Thierry CROUZET
Capitalisme et marxisme, même combat
Capitalisme et marxisme, même combat

Capitalisme et marxisme, même combat

Avec l’équipe de L’expérience inédite, nous avons publié la version 2 de La tune dans le caniveau. Dans cette version augmentée, je défends l’idée que le capitalisme et le marxisme se ressemblent et que nous devons fuir également les deux systèmes.

Capitalisme vs marxisme

Selon moi, le capitaliste avec son capital commence par construire un outil de production de type industriel.

Dans la perspective marxiste, plutôt qu’un industriel détienne l’outil de production, cet outil appartient à l’ensemble des ouvriers. Il en va de même pour le capital.

La différence entre le capitalisme et le marxisme se limite à savoir qui possède l’outil de production et le capital. Le marxisme ne remet pas en cause la nécessité d’un outil de production, ni même celle du capital nécessaire à sa construction.

Envoyons sur une planète vierge un capitaliste avec du capital, nous voyons à peu près comment il construira l’outil de production. Dans la même situation que feraient des marxistes ? Comment construiraient-ils leur outil de production ?

Est-ce possible sans capital ? Des hommes isolés peuvent devenir des artisans mais ils ne peuvent devenir des ouvriers sans d’abord construire des usines. L’industrialisation ne s’est pas développée avec le capitalisme par hasard. Pour construire des outils de production de taille industrielle, outils d’ont le marxisme suppose la nécessité, il faut du capital.

Si les ouvriers rassemblent leurs économies pour créer ce capital, ils réinventent le capitalisme. Ils ont besoin de banquiers et de financiers. Et invariablement quelqu’un acquière plus de pouvoir que les autres et devient le capitaliste de la bande.

Il me semble que le marxisme ne peut apparaître qu’après le capitalisme. Des capitalistes avec leur capital créent un outil de production qui leur sera retiré pour être redistribué. Le marxisme est un système de résistance et de lutte, non pas un système constructif. En ce sens, il n’est pas viable par lui-même. Tout système marxiste vit comme un parasite d’un système capitaliste, en général plus ancien que lui, et il ne peut que s’effondrer à brève échéance quand il n’y a plus rien à bouffer.

Pour donner les usines aux ouvriers, il faut que des capitalistes les aient construites avant.

Organisme

Dans L’alternative nomade, j’ai introduit l’idée de développement organique qui ne nécessite ni outil de production de type industriel, ni capital. Dans La tune dans le caniveau, je dis que seul l’anarchisme peut succéder au capitalisme et au marxisme. À l’avenir, je leur opposerai plutôt l’organisme.

Un exemple : L’expérience inédite elle-même. Comparons trois façons d’éditer un texte.

  1. Capitaliste. Un auteur envoie son travail à un éditeur qui avance l’argent pour payer l’édition, la correction, la mise en page, l’impression et la diffusion. Il récupère éventuellement une plus-value, a priori proportionnelle à la prise de risque initiale. Nous sommes dans la logique que Marx résume par Valeur -> Marchandise -> Valeur.

  2. Marxiste. Un collectif se crée autour de membres qui avancent des fonds et qui ensuite fonctionnent comme un éditeur capitaliste (puisqu’ils s’appuient sur la même chaîne de production que lui). On reste dans la logique Valeur -> Marchandise -> Valeur. Sans capital initial, rien n’est possible.

  3. Organiste. Un collectif se crée et travaille pour réaliser chacune des étapes du processus éditorial sans jamais avancer le moindre capital. On passe dans la logique Marchandise (le livre) -> Valeur -> Marchandise (des carottes pour manger). C’est ce que nous avons fait avec La tune dans le caniveau. Nous nous sommes lancés dans un développement organique, un peu comme une plante qui pousse vers le ciel. Nous utilisons nos outils de production individuels – nos outils d’artisans –, et les outils de production distribués entre une multitude d’acteurs, le réseau qui est d’une certaine façon dorénavant un bien commun.

