Thierry CROUZET
Trop tard pour la révolution
Trop tard pour la révolution

Trop tard pour la révolution

Je me répète toujours cette phrase du Guépard :

Il faut que tout change pour que tout reste comme avant.

La révolution m’apparaît comme une illusion dangereuse. Ce serait si beau, si, avec un coup de force, on pouvait changer la face du monde.

La révolution est trop simpliste, trop radicale, pour convenir dans un monde complexe. Elle ne permet de s’attaquer qu’à des centres de pouvoir qu’elle cherche à remplacer par d’autres, du jour au lendemain. Pour empêcher le climat de se dérégler trop gravement où faudrait-il taper ? Partout, c’est bien le problème.

Cet idéal combattant était peut-être concevable à l’époque des nations, où en changeant de régime politique on pouvait espérer changer la vie des hommes. Quoique, en ne changeant pas la structure du pouvoir, sa forme pyramidale, on retrouvait in fine les mêmes maux chez ceux qui exerçaient le pouvoir, puis chez ceux sur qui ils s’exerçaient.

La révolution faisait grappiller quelques progrès qu’il fallait défendre avec acharnement. On assiste aujourd’hui à l’affaiblissement constant de cet acharnement, nous laissons filer, personne ne s’insurge contre les manœuvres des banquiers, nous râlons, mais nous sommes encore bien trop gras.

Tant de postulats se sont ancrés dans l’ensemble de la population que les révolutionnaires du jour s’avèrent de piètres parodistes. Ils exigent des salaires plus élevés pour tous, oubliant de remettre en cause cette idée de salaire, cette aliénation suprême qui veut que nous soyons tous obligés de travailler en échange de quelque chose, comme s’il ne pouvait plus y avoir de gestes désintéressés.

Mais le tout gratuit est une chimère. Même à l’heure du revenu de base, des choses resteront rares et précieuses et tout le monde ne pourra les partager. La gratuité n’a de sens que pour les choses abondantes et celles que nous saurons rendre abondantes, par exemple avec les nanotechnologies ou les imprimantes 3D.

Il y aura toujours des choses à vendre. Les désirs resteront. Les conflits aussi. Après l’instauration du revenu de base, nous aurons effectué un progrès, comme après avoir reconnu l’ignominie de l’esclavage, puis l’égalité des hommes et des femmes… mais nous ne vivrons pas dans le meilleur des mondes.

Je suis fondamentalement d’accord avec Jean Zin : la notion de « décolonisation de l’imaginaire » (Serge Latouche) ou de « réveil des consciences » (Pierre Rahbi) est totalement insuffisante, car le grand problème est d’abord celui des institutions, écrit Paul Ariès. Nous avons besoin d’un principe qui guide nos pas et qui soit capable de fédérer notre action.

Pourquoi Ariès pense-t-il ainsi ? Parce que lui-même prône la société du don tout en étant incapable de donner (par exemple ses livres qu’il vend dans l’économie traditionnelle qu’il dénonce).

Chacun pense sa philosophie en fonction de ce dont il a la force. Chez Épicure, l’épicurisme était ascétique parce qu’Épicure souffrait de problèmes gastriques. Lucrèce nous présenta une vision moins austère de l’épicurisme. Même si nous ne savons rien de lui, nous pouvons supposer qu’il avait une meilleure constitution que son maître.

Alors, si on postule que les hommes sont incapables de se réformer, parce que soi-même on en est incapable, il ne reste qu’à espérer la révolution, c’est-à-dire réformer le reste du monde plutôt que soi-même. Pour que cette révolution soit possible, il faut qu’il existe un point central qui puisse être changé d’un coup de baguette magique. Ariès invoque les institutions. Elles sont le lieu où s’incarne son impuissance.

Mais les institutions sont-elles responsables de la surconsommation ? Aucune loi ne nous oblige à surconsommer. Pour s’attaquer à la surconsommation, la révolution doit être personnelle et non institutionnelle (les institutions peuvent au mieux aider).

