien" s’effondre tout seul, où en l’aidant un peu, pour reconstruire ensuite "quelque chose" (mais quoi ?, et surtout comment ?!!) sur les décombres [tu vois à qui je fais allusion ? ;-)]...

L’action politique implique l’investissent concret et pragmatique dans CE monde, CETTE société (il n’y en a pas d’autre !), pour la modifier de l’intérieur (il n’y a pas d’extérieur !). Il s’agit d’identifier les problèmes d’action collective un à un et de tenter de leur apporter des solutions, par la négociation, l’arbitrage, et l’établissement de nouvelles règles du jeu. Donc construire un Etat de droit sans cesse adapté, à mesure que la complexité du monde se révèle à nous et que de nouveaux problèmes apparaissent, conséquences inattendues d’aléas de la nature ou bien "effet pervers" non-anticipés de nos propres actions, qu’il faut réparer.

C’est moins romantique que la révolution et moins séduisant que l’utopie, mais il me semble que ce soit la seule action politique qui ait un espoir d’efficacité, c’est à dire qu’elle améliore la situation concrètement...

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