Socialisme

De quoi s’agit-il ? De protéger les plus faibles. De construire un État qui augmente la sécurité et prend en charge les biens communs. Le socialisme est compatible avec le capitalisme, le marxisme et l’organisme (comme l’est le libéralisme auquel on peut l’opposer). Seule contrainte, il doit être en phase avec le système avec lequel il se combine.

Avec le capitalisme, le socialisme ne peut qu’être centralisateur. Peu de gens détiennent le pouvoir. Avec le marxisme, il finit aussi rapidement par être centralisateur, du fait même de la localisation de l’outil de production, l’usine. Avec l’organisme, le socialisme doit lui-même se décentraliser, se distribuer entre tous les citoyens-artisans. C’est une nouvelle forme d’État qu’il faudra inventer.

Je me dis que si j’écris une troisième version de La tune dans le caniveau, j’introduirais une autoréférence dans le texte. Après avoir rejeté le capitalisme et le marxisme, Noam se lancera dans une expérience inédite et publiera La tune dans le caniveau pour démontrer la possibilité de l’organisme. Il proposera alors un système socialo-organiste.

PS 1: Il nous reste 5 exemplaires papier de la V1 de La tune dans le caniveau. Participez à cette expérience organiste en les achetant maintenant. On ne les réimprimera pas !PS 2: C’est typiquement un papier dans la série atelier, work in progress. Je devine des choses à creuser.

Crouzet @ 2010-11-27 20:31:15

Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/fwma9w

Thierry Crouzet @ 2010-11-27 20:31:15

Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/fwma9w

ownicrew @ 2010-11-27 20:40:50

OwniCrew Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/hgnr0C

recriweb @ 2010-11-27 20:42:14

Que de contresens sur le marxisme... Par quoi commencer ? RT @crouzet: Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/fwma9w

Fantaisie @ 2010-11-27 20:50:34

Quel gloubiboulga ! RT @crouzet: Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/fwma9w

Parti socialiste GE @ 2010-11-27 21:03:22

Réflexion intéressante. Mais à affiner sans doute ;-)

RT: Capitalisme et marxisme, même combat

http://bit.ly/fwma9w (via @crouzet)

recriweb @ 2010-11-27 21:21:57

Que de contresens sur le marxisme... Par quoi commencer ?... J’y réfléchirais.

Thierry Crouzet @ 2010-11-27 21:49:49

J’attends avec impatience. Je commence juste à lire Marx et je devine des choses passionnantes et aussi des impasses, tout comme dans le capitalisme. Ce n’est pas un hasard si nous sommes dans la merde en ce moment. Le système pour nous en sortir n’existe pas, nous devons l’inventer.

Archi-Trav @ 2010-11-27 22:21:22

RT @crouzet: Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/hSalA0

MadissonCustomer @ 2010-11-27 22:21:28

RT @crouzet: Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/hSalA0

did @ 2010-11-27 23:03:29

"Le système pour nous en sortir n’existe pas, nous devons l’inventer." = Faut-il obligatoirement un système ? Le problème de chaque système ne serait-il pas l’être humain lui-même ?

Jésus disait : "Le plus grand parmi vous sera celui qui servira les autres."

tunis2zero @ 2010-11-27 23:10:25

RT @crouzet: Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/hSalA0

konexe @ 2010-11-27 23:25:10

RT @crouzet: Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/fwma9w

Le top des retweets @ 2010-11-28 05:49:03

Capitalisme et marxisme, même combat (Le peuple des connecteurs) http://bit.ly/ecVRBN

RATEFY @ 2010-11-28 06:38:14

certes mais dans le marxisme, le SOCIALISME EST UNE ETAPE...

FRANCHISSABLE ? c’est une autre question qui a fourni à B.Maris le thème de son ouvrage: "Marx! O Marx! pouequoi m’as-tu abandonné".

Thierry Crouzet @ 2010-11-28 07:53:00

@did Un système distribué ne serait pas UN système mais une multitude de systèmes en interactions... c’est plus tout à fait ce qu’on a appelé un système jusqu’à aujourd’hui.

