Thierry CROUZET
Pourquoi j'écris un twiller
Pourquoi j'écris un twiller

Pourquoi j'écris un twiller

Avec Les envoutés, Gombrowicz voulut un bon mauvais roman. J’ai la même ambition avec Croisade. Grâce à Twitter, j’ai trouvé une contrainte qui me pousse à coller au style de la littérature hall de gare (la contrainte aurait pu avoir d’autres effets mais c’est ainsi pour moi).

J’ai une admiration sincère pour tous ces auteurs, qui avec des phrases maladroites, convenues, des personnages caricaturaux, sont néanmoins capables de nous captiver pendant des heures (ça m’intéresse d’autant que la psychologie romanesque m’agace – peut-être la raison qui me fait aimer Arthur C. Clarke). J’ai toujours été jaloux des auteurs « à succès » parce que je suis incapable d’écrire comme eux. J’ai souvent essayé et, à force de me planter, j’ai cessé de les mépriser et me suis mis à mépriser ceux qui vilipendent cette littérature. « Faites en autant, écrivez un bestseller à la con. »

J’essaie donc, façon de mieux comprendre le genre. Avec l’expérience de mon passé de rôliste, je me suis lancé dans l’histoire sans rien planifier sinon que le tout devait faire 80 chapitres de 3 à 8 pages, de quoi avoir au final un livre de plus de 400 pages, format minimal pour le genre. J’improvise de tweet en tweet, créant le passé des personnages a posteriori en fonction des évènements. J’ai commencé une partie de jeu de rôle avec mes personnages. Je termine un chapitre sur un évènement sans savoir comment je m’en sortirai au chapitre suivant.

Je n’ai donc aucune ambition littéraire, je veux justement nier la littérarité avec ce texte, enchaîner les phrases banales, juste essayant de multiplier les évènements, les surprises, tout en évoquant les sujets politiques et philosophiques qui m’intéressent.

Je crois d’ailleurs que tous ceux qui prétendent faire de la grande littérature, ou prétendent savoir ce qu’elle est, ne connaissent pas grand-chose à la littérature tout court. Un bon livre est un livre qui change ma vie. Des livres de SF maladroits m’ont autant influencé que Proust. Parmi les livres, ceux que je déteste le plus, prétendent en général à quelque chose (nos Goncourt).

Je déteste l’idée de collection, de classification, de ciblage. Nous en sommes à l’époque des tags et des folksonomies, plus à celles des étiquettes rigides. Tous ceux qui s’en réfèrent à elles ne m’intéressent pas.

PS1 : Je révolutionne pas la littérature avec le twiller mais ma façon d’écrire, c’est déjà pas mal.

PS2 : Le twiller n’est pas fait pour être lu sur Twitter. Il est écrit grâce à Twitter.

Billet écrit après Twitter du livre de Hubert Guillaud et les commentaires de Pierre Ménard.

Thierry Crouzet @ 2009-09-07 11:52:47

J’explique pourquoi j’écris un Twiller (et vais pas révolutionner la littérature avec) http://bit.ly/O9xNo

Pierre Ménard @ 2009-09-07 12:18:45

Billet écrit par @tcrouzet après Twitter du livre de @hubertguillaud et les commentaires de Pierre Ménard @liminaire http://bit.ly/fwEL7

Wolforg @ 2009-09-07 12:20:28

Thierry Crouzet (auteur du "peuple des connecteurs") explique pourquoi il écrit un Twiller (Thriller via Twitter) http://ow.ly/olHu

Pierre Ménard @ 2009-09-07 14:13:30

Merci pour ces précisions très intéressantes dont j’avais déjà pressenti le sens dans vos autres articles, et vos échanges avec François Bon sur Twitter, ce que vous expliquez par "nier la littérarité avec ce texte" est effectivement ce qui me semble important pour tout écrivain (moi aussi j’ai du mal avec étiquettes, et pourquoi l’on classe dans des genres figés et obsolètes, les écrivains, en dressant liste des forces en présence (tant d’auteurs, tant de blogueurs, tant de journalistes, tant de bibliothécaires, sans voir ou en oubliant de dire que la plupart des auteurs ont plusieurs casquettes, donc comment les classer ?)) et passer du côté de ce que François Bon appelle, avec raison, l’atelier de l’écrivain, c’est bien le plus intéressant dans ce que vous écrivez ici, en nous montrant l’envers du décor qui vous pousse dans cette expérience de Twiller qui n’a d’intérêt, pour moi, qu’à la lumière de vos explications. Je suis très sensible à la contrainte dans la création et pour comprendre votre démarche, il est important de la mettre en avant, de l’exposer comme vous le faites ici.

Thierry Crouzet @ 2009-09-07 14:20:52

Ce qui m’a frappé c’est que j’ai tout de suite réussi à écrire dans le style hall de gare avec la contrainte. ça veut pas dire que c’est bon ou mauvais. Juste dans le style. Avant j’y arrivais même pas. Et je me suis pris au jeu et ça m’amuse... ce qui n’empêche pas la parodie assez souvent dans le récit, trop souvent peut-être même.

Par ailleurs, ce texte n’est pas fait pour être lu sur Twitter. Il est écrit grâce à Twitter. La nuance est importante il me semble. Au final, et déjà sur le blog, il est lisible comme un livre ordinaire.

000 @ 2009-09-07 14:44:59

"Des livres de SF maladroits m’ont autant influencé que Proust"

ça pose peut-être le problème de ta lecture de Proust.