Et puis, imaginez que nous changions les institutions, là, tout de suite, qu’est-ce que vous proposeriez ? Moi, je me tairais. Je me contenterais de dire « expérimentons ». Donnons la chance à une multitude de systèmes concurrents. Parce que nous ne savons pas ce qui peut marcher (et c’est valable pour le revenu de base, il faut tester des revenus de base). Mais si comme Ariès on prône la révolution, on est forcé d’avoir une réponse toute prête. Malheureusement, le bon sens n’est pas d’une grande aide en situation complexe.

La révolution ne marche que dans un système simple. Croire que changer les institutions peut nous sauver est une illusion, car personne ne connaît a priori les changements institutionnels à effectuer.

J’en reviens à mon idée fixe. Je ne vois qu’une solution : que ceux qui sont capables de vivre en accord avec leurs idéaux changent leur vie, qu’ils mettent en œuvre les expérimentations dont nous avons besoin pour donner plus tard du courage à ceux qui pour le moment manquent de courage.

Je m’adresse à ces courageux, à ces pionniers, à ces volontaires… Il faut que vous expérimentiez et il serait dangereux de demander à tout le monde de le faire, surtout de le faire tous de la même façon.

Qu’est-ce que je fais en publiant gratuitement des billets sur mon blog ? À mon petit niveau, en tant qu’écrivain, j’applique les principes auxquels je crois. J’ai l’espoir que des solutions se mettront en place parce que, les uns les autres, nous apprendrons à collaborer de manières nouvelles. J’estime que ceux qui, comme moi, ont la possibilité de prendre des risques, ont le devoir d’expérimenter.

Thierry Crouzet @ 2010-02-05 14:02:16

Trop tard pour la révolution 2.0 http://bit.ly/b0pmii

Philippe\_Paul Lamber @ 2010-02-05 14:14:01

RT @crouzet: Trop tard pour la révolution 2.0 http://bit.ly/b0pmii

JBingold @ 2010-02-05 14:16:23

RT @crouzet: Trop tard pour la révolution 2.0 http://bit.ly/b0pmii

Hadopi 0 @ 2010-02-05 15:18:34

Moins deux points sur votre permis de publication pour avoir omis de créditer Charlie du lien vers l’article de Contretemps.

Pierre Denier @ 2010-02-05 15:19:00

Bonjour, votre billet me touche particulièrement, vivre en accord avec soi-même... vaste sujet.

Pour ma part, cadre dirigeant dans la métallurgie, j’accompagne bénévolement les demandeurs d’emploi sur mon temps libre, ainsi, j’ai pu conseiller 1700 personnes en 2009, y consacrant en plus de mon activité professionnelle une quarantaine d’heures hebdomadaires. L’idée étant vraiment d’apporter sa pierre à l’édifice et de contribuer à rendre le monde un peu meilleur plutôt que d’attendre que l’un d’entre nous prenne l’initiative.

Encore bravo pour la qualité de ce message

Cordialement

Pierre

Zgur @ 2010-02-05 15:51:13

Révolutionnaire ou révolté ?

"Le révolté est contre les camps, tous les camps. Le révolutionnaire est contre les camps gardés par ses ennemis, mais il adore les camps gardés par ses amis. Le révolté reste un révolté quels que soient les pouvoir en place, il ne mange jamais avec les puissants. Le révolutionnaire d’hier est le bourgeois de demain quand sa révolution a eu lieu. Il n’a jamais assez d’une vie pour jouir de dormir dans le lit du roi qu’il a décapité. Il déteste les puissants à mesure de son désir d’en être un – ce qu’il est une fois hissé le drapeau rouge.

Le révolté sait que les hommes ne changeront pas et qu’il faut compter avec leurs vices qui ne sont pas des effets d’une mauvaise société qu’il faudrait changer pour obtenir un homme nouveau. Le révolutionnaire croit qu’en changeant la société, on change en même temps les hommes rendus bons par la magie de l’appropriation collective des moyens de production !

Le premier est un sage juché sur le rocher de Sisyphe ; le second, un enfant assis sur de la dynamite, un briquet à la main."