@Ratefy Dans une logique organique, le socialisme n’a plus rien de commun avec celui que nous expérimentons aujourd’hui, il faudra lui aussi lui trouver un autre nom, ce qui reviendra bien à le dépasser.

Fernando Santamaría @ 2010-11-28 08:20:18

Capitalisme et marxisme, même combat http://j.mp/g4QShY

Nessy Lupino @ 2010-11-28 10:29:00

Lâchez-vous ! RT @tcrouzet Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/fwma9w

Vogelsong @ 2010-11-28 10:32:53

Un des deux l’a emporté #pas_pareil RT @tcrouzet Capitalisme et marxisme, même combat http://bit.ly/fwma9w

Vogelsong @ 2010-11-28 11:15:56

Quand tu évoques le capitalisme, y inclues tu le libéralisme, cette forme surpassée de domination de la marchandise par la finance ?

Thierry Crouzet @ 2010-11-28 12:25:10

Je crois que le capitalisme n’est pas nécessairement libéral (et spéculatif). Il peut y avoir un capitalisme social aussi. Ce qui me déplait dans le capitalisme quel qu’il soit c’est qu’une minorité possède l’outil de production et que du coup la majorité lui soit asservie. Il me semble que le marxisme ne règle pas ce problème, en tout cas il n’y est jamais parvenu.

Par rapport à l’outil de production, on peut pas dire qu’il y a eu bataille entre capitalisme et marxisme. Ils n’ont pas remis en question ce point. Tous les deux pour une forme de progrès, ils avaient besoin de l’outil de production. Et seul les technologies de pointe nous laissent entrevoir un dépassement de cet outil.

L’organisme lui aussi ne peut venir qu’après le capitalisme et qu’après le marxisme, mais une fois qu’il sera advenu, il pourra se maintenir tout seul. Il ne sera pas dépendant de qui lui aura préexisté. Un peu comme une fusée qui lâche un à un ses premiers étages.

ours-blanc- @ 2010-11-28 12:37:54

Bonjour,

vous présentez "l’organisme" comme un moyen qui ne nécessite pas d’apport de capital, mais le réseau il a bien fallu le construire et ça a nécessité un capital non?

De même que les outils d’artisans qui ne sont pas fabriqués par vous-même dans cette chaîne mais proviennent d’une structure capitaliste.

Mathieu.

Thierry Crouzet @ 2010-11-28 12:45:27

Je n’ai pas réécrit l’argumentation de la tune dans le caniveau dans ce billet (pas plus que celle de l’alternative nomade). J’y ai fait référence. :-)

J’ai bien sur proposé une solution pour sortir de ce dilemme. Nous sommes aujourd’hui en train de fabriquer les technologies auto-répliquantes (imprimantes 3D par exemple) qui nous permettent d’entrevoir le moyen de sortir de l’outil de production de masse. Peu à peu nous allons larguer les étages de la fusée. Quant au réseau, c’est un bien commun distribué entre une multitude d’acteurs et de nombreuses personnes travaillent aussi sur une sortie du capitalisme de ce côté (connexion entre routeur pour créer une infrastructure totalement libre par exemple).

Stanislas Jourdan @ 2010-11-28 16:00:04

RT @crouzet Capitalisme et marxisme, même combat http://ow.ly/3gnTf

julien @ 2010-11-28 22:07:33

...ça s’appelle la vie. Et elle est déjà breveté en partie, donc sous contrôle des capitalistes. La semence, les graines, c’est une technologie auto-répliquante qui te permet de manger. Tu peux, tu dois être en réseau avec tes voisins si tu veux assurer la diversité génétique nécessaire à une bonne récolte. Il suffit qu’on te donne une fois des semences, que tu aie suffisamment de terre (je crois que tu nourris une famille avec 1 ou 2 hectares) et c’est parti, tu sèmes, tu récoltes... tu resèmes, tu échanges tes semences, etc. Il existe d’ailleurs des semences "libres", un peu comme pour les logiciels. Elle forment même surement la majorité.

