Thierry CROUZET
Un an de twiller
Un an de twiller

Un an de twiller

Paul Valéry avait prédit que plus personne n’écrirait des phrases du type « La marquise sortit à cinq heures. » Je viens aujourd’hui de passer exactement une année à enchaîner de telles phrases sur Twitter pour construire pas-à-pas les 60 premiers chapitres de Croisade.

J’avoue que ça me fait beaucoup de bien et que je me marre comme quand je faisais du jeu de rôle. Je comprends pourquoi autant d’auteurs depuis s’acharnent à démentir la prophétie de Paul Valéry. Et ils ne se prêteraient peut-être pas autant au jeu si les lecteurs eux-mêmes ne les suivaient en masse.

Certes la plupart des auteurs de Thriller (et même nos Goncourt) tentent d’écrire des phrases originales, de se parer d’un vernis littéraire, mais au fond, quand on enlève les fioritures qui crèvent les yeux, on en revient toujours à l’histoire de marquise.

Outre la contrainte des 140 caractères propre à Twitter, je m’impose cette contrainte du degré zéro de l’écriture. À vrai dire, je n’aime pas les fioritures rococo. Le style ne doit pas se voir. J’admire Gracq par exemple, par ses trouvailles, ses inventions, sa couleur… et, à la fois, il m’irrite parfois tant je le vois en train de chercher un effet. Je me sens plus proche de Stendhal que des travailleurs minutieux, plus proche de McEnroe que d’Yvan Lendl.

Pour moi, la littérature s’écoule comme un flot incontrôlé, elle traduit la particularité d’une structure cérébrale… particularité que l’on ressent chez Proust ou Céline par exemple mais aussi chez Rousseau même si elle se traduit dans un registre moins explicite. Il y a travail chez eux mais travail de sculpture du cerveau pour qu’il produise le bon jus, pas travail sur le jus lui-même (c’est ma façon de voir les choses).

Chez Gracq, je ressens ce travail supplémentaire, l’ajout de circonvolutions a posteriori, souvent géniales j’en conviens, mais quelque peu inhumaines, loin du processus que je ressens en moi. Je reste un admirateur de Gracq. Il a réussi là où tous les autres décorateurs de la langue ont échoué et échouent d’autant plus lamentablement qu’ils n’ont rien de plus à dire que cette histoire de marquise.

Alors j’évite de prendre des risques avec Croisade quitte à paraître fade pour les adeptes du rococo et de l’embonpoint stylistique forcé. Je préfère m’amuser avec l’histoire. Comme je n’ai rien prévu, elle ne peut que me surprendre. À la fin de chaque chapitre, je me demande toujours « Et après ? »

Ça fait un bien fou d’écrire pour le plaisir sans rien avoir de particulier à dire sinon jouer avec ce qui vient à l’improviste. Encore deux ou trois mois de tweets quotidiens et puis j’aurai un petit roman de hall de gare. J’espère que l’histoire tiendra debout car, une fois la performance en tant que telle dépassée, c’est l’histoire qui reste. Le processus n’a plus aucune importance.

Longtemps influencé par le Nouveau Roman, je me suis intéressé à l’écriture pour l’écriture. Cette histoire de l’écriture elle-même me paraît aujourd’hui bien peu intéressante, sinon pour les écrivains eux-mêmes. Quand on mange un plat, le plus souvent on se fiche de la cuisine, surtout si on n’est pas cuisinier soi-même.

Nous avons besoin d’inventer des mondes possibles pour penser notre monde. Les histoires des couples qui traversent la crise de la trentaine ou de la quarantaine m’insupportent. Je préfère imaginer que la marquise se lève et se prépare à sortir. Il se passe bien plus de choses dans ma tête.

ownicrew @ 2009-12-25 13:32:39

OwniCrew Un an de #twiller ! http://bit.ly/4FV7fd

marsupilamima @ 2009-12-25 17:41:09

Cela me fait penser que j’ai touitté ça hier à propos du rick moody twitter project et de ce que l’on peut en tirer...Intéressant, non?

http://publishingperspectives.com/?p=9581

majid @ 2009-12-25 17:53:51

J’attends avec impatience de lire, sache que ton blog nous le devorons mes enfants et moi

ecaradec @ 2009-12-25 18:27:59

Je ne sais pas écrire de texte bien construit, pourtant je lis beaucoup et je perçois le style de plusieurs auteurs (bien que je sois bien incapable de les renommer à présent ) comme de magnifiques décorations le plus souvent inopportunes. Comme si la forme se détachait du fond. Ca me donne envie de crier : accouche !

J’ai commencé à percevoir le style en français après avoir lu plus de littérature anglaise. Le style est plus direct en anglais, il me semble.

