Thierry CROUZET
Le crash de l’édition
Le crash de l’édition

Le crash de l’édition

Plusieurs évènements concomitants m’incitent à démarrer ce billet sans trop savoir où il me mènera. Les éditeurs devraient apprécier cette démarche appliquée à un livre : l’écriture comme aventure tant pour l’écrivain que pour le lecteur. Mais ils ont tendance aujourd’hui à ne publier que les livres qu’eux ou d’autres ont déjà publiés pour un public qu’ils ont préformaté dans leur tête. Grande peur, grande incertitude. Le phénomène n’est pas nouveau.

Un commentateur me signale une lettre de 2006 des Éditions de Fallois trouvée sur Lettres de refus de manuscrits.

Nous vous remercions d’avoir pensé à nous pour votre ouvrage, mais il ne nous est malheureusement pas possible de le mettre en lecture, répond Bernard de Fallois. Les dimensions de notre maison sont très modestes. Nous recevons un nombre considérable de manuscrits. Les lire et les analyser avec le soin qu’ils méritent nous est matériellement impossible en ce moment.

J’ai envie de saluer la franchise.

Je publie des livres dont la plupart des auteurs sont mes amis, déclarait Bernard de Fallois en 2008.

Les choses sont claires. Il faut arrêter de comparer les éditeurs à de bons samaritains. Même si la passion les guide, ils restent des businessmen, et surtout des hommes, avec leurs faiblesses et leurs tendresses. Il est bien normal qu’ils ne publient que les gens qu’ils apprécient. La transparence apparaît alors de mise. Les sites des éditeurs devraient afficher les règles du jeu pour que personne ne perde de temps et de l’argent.

  1. Dire si on accepte ou non les manuscrits.
  2. Dans l’affirmative, arrêter de demander l’envoi de manuscrits papier. Lire quelques pages suffit à écarter la plupart des textes.
  3. Et puis si l’intérêt s’éveille, l’éditeur peut se payer une liseuse de dernière génération pour la relecture approfondie (voire imprimer).

Combien d’éditeurs jouent cette franchise ? Aucun à ma connaissance, sinon les plus petits. Les gros exigent toujours du papier, refusant d’indiquer un mail. Ils tentent d’endiguer par tous les moyens le flot des manuscrits. Cette tactique n’est-elle pas symptomatique d’une crise profonde de l’édition ?

Tendance à succomber à la consanguinité éditoriale. On ne publie que les gens qu’on connait qui n’écrivent que ce qu’on connaît (roman dans la norme du roman, essai dans la norme de l’essai, manuel de cuisine dans la norme du manuel de cuisine…).

Je dis ça peut-être par ressenti. Un éditeur m’a déclaré il y a peu de temps, « On aime ce que vous faites, mais nos commerciaux ne savent pas dans quel rayon vous ranger. » J’avais anticipé cette réponse en introduction de L’alternative nomade, avertissement qui a aujourd’hui glissé en ouverture de Propulseurs dans le flux.

Ce texte n’est ni un essai, ni un traité d’expert, ni un document, ni un récit initiatique, ni un travail scientifique ou philosophique, ni une œuvre littéraire. Il se situe quelque part dans le flux mouvant qui interconnecte ces domaines, floutant les frontières qui jadis les séparaient. Vous ne le trouverez ni au rayon psychologie, ni au rayon sociologie, ni au rayon politique, encore moins au rayon technologie, mais pourtant il parle de tout cela.

Alors que la raison commerciale enferme souvent les éditeurs, nous avons toujours plus d’auteurs. Rétrécissement de l’offre commerciale, du moins de l’offre mise en avant, contre élargissement de la production. Le divorce entre les deux mondes ne cesse de s’aggraver entre ce qui est publié et ce qui est écrit, ou plutôt entre ce qui est publié sur le papier et ce qui est publié en ligne.

Pendant ce temps, au vu de la progression des ebooks, 3 % du marché en 2009 aux USA, 10 % en 2010, 50 % en 2015 selon Random House, nous voyons la production en ligne se fondre peu à peu avec la production traditionnelle.

Nous atteindrons alors le point de bascule à partir duquel les auteurs vedettes exigeront de leur éditeur des droits de 50 %. Les éditeurs n’auront plus alors que le choix d’accepter cette proposition ou de faire banqueroute. S’ils acceptent, et vu le manque à gagner, ils auront encore moins de ressources pour s’intéresser au flot des manuscrits et la consanguinité ne fera que les débiliter davantage au profit de la masse des auto-publications.