On peut ne retenir de Proust qu’un mouvement général du récit et quelques idées;

et alors il n’y a pas grande différence avec un récit de SF maladroit.

Mais Proust est aussi autre chose, qu’on peut creuser bien plus avant dans le détail, dans l’écriture, dans la composition, dans la psychologie, et dans les perspectives;

alors que le récit de SF maladroit ne vaut rien au-delà de ses grandes lignes vite assimilées.

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Dans ma vie, j’ai été influencé par les livres pour enfants de la bibliothèque verte. Quand je les relis aujourd’hui ils me tombent des mains, il n’y a rien à creuser, tout est construit autour d’un récit à suspens et le détail est creux, la phrase plate, les personnages sans dimensions.

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Idem pour les dessins animés. Influence forte en surface, d’autant plus que nos esprits étaient vierges.

Mais tout dépend ensuite des limites qu’on place à l’influence.

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Si l’on porte le regard sur la grosse influence de surface, un personnage de dessin animé peut nous avoir marqué et influencé autant, voire plus, qu’un personnage de grand roman.

Certains en restent à cette influence de surface.

Ils nomment "influence" les grandes déterminations de la vie. Pas l’évolution intérieure plus complexe.

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C’est un peu comme les bonbons : on continue d’en acheter de temps en temps par souvenir de ce qu’ils nous donnaient de joie dans l’enfance ; mais quand on les consomme aujourd’hui on s’aperçoit qu’ils ne sont finalement pas aussi bons qu’un bon plat.

On se lasse du goût grossier du sucré et du piquant.

Celui qui continue de penser qu’un bonbon vaut autant qu’un plat de grand cuisinier est sans doute passé à côté de quelque chose concernant la cuisine et le goût.

Thierry Crouzet @ 2009-09-07 14:51:27

Tu as répondu pour moi. J’ai pas lu Proust au même âge.

Un truc qui m’a marqué à 12 m’a plus transformé qu’un truc qui m’a marqué de 20 à 30 (Proust, à cause du temps non linéaire propre à la vie humaine), même si le truc de 12 je peux plus le lire aujourd’hui et que Proust je le lis toujours.

Pour un lecteur qui meurt à 20 ans, Proust ne compte pas.

Sinon t’a encore rien compris au flux ;-)

Proust est flux, justement parce que tu es en train d’en parler.

000 @ 2009-09-07 15:19:05

"Sinon t’a encore rien compris au flux ;-)

Proust est flux"

Proust est flux ET EST AUTRE CHOSE.

Ce que je reproche au flux, c’est que le flux ce n’est que la première dimension.

Ensuite ce qui m’intéresse c’est le contenu et les dimensions plus individuelles, uniques, mystérieuses, cachées.

Plus c’est riche, moins ça circule.

Plus c’est con, plus ça circule.

C’est à partir de ce constat que l’idéologie du flux m’emmerde.

Je rapproche le culte du flux du grégarisme, le plus petit commun dénominateur qui assure la compréhension entre esprits.

Et ce que je vois sur Twitter, les RT à l’infini autour de buzz débiles et d’idées grossières, ça ne me fait pas envie.

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Les trucs les meilleurs, personne n’en parle sur Internet, ou n’en parle qu’isolément, ça circule peu. Et à la reflexion c’est peut-être mieux comme ça.

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Magie des 2 ou 3 happy few qui ici ou là discutent encore de Monsieur Ouine ou de Bresson, sans que ça entre dans un flux de propulseurs cherchant la circulation maximale.

Dès que quelque chose entre dans le flux, ça commence à devenir vulgaire et l’esprit s’en détache pour chercher des secrets non encore sur la place publique.

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Le flux tue la magie et ressemble à ces putes exposées derrière des vitrines, offertes à tous, qu’on paie 50 euro.

Une courtisane doit cacher qu’elle est offerte à tous, pour tirer 5 millions d’un homme.

Rachel n’a de prix que pour Saint-Loup qui la croit rare et précieuse.

Elle n’a aucun prix pour Marcel, qui l’a vue offerte à tous les flux pour 20 francs au bordel.

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Une belle idée, qui se retrouve avec 500 RT sur Twitter, ça devient du TF1. Une mode. Le contraire du goût.

Thierry Crouzet @ 2009-09-07 15:29:18

Le flux circule, ok. Mais il peut circuler entre quelques personnes. c’est comme ça d’ailleurs que c’est créatif, sans pollution qui empêche l’innovation ou même la spiritualisation.

Flux ne veut pas dire large diffusion, c’est un état.

fito cuba @ 2009-09-07 17:04:48

http://bit.ly/1d1rb3 Pourquoi j’écris un twiller: Avec Les envoutés, Gombrowicz voulut u.. http://bit.ly/1RuSmY

Lionel Chollet @ 2009-09-07 21:36:09

Le propulseur @crouzet explique pourquoi il écrit un Twiller et pourquoi il ne va pas révolutionner la littérature avec. http://bit.ly/O9xNo

marsupilamima @ 2009-09-09 14:33:25

c’est amusant ce twiller, pourquoi se prendre le chou? Bcp de gens rêvent d’écrire un roman de gare "pour gagner bcp d’argent rapidement", en fait, peu d’élus. Pas si facile . Et contrairement aux idées reçues, il n’existe pas de règles écrites, pas de canevas, pas de règles imposées.

Bon, alors, la suite....

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