Thierry CROUZET
Quel est mon meilleur livre ? Mon site
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Beaucoup croient que le passage au numérique pour le texte n’implique qu’un changement de support. « Une révolution du média », disent-ils. Ils ignorent ce que nous expérimentons depuis une dizaine d’années sur nos blogs et autres formes textuelles sur le Web. Pourquoi la production écrite explose-t-elle en ce moment ? De nouvelles perspectives se sont ouvertes et nous les explorons, excités à l’idée d’entrer dans des territoires neufs.

Pendant ce temps, les classiques, que je ne qualifie pas de rétrogrades pour ne pas les ostraciser, voudraient que nous écrivions comme Proust, que nous produisions des œuvres qui ressemblent à celles du passé, tout au moins du xxe siècle. Mais qu’écrirait Proust aujourd’hui ? Croyez-vous qu’il renoncerait à la forme réticulaire ?

Pendant que les jurés Goncourt s’apprêtent à décerner leur palme, les véritables œuvres d’aujourd’hui échappent à leur entendement. Ils ne les voient pas, ce qui suffit à montrer le décalage qui existe entre la création et la production normalisée. Ces œuvres contemporaines ne peuvent tout simplement pas être contenues dans un livre papier quelle déborderaient sans cesse et qui serait incapable d’en transcrire la matière même. Elles ne peuvent pas recevoir un prix conçu il y a plus d’un siècle.

J’ai la conviction que nos blogs, certes pas tous, certes pas tous les billets, tracent des histoires propres au xxie siècle. Nous ne produisons plus un texte borné, avec un début et une fin, ou même avec un auteur unique, mais des textes qui s’entrecroisent à travers les liens et surtout les commentaires qui s’alignent à leur suite et qui participent à l’œuvre.

Nous créons des espaces textuels qui n’ont plus rien de linéaire et qui se déploient sur des dimensions multiples que le numérique a ouvertes pour nous. Chaque œuvre devient une métaphore de l’ensemble de la littérature. Alors que nous ouvrions des livres avant de passer à d’autres, nous ouvrons des billets avant de passer à d’autres, à l’intérieur d’un même corpus avec le risque incessant de remonter un lien vers ailleurs, de s’engloutir dans les commentaires, de remonter chez les commentateurs eux-mêmes…

C’est une expérience de lecture nouvelle, déjà évoquée par Borges. Une mise en abîme. Imaginez une vie de lectures concentrée dans une seule lecture. Babel dans un seul site. Une œuvre comme la bibliothèque universelle. Alors nous auteurs n’alignons plus de grands flots de textes, mais des morceaux, livres en miniature que l’on tire et remet dans les rayonnages au fil de nos pérégrinations.

Entendez François Bon quand il dit que son meilleur livre est son site. Les classiques ne veulent pas voir cet objet qui pourtant est la seule littérature contemporaine. Certes il existe d’autres littératures produites en ce moment même, mais elles ne sont pas contemporaines, car rien ne les aurait empêchées de naître hier, à l’exception de ce qu’elles disent, quoique pas toujours. Le refus de la forme présente dénote à mon sens un refus du présent. De ce que lui seul pour la première fois dans notre histoire peut nous amener à formaliser.

Vous allez me dire que cette révolution n’a pas besoin du livre électronique. Au contraire, nous avons besoin d’engins toujours plus confortables pour explorer la nouvelle littérature réticulaire. Tout le monde croit que les liseuses nous aideront seulement à lire les livres du passé alors qu’elles nous offriront une nouvelle expérience de lecture adaptée aux écritures fragmentaires et interconnectées d’aujourd’hui.

Le débat entre le vieux monde de l’édition et le nouveau prête à sourire. Tous les acteurs parlent d’objets textuels d’un autre temps : des livres. Peut-être que c’est tout autre chose qui émergera au grand jour. Ces objets encore incernables et que personne ne semble encore capable de vendre, de voir, de critiquer, tant ils se dérobent à l’enfermement.

J’espère avoir montré par cette évocation de ce qui est pour moi une œuvre littéraire contemporaine que l’écriture n’utilisait pas le numérique juste comme un support de diffusion, mais qu’elle en faisait sa matière même. Nous sommes bel et bien dans la même situation que le photographe qui passe de l’argentique au numérique, qui fait des effets et d’une infinité de nouvelles possibilités techniques, le sujet même de son art.

L’analogie avec la photographie est profonde et non approximative comme des commentateurs le pensent (et vous les voyez ainsi surgir dans l’œuvre même, comme François Bon a surgi par un lien). Si on se limite à voir le passage au numérique comme une simple transposition des livres d’un média à un autre, on passe à côté d’une évolution gigantesque de la lecture et de la matière même dont se nourrissent les lecteurs.