Thierry Crouzet @ 2009-12-25 19:03:33

@marsupilamima Pas mal... je viens de le twitter du coup ;-)

jfgarsmeur @ 2009-12-25 22:51:51

la phrase de Valéry était "La marquise sortit à cinq heures" Ce n’est pas une prédiction mais un jugement. Selon lui, aucun n’écrivain dans les années 30 n’avait plus le droit d’employer un tel incipit balzacien. Vous verrez en suivant le lein suivant que Gracq est d’accord avec vous. Mais pas pour les mêmes raisons, je crois.

http://www.jose-corti.fr/auteursfrancais/gracq-par-lui-meme.html

Malheureusement, les auteurs que vous citez à l’appui de votre thèse sont réputés pour être des grands travaillerus de la phrase. Lisez les dans des éditions savantes, vous apprendrez ainsi toutes les corrections qu’ils font subir à leur manuscrit avant de l’estimer terminé. Avez vous déjà vu une épreuve de Proust. Le degré zéro dont vous vous targuez est le titre d’une étude de Barthes sur Camus. Barthes estimait que l’on ne peut pas trahir sa classe (bourgeoise) sauf par l’écriture. Il pronait une écriture débarassée de toutes firoitures, effectivement, mais montrait aussi que pour aboutir à un incipit comme "Hier, maman est morte" il fallait beaucoup de travail. "je n’ai pas eu le temps de faire court, écrivait aussi Pascal."

Je ne vous rejoins pas sur l’idée que vous semblez défendre : dans un livre l’histoire la création d’univers, seraient plus importantes que l’écriture. Dans un livre l’histoire, l’énigme, c’est celle d’une écriture. peut nous importe que le personnage soit comtesse ou princesse de Clèves ou ouvrière chez Renault, que l’action ce passe ici ou là-bas, aujourd’hui ou dans mille ans. peu importe même le lvre en lui-même. ce qui est important c’est l’acte de lecture, seul raison d’être de l’industrie littéraire, cette création toujours nouvelle que met au monde un lecteur dont l’esprit prend prétexte de quelques signes typographiques pour l’emmener dans un voyage sans jetlag ni tourista dont il a hâte de connaitre le but mais dont il redoute la fin. (je n’invente rien et ne fais que résumer quelques volumes de Barthes, eco, Lacan...). C’est parce qu’il facilite cette appropriation que le degré zéro est louable.

Vous pouvez bien sur écrire comme si personne avant vous n’avait pensé le roman. Mais vous risquez de labourer des champs déjà bien épuisés d’empruntez des impasses pourtant signalées depusi longtemps;, de tomber dans des ornières ou pataugeaient déjà vos prédécesseurs. Je trouve estimable que sans être particulièrement doué vous vous obstiniez sur la voie romanesque. Sachez cependant qu’elle vous demandera beaucoup de travail...

Thierry Crouzet @ 2009-12-26 00:31:09

Tu as repris des études ou tu es prof ?

Tu as quels âges ?

Oui c’est la marquise, merci pour la remémoration... (et ce qui est bien avec le blog... c’est que pour ce genre de trou de mémoire il y a toujours quelqu’un qui lui n’a pas oublié).

J’ai toutefois droit d’interpréter les propos de Valéry comme je l’entends non ? Valéry disait ça pour les écrivains de son temps et les suivant non ? Si c’est le cas, c’est aussi une prédiction.

Je n’ai jamais dit que Proust & cie n’avaient pas travaillé. Tous les écrivains travaillent. J’ai vu moi aussi les manuscrits de Proust. Mais ils travaillent pour mettre en accord avec leur musique par pour replâtrer. Le travail c’est une mise en conformité. Pas une élaboration a posteriori, une trahison de la musique initiale. Ce que je ressens chez trop d’auteurs de thriller par exemple. Ils écrivent mal et ensuite ils cherchent à tromper par des artifices.

Je peux donner un conseil moi aussi? Quand tu parles à quelqu’un, suppose toujours qu’il est plus intelligent que toi et qu’il sait plus de choses que toi et qu’il a passé plus de temps que toi à s’intéresser aux choses qui t’intéressent. Tu as une chance alors de t’éclater dans la vie. Sinon tu fais fuir tout ceux qui pourraient t’aider à grandir.

Je sors d’Avatar... j’ai bien le droit à jouer au grand sage ;-)

Quad @ 2009-12-26 04:22:28

Un an de #twiller !: http://bit.ly/5sdUNH via @betapolitique

SdC @ 2010-01-05 11:09:46

Un an déjà, ça file... bon anniversaire à ce twiller. Et tera bonne année and no mercy for the bad vibes in 2O1O.

Visibilité
Newsletters Me soutenir