Source : Michel Onfray in Siné Hebdo, repris là http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article12327

Quant à moi, révolté toujours.

Arf !

Zgur

J @ 2010-02-05 15:52:21

"Mais est-ce que les institutions sont responsables de la surconsommation ? Aucune loi ne nous oblige à surconsommer."

J’ai bondi je dois dire.

Sérieux la?

Parce que bon...

zoupic @ 2010-02-05 20:28:42

Merci Thierry pour ce beau billet.

Le changement est invisible, quotidien, permanent. Dans chaque acte, chaque rencontre, chaque minute, chaque être. Il est subtile et pourtant fondamental, essentiel.

Quitter le pyramidal, quitter le faire pour découvrir qui je suis. Protéger les yeux et les désirs créés et alimentés par la société pour découvrir la richesse intérieure: qui je suis. Je n’ai pas besoin de ceci ou cela car je suis déjà empli de bonheur.

C’est une transition douce, fondamentale et personnelle. Comme passer une frontière invisible. Sortir de la boucle infernale, de la course à l’argent et de la consommation, du toujours plus.. Entrer dans le désert, dans la réflexion, la recherche.. qui suis-je.. quel est mon rôle.. comment puis-je contribuer.. qu’est ce qui me rend fondamentalement heureux.. comment aligner mes pensées avec mes actions? Comment être en accord entre ce que je dis et ce que je vis. Arrêter de dépenser son énergie à regarder le voisin et lui dire qu’il a tort, concentrer son énergie pour incarner ce changement que nous nous engageons à vivre.

Reconstruire les outils nécessaires à la vie et au développement dans ce nouveau monde dont les contours se dessinent. Chacun sa part, chacun son rôle, son petit rôle, ensemble, progressivement. Beaucoup de choses sont à écrire, à découvrir, à tester, à expérimenter, rien n’est écrit. N’est-ce pas là la plus palpitante des aventures? Chevaucher son destin pour ouvrir de nouvelles voies et créer de nouveaux possibles, artisans du nouveau monde.

Nous ne pouvons plus confier pouvoirs et responsabilités à d’autres, déléguer la responsabilité de notre destin collectif. Je souhaite décider et choisir où je vais, en conscience.

icolas chambaud @ 2010-02-06 10:21:57

Trop tard pour la révolution http://bit.ly/a7XD2q

J @ 2010-02-06 10:48:13

désarmant...

Iza @ 2010-02-06 14:47:54

Juste un mot. Engloutie dans mes cartons depuis une semaine, j’experimente dans mon corps notre stupide et récurrente défaite devant l’abondance d’objets.

Le courage, c’est quoi ? Je jette tout et je fais l’ascète ? et mes gosses ? Non, le courage, Zoupic le dit mieux que moi, c’est un truc subtil, c’est gagner un peu chaque année contre les objets. Quand au lieu de racheter tout à la rentrée je trie et recycle stylos, pinceaux et cahiers ... beaucoup de temps pour gagner peu d’argent, certes, mais ce n’est pas ça qui compte, c’est cette petite chose subtile, cette graine dans la tête de mes enfants.

Traquer l’inutile, c’est lutter contre la mollesse qui nous assoit devant la télé, qui nous laisse entasser toutes ces merdes etc ... Je lutte depuis mon plus jeune âge, je remporte des petites victoires, mais la guerre fait rage. Dès fois je recule, dès fois je marque des points. Mais tout est là, plus ça va, plus je trouve que c’est vrai. J’en connais qui sont nés avec, avec la conscience de ce qui est important, avec le geste juste et l’oeil averti. Moi pas. alors je me bagarre, je bosse. Et je progresse. Et dans cette nouvelle vie qui m’attends, j’espère faire encore mieux. Mieux de moins.

"j’estime que ceux qui, comme moi, on la possibilité de prendre des risques, on le devoir d’expérimenter."

Voilà pourquoi je l’aime moi ce Thierry. Désarmé J ?

Ubu 0 @ 2010-02-06 15:02:27

"et mes gosses ?"

Oui il faut jeter les gosses. Table rase, pas de quartier.