Numeriklivres @ 2010-10-08 08:46:14

RT @fbon: RT @crouzet: Quel est mon meilleur livre ? Mon site http://bit.ly/aKubWU | le blog comme dialogue et exploration

Christine Jeanney @ 2010-10-08 08:49:38

RT @_chsanchez: Nous créons des espaces textuels qui n’ont plus rien de linéaire qui se déploient sur des dimensions multiples http://bit.ly/ce4BH8 @crouzet

Florence Trocmé @ 2010-10-08 08:52:52

http://j.mp/9CaSny ; Proust renoncerait-il à la forme réticulaire ?

Florence Trocmé @ 2010-10-08 08:55:45

http://j.mp/9CaSny : "évolution gigantesque de la lec­ture et de la matière même dont se nourrissent les lecteurs." (Th. Crouzet)

Christine Jeanney @ 2010-10-08 08:56:10

RT @Poezibao: http://j.mp/9CaSny : "évolution gigantesque de la lec­ture et de la matière même dont se nourrissent les lecteurs." (Th. C ...

L’Hippocampe associé @ 2010-10-08 08:57:09

RT @Poezibao: http://j.mp/9CaSny : "évolution gigantesque de la lec­ture et de la matière même dont se nourrissent les lecteurs." (Th. C ...

Galuel @ 2010-10-08 10:23:45

Wikipedia est l’exemple type de ces oeuvres nouvelles qui ne sont pas des livres, bien qu’elle en soit un concept dérivé.

Wikipedia ne tiendrait dans aucune encyclopédie papier. C’est bien plus "lourd" que l’Universalis.

De plus l’Universalis ne se met pas à jour en temps réel !

Sans compter évidemment les vidéos, les liens hypertextes, les sons, les animations qui sont incompatibles avec un format figé comme un livre !

Sans compter non plus le fait qu’on accède à Wikipedia de n’importe quel point d’accès au réseau, sans coût de stockage individuel !

etc etc etc...

Et c’est un "modèle" qui "gagne des sous", c’est bien "financé" en plus !

F Bon @ 2010-10-08 10:35:23

Ai été très touché, Thierry, dans ma brève incursion Montpellier, de votre invitation à toi et Isabelle (qui m’a traité de "sauvage"!), mais, comme à Ouessant, impression qu’on explore autre forme de maison commune: vital, ce dialogue, ces rebonds ou ricochets - on avance...

Arnaud @ 2010-10-08 10:37:26

"J’ai la convic­tion que nos blogs, certes pas tous, certes pas tous les billets, tracent des his­toires propres au xxie siècle. Nous ne pro­dui­sons plus un texte borné, avec un début et une fin, ou même avec un auteur unique, mais des textes qui s’entrecroisent à tra­vers les liens et sur­tout les com­men­taires qui s’alignent à leur suite et qui par­ti­cipent à l’œuvre."

A force de lire vos billets, j’ai l’impression que vous parlez de "conversation" au lieu de littérature. Une discussion de pair à pair sur Internet (un peu comme les lettres manuscrites d’époque) serait alors de la littérature. Certes il y’a bien des échanges épistolaires qui sont devenu littérature, doit-on généraliser tout échange comme littérature (mot pris au sens large)?.

Je suis d’accord avec vous que le numérique peut constituer une évolution pour le livre, de là à dire "gigantesque".

Les œuvres qui se sont voulu collaboratives ont existé avant Internet (evidemment, avec un outil moins efficace mais l’outil n’est pas le seul élément expliquant la réussite d’une oeuvre).

De même, si on étudie la structure des ouvrages universitaires (de la science humaine à la science dure), les articles discutent entre eux, les auteurs se lisent, se contestent, se font référence et tout cela bien avant Internet. Le principe de citation ou plus large, d’intertextualité, ne font-elles déjà pas œuvre de co-construction? de commentaire? Ne trouve-t-on pas une trace de ce que vous appelez "une écriture fragmentée et interconnectée d’aujourd’hui" bien avant Internet?.

L’écriture n’est-elle pas, à sa base même, inter-connecté (une langue commune, des références à d’autres auteurs) ?

Thierry Crouzet @ 2010-10-08 10:52:38

@Arnaud C’est pour ça que je parle de mise en abîme. La différence, c’est que chaque œuvre peut enfermer en elle-même le processus réticulaire qui avant occupait uniquement l’ensemble de l’écosystème.

Il ne s’agit pas d’une création coopérative. Mon blog c’est moi qui l’écris, mais il est ouvert aux autres qui y sèment leurs graines. On a des œuvres et des interventions qui s’entrecroisent dynamiquement. On n’est pas dans l’ancien cadre épistolaire. Mais on n’est pas non plus sur mars, on continue une histoire.

Regarde tous les billets d’un blog qui se répondent, s’enchaînent par des tags, souvent différents, proposant différentes linéarités de lecture. Sans parler des accès par les recherches, par différents classements... bientôt sémantiques. On n’a encore exploré qu’une infime partie des possibilités offertes.