Il n’existe donc qu’une solution pour qui veut éditer des textes contemporains, avec un esprit d’aventurier, c’est de se lancer dans l’édition électronique sans tarder. Parier sur cette croissance exponentielle des ebooks. Entraîner avec cette flambée une nouvelle génération de textes et d’auteurs. Faute de sang neuf du côté des éditeurs, nous lirons comme aujourd’hui uniquement les ebooks dont les versions papier sont par ailleurs en tête de gondole dans les supermarchés. Et le graphique sur la baisse de l’influence des auteurs publié par Wired et que je reproduis en ouverture de ce billet ne fera que devenir de plus en plus d’actualité. Quand on publie ce que les gens attendent, on les divertit, on ne les influence pas et on ne change pas le monde.

Je ne savais pas où j’allais en commençant, je ne suis pas allé bien loin, c’est souvent ainsi l’écriture. On ne trouve pas toujours un truc génial en chemin.

Fabrizio Tinti @ 2010-07-12 09:55:38

RT @crouzet: Le crash de l’édition http://bit.ly/c9yIbu

Web Design Mauritius @ 2010-07-12 10:01:07

Perusing over: Le crash de l’édition http://is.gd/doSGz

ownicrew @ 2010-07-12 10:06:56

OwniCrew Le crash de l’édition http://bit.ly/ag5bqq

françois bon @ 2010-07-12 10:13:46

Qui a dit : "Je ne savais pas où j’allais, je ne suis pas allé bien loin, on ne trouve pas toujours un truc génial" http://bit.ly/a1FcZF ?

40k @ 2010-07-12 10:16:58

fra RT @crouzet Le crash de l’édition http://bit.ly/c9yIbu

eBouquin @ 2010-07-12 11:13:46

en train de lire Le crash de l’édition sur le blog de @crouzet - http://blog.tcrouzet.com/2010/07/12/le-crash-de-l’edition/

Monique Le Pailleur @ 2010-07-12 11:19:55

RT @ebouquin: en train de lire Le crash de l’édition sur le blog de @crouzet - http://blog.tcrouzet.com/2010/07/12/le-crash-de-l’edition/

Suhani @ 2010-07-12 11:59:46

RT @crouzet: Le crash de l’édition http://bit.ly/c9yIbu

Houssam MAJDOUBI @ 2010-07-12 12:19:02

Le crash de l’édition http://dlvr.it/2YBqq

Association1901.fr @ 2010-07-12 13:25:41

RT @crouzet: Le crash de l’édition http://bit.ly/c9yIbu

Damien @ 2010-07-12 18:47:52

Bonjour Thierry,

si si, on trouve des trucs géniaux en chemin, je suis d’accord avec l’analyse, pour bien sentir le secteur de ce qu’on nomme encore l’édition on peut décrire que

1- Comme tous les systèmes hierarchiques les éditeurs cherchent à inféoder la logique de complémentarité lecteur-auteur en détruisant l’égalité naturelle.

2- comme tu l’avais montré avec l’exemple de la carte visa l’édition électronique grandira avec de l’auto-organisation et non plus avec l’acte de décision hiérachisé qui n’est plus adapté.

La vague numérique est en train de tout emporter en souligant que effectivement les éditeurs même les plus "réputés" ne sont que des hommes où des femmes de commerce qui utilisaient l’impossible communication(côut de l’impression, distribution...) comme un alibi. Le flux rend obsolète ce qui était un monopole ou plus précisement un cartel.

En ne cherchant pas à polluer des principes naturelement complémentaires par de la hiérarchie ou du capital, l’édition nummérique, la vraie édition en somme génère la révolution en cours.

C’est pour cette raison que l’édition ancienne veut absolument attaquer la dite gratuité du net, car en défendant le revenu de l’auteur elle garde le controle, alors qu’elle n’a jamais comprise qu’un auteur est avant tout un méssager dont le revenu éventuel ne peut être que secondaire et en aucun cas un moyen d’interdire de l’expression un confrère. Assurer par cette casustique le revenu d’un auteur permet la censure de milliers d’autres. C’est ce que détruit justement l’édition numérique, d’où le crash inévitable pour les commerçants de bouillon de culture.

Thierry Crouzet @ 2010-07-12 22:13:03

Il faut espérer qu’on saura redonner de la diversité à l’édition avec les ebooks, c’est pas gagné... mais on va se battre.

damien @ 2010-07-12 22:36:58

On va se battre, et depuis 6000 ans, on a eu le temps de fourbir nos armes... Nous préparons pour notre compte un feu d’artifice courant septembre. Pour l’instant on est en sous-marin. Une petite anecdote pour la nuit: Je me rendais chez un libraire éditeur à Paris qui se présente comme le spécialiste du Merveilleux (je suis brave je ne donne pas de nom) avec sous le bras un exemplaire papier d’un de nos livre (ed les larmes d’Icare Philosophie et Merveilleux)joli papier... pour lui proposer comme cela se fait courament de le mettre en dépot avec 40% de remise. Et bien le responsable a refusé catégoriquement. Depuis je n’achète plus de livre chez lui étant devenu un loup pour lui. Dommage! et pour le merveilleux on repassera.Voilà ce que ne sait pas le grand public: une suite de petits crimes discretement dissimulés. On a besoin du grand air, de nouveaux horizons mais sans naïveté et en gardant la mémoire vive naturellement.