J @ 2010-02-06 16:18:18

:) Réfléchis aux divers sens possibles du mot "désarmant" iza, car il ne me concernait pas...

addon : si tu jettes ton gamin comme le conseille triple, je connais des roumains qui cherchent des reins :) je rigooooole, car trop d’aaaaamour tue l’Amour :)

Iza @ 2010-02-06 19:12:22

Hi hi hi. Ok, je les jette dès demain ...

Ceci dit, sans rire, je jetterais leurs jouets en plastique avec du vrai sang de petits chinois dedans, ça me soulagerais ... mais bon... le père Noël s’approvisionne beaucoup là bas, j’arrive pas à lutter.

J, je réfléchis ..;

J @ 2010-02-07 16:52:01

Ca y est Iza?

tu as

jeté les enfants car ça contribue à faire consommer,

les jouets made in china car les chinois ils font travailler les enfants,

fermé ton compte bancaire car bon la finance est devenue la cause de principale de ce bordel,

cessé de faire tes course dans les hypermarchés parce que bon ils font crever de faim les agriculteurs,

jeté ta carte d’électeur car bon vu ce qu’est devenue la démocratie il serait bien idiot de continuer à la cautionner,

envoyé bouler ceux qui oublient que si tous ne travaillaient qu’à leur échelle individuelle il n’y aurait plus personne pour freiner les ardeurs de ceux qui veulent écrire seuls les règles collectives,

pondéré les illusions autoorganisatrices par la redoutée inspection de ce qu’elles donnent in fine en environnement ouvert et concurrentiel,

réfléchi à savoir si Jaurès et Gandhi étaient de dangereux pyramidalistes car ils pensaient aussi aux "détails" (dixit crouzet) du genre institutions,

......

......

en somme pondéré les choses quoi...?

Stanislas Jourdan @ 2010-02-07 23:05:11

RT @crouzet Trop tard pour la révolution http://bit.ly/adIgjl

Jean-Philippe @ 2010-02-08 01:06:07

Merci beaucoup Thierry pour cet excellent article !

Le changement commence dans son jardin (qu’il soit épicurien ou pas) et c’est à nous de montrer l’exemple pour encourager les autres à nous suivre. Par petites touches, petit à petit, des prises de conscience se produisent et de plus en plus de personnes recherchent "autre chose".

Le seul moyen pour elles de le trouver, c’est sur la toile, là où l’information est plus libre. Votre blog, vos écrits, nos créations à tous et à toutes, sont autant de manuels du jardinier du XXIème siècle.

Un jardinier qui bêche, plante, coupe, greffe, arrose, désherbe, cueille et partage ainsi son savoir, ses avancées, ses recherches avec les autres, crée tout autour de lui, un réseau très souple, indispensable au passage de l’information. Cette fertilité fait naître de nouvelles pousses, qui elles-mêmes démarrent une modeste pépinière amenée, peut-être, à grandir et à favoriser de nouveaux partages.

Vous diriez que le "flux" circule, je dirais que nous nous transformons en "Hommes fluides". Mais peu importe l’étiquette, le plus important c’est que, arrosoir ou plantoir à la main, nous expérimentions de nouvelles formes de vies et accueillions dans nos potagers et autre vergers, ceux et celles qui se posent des questions. :)

Jean-PhilippeTouzeau @ 2010-02-08 02:13:58

RT @stanjourdan: RT @crouzet Trop tard pour la révolution http://bit.ly/adIgjl

jean-lou bourgeon @ 2010-02-08 12:05:12

RT @crouzet Trop tard pour la révolution 2.0 http://bit.ly/b0pmii - non on a tout le temps, Thierry :-)))

Bruno Walther @ 2010-02-08 19:04:48

Trop tard pour la révolution http://bit.ly/cZ7Lx2 sur le blog de @crouzet

Pierre Fraser @ 2010-02-09 00:22:59

Trop tard pour la révolution http://ow.ly/15g9k

Gabriel BONDAZ @ 2010-02-10 01:04:47

RT @crouzet: Trop tard pour la révolution 2.0 http://bit.ly/b0pmii

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