Christine Genin @ 2010-10-08 10:57:09

RT @crouzet Quel est mon meilleur livre ? Mon site http://bit.ly/aKubWU

Arsaber @ 2010-10-08 12:08:08
  1. Le papier lui-même n’a jamais été seulement un média, un outil, mais tout autant un environnement. En témoigne la calvitie précoce, à force de s’arracher les cheveux, des éditeurs du Coup de dé de Mallarmé, des Caractères de La Bruyère, des Journaux de Franz Kafka ou Samuel Pepys (& j’en passe & des meilleurs).

  2. Paradoxalement, ce qui nuit encore à la numécriture, ce sont les bonnes vieilles habitudes papier. Nouveauté, inconnu de cet environnement, trop de blogs, trop de sites, ne sont qu’avatar ou décalque binaire d’une pensée pulpe d’arbre, & il est encore plutôt rare de goûter, sauf petits cercles pointus, des écritures exploitant, explorant, ne serait-ce qu’une des nombreuses dimensions de ce nouvel environnement (comme ici chez maître Crouzet, en son blog perché : la vitesse, la réactivité, le collectif).

  3. Toutefois, à la lecture (?), par exemple, du bloc-note de Philippe de Jonckheere (Je suis tombé hier soir nez à bouche-bée sur son époustouflante Ursula) même les plus rassis papier-pavloviens (je sais de quoi je bave), se devront d’admettre qu’il en est, déjà, qui s’ébattent de l’autre côté d’un miroir autrement merveilleux.

Tweet me @ 2010-10-08 13:08:21

Vous avez raison de vous concentrer sur votre blog pour vous justifier de votre manque de style littéraire.

car Pour des livre qui traite de la theorie de l’information; je n’ai jamais vu un tel concentré de non information.

(Enfin cela n’engage que moi)

Galuel @ 2010-10-08 13:15:13

Ca doit être un point de vue "relatif", parce que de mon côté j’ai bien le sentiment de lire chez Thierry des choses extrêmement profondes concernant les structures qui se mettent en place actuellement à tous les niveaux sociétaux, économiques, et ... littéraires...

D’abord ils vous ignorent, ensuite ils vous combattent...

On est typiquement dans l’étape N°2 là !

Nessy Lupino @ 2010-10-08 14:02:58

fatiguant @crouzet il écrit plus vite que j’ai le tps de commenter> Quel est mon meilleur livre ? Mon site http://bit.ly/aKubWU #cerveaulent

000 @ 2010-10-08 15:10:41

""que nous écrivions comme Proust, que nous produisions des œuvres qui ressemblent à celles du passé"

Il n’a jamais été question de réclamer une permanence de la forme.

Je suis le premier à dire que la forme "blog" peut être un nouveau genre littéraire en soi, et qu’il est souvent vain et ridicule de continuer à chercher la forme "livre", "roman", "oeuvre classique de 300 pages ou plus délivrées d’un coup", etc.

Il est en revanche question d’exiger une permanence de qualité : un auteur, ce n’est pas simplement quelqu’un qui jette des idées sous forme de mots.

Avant d’être quelqu’un qui choisit telle ou telle forme de son temps (le "roman long, avec des personnages etc"), Proust est quelqu’un qui a une puissance de perception hors du commun, et qui consacre du temps à rendre cette perception par un travail assidu de l’écriture et de la composition.

C’est cela qui est essentiel, et qui fait la différence avec une perception des choses plus banale, plus en surface, plus commune, rendue par des moyens plus pauvres et moins de travail.

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Différence aussi entre Proust qui écrit en cherchant le meilleur, en se référant à ses grands modèles, sans jamais se soucier du fait qu’il faut un niveau de culture important pour accéder à lui,

et l’auteur de la littérature de gare, qui écrit un petit récit vite torché, destiné à séduire le grand public le temps d’un trajet en train.

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Le blog peut être un genre littéraire, mais quand l’article de blog est un truc vite pondu qui répond à un sujet d’actualité vite périmé, avec une perception des choses commune ou répétitive, ce n’est pas du niveau de Proust.

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Ce n’est pas une question de querelle Anciens / Modernes sur la forme, c’est une question de niveau de création.

On a toujours vu des auteurs moyens prétexter une querelle Anciens / Modernes, quand la seule question est celle du niveau de création.

N’importe qui ne peut pas invoquer Joyce, Nietzsche, Flaubert ou Proust, pour dire qu’il est trop en avance sur son temps et qu’on le comprendra plus tard.

Herve Le Duc @ 2010-10-09 09:27:17

Quel est mon meilleur livre ? Mon site : http://bit.ly/ce4BH8

Silvae @ 2010-10-11 18:01:22

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