Thierry Crouzet @ 2010-07-13 08:16:10

Ce qui compte c’est de ne pas négliger le métier, de travailler les textes, encore, encore... et de se stimuler en devenant des cyborgs :-)

Damien @ 2010-07-13 10:44:26

Les textes et aussi les images...Pour avoir travaillé sur les questions de l’impression papier, la seule technique vraiement au point est la digigraphie qui permet d’avoir un rendu parfait sur les nombreux paramètres de l’image, et là on est très loin de l’offset. C’est un des avantages de l’ipad que de s’approcher de cette qualité qui n’était que peu disponible vu le coût de l’impression. C’est très simple mais pour des auteurs qui ne veulent pas séparer corpus et image, il y a là une révolution phénoménale. on sort du statut de l’image unique on accède à l’universel numérique. William blake pour tous en somme et non plus de vilaines reproductions de gravures. Ainsi travailler à toujours plus de beauté et la rendre disponible, fluide, éxigente...

Thierry Crouzet @ 2010-07-13 10:48:34

Pour quand les carnets de Delacroix sur iPad ? :-)

damien @ 2010-07-13 11:12:08

Ce qui compte c’est la cohérence, et je ne suis pas sûr que Delacroix eut aimé l’idée. C’est la même chose avec les manuscrits. Il faut qu’à l’origine on puisse penser le statut de son travail et non pas qu’il soit comme un bateau qui dériverait à l’infini selon les avancées techniques. Or le numérique va avoir sa logique propre et penser un lien unique entre image matérielle (matrice) et image digitale.

Antoine Barral @ 2010-07-15 13:23:38

bonjour Thierry, bonjour les autres

si, si, ton billet est intéressant ! ;-)

1- au sujet du document de départ, il me semble qu’on pourrait l’interpréter d’une autre façon: à savoir que le tweet serait un mode d’expression utile et efficace pour les acteurs et les politiciens, mais inadapté aux écrivains...

2- au sujet du tsunami du numérique qui va emporter l’édition, je suis en partie d’accord avec toi, mais pas complètement, on en a déjà parlé. Les chiffres que tu donnes sont difficiles à exploiter:

"3 % du mar ché en 2009 aux USA, 10 % en 2010, 50 % en 2015 selon Ran dom House" car on ne connaît pas la croissance du gâteau, ni sa composition.

La facilité de publier à bas coût en numérique va accentuer ce qui est déjà en cours grâce aux nouvelles techniques d’impression: augmentation du nombre de titres publiés et baisse du "tirage" moyen par titre, concentration sur les "best-sellers". Gros et petits éditeurs mettront en ligne un plus grand nombre de textes car cela ne leur coûtera pas grand chose, mais avec des chances de "succès" de plus en plus faibles...

Thierry Crouzet @ 2010-07-15 18:36:20

Pour ce que j’ai compris, le gâteau de l’édition n’augmente pas beaucoup. Quand le livre électronique fait +10%, le papier doit faire -10%. En gros quoi.

Damien @ 2010-07-15 19:11:54

Les gros éditeurs qui sont en train de mettre leurs plateformes en place refusent vis à vis des libraires le tout numérique et voient dans le livre papier la base de ce qui sera après numerisable. C’est pourquoi visuelement on a droit a des erzats de pages, avec la volonté de ne pas perdre le consommateur en chemin. Pour faire revivre le livre et l’édition il faut repenser la page... pourquoi pas sous forme de rouleau comme il y a quelque siècles. Une vague de fraicheur, un rouleau de printemps!

Antoine Barral @ 2010-07-16 00:17:38

Bon, sans vouloir jouer le prophète de malheur ou le post-apocalyptique, je crois que ces problèmes ne vont durer que 15 à 20 ans, peut être 30, mais ensuite ils se résoudront d’eux mêmes faute d’électricité, de batteries, etc...

Economie de guerre, voire guerre tout court, causeront une crise de l’édition bien plus profonde, et on sera bien content d’avoir des bouquinistes parcourant les rues en poussant leurs charettes à bras pour nous vendre de bon vieux livres sur papier à moitié pourris...

Et même si internet existe encore, la guerre numérique aura contraint les états à le segmenter en sous-réseaux étanches pour éviter des attaques provenant de l’autre bout du monde.

Voilà ma prophétie, ô disciples: la fragmentation du réseau informatique mondial en sous réseaux déconnectés les uns des autres...

Damien @ 2010-07-16 01:03:08

Juste avant de dormir, c’est noir mais c’est pas mal comme prophétie,

et moi qui venais d’acheter un long board...

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