Je veux dire que la "technologie", on l’a déjà.

Pourquoi est-ce que tu penses que ce sera différent avec des imprimantes 3D auto répliquantes ? Qu’est ce qui est fondamentalement différent ?

Thierry Crouzet @ 2010-11-29 07:21:38

L’homme ne se contente pas de bouffer. Et le tracteur ou même la pioche ne sont pas autorépliquants aujourd’hui.

Et comme toute transition vers un autre système elle dépend aussi de la volonté. Avec des technologies répliquantes (la culture est déjà devenue en grande parti répliquante), chacun de nous peut se libérer du capitalisme en devenant artisan. C’est un choix individuel. Après si la plupart des gens restent des ouvriers, ce sera aussi leur problème.

Je parle d’un scénario pour sortir du capitalisme, je ne dis pas qu’il se jouera automatiquement. Je ne prévois pas le futur mais parle de ce que nous pourrions faire si nous le voulons.

C’est possible dès aujourd’hui.

arvic @ 2010-11-29 10:13:53

A mon avis, Thierry, il y a un peu de confusion dans ton utilisation des termes "marxisme" et "capitalisme". ;-)

Car, en fait, de quoi parles-tu quand tu dis "marxisme"?

  • d’une théorie de l’histoire, qui tire sa source de la philosophie allemande (Hegel et la dialectique du maître et de l’esclave), mais que Marx a tenté de faire évoluer vers une discipline scientifique nouvelle, une manière de "lire" l’histoire de manière scientifique (c’est à dire causale, rationnelle, matérialiste et critique), en privilégiant l’approche économique et sociologique. Dans ce cas, le marxisme se confond avec le "matérialisme dialectique" (http://fr.wikipedia.org/wiki/Mat%C3%A9rialisme_dialectique) et ça n’a aucun sens de l’opposer au capitalisme, qui n’est pas une théorie de l’histoire.

  • ou bien de l’application de cette méthode du matérialisme historique à l’analyse de la société européenne du 19e siècle, par Marx - et Engels - (dans Le Capital", par exemple), qui l’amène à tirer un certain nombre de conclusions (je schématise ;-): l’économie des pays les plus industrialisés du 19e siècle (pour Marx, il ne s’agit QUE de l’Angleterre, la France et l’Allemagne) peut être appréhendée comme "un système" (qu’ils désignent comme "système capitaliste"). Ce système est un "mode de production" nouveau, pour l’époque, qui se distingue très nettement des modes de production connus auparavant (chez Marx et Engels, ça donne "mode de production féodal", succédant au "mode de production antique". Vers la fin de la vie de Marx, et après lui, des données historiques nouvelles, sur l’économie de sociétés anciennes telles que l’Egypte et la Mésopotamie antiques, ou bien la Chine, que l’on découvrait juste, battrons en brèche ce tableau, que l’on tentera de "rafistoler" en créant un mode de production supplémentaire: le "mode de production asiatique". En réalité, ce rafistolage ne fonctionnera jamais, et le beau tableau marxiste du cours majestueux et millénaire de l’histoire ne s’en est jamais remis...).

L’analyse fine des mécanismes économiques du capitalisme par Marx (autour des questions du capital, du travail, de la valeur, du profit, etc.) le conduit à considérer que ce système est particulièrement productif mais qu’il est instable (en plus d’être totalement injuste et aliénant pour le plus grand nombre, dépossédé du fruit de son travail par la salariat, et ravalé au rang de prolétaire). Il en vient à formuler une sorte de prédiction: ce système va s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions, dans les sociétés où il sera le plus avancé (et encore une fois, dans son esprit, il ne peut s’agir que de l’Angleterre, la France ou l’Allemagne, et certainement pas de pays ruraux, "féodaux" et "arriérés" comme la Russie ou la Chine!)).

L’analyse se poursuit sur la question de la "transition": qu’est-ce qui se passe après le capitalisme? Marx estime que la transition, au niveau politique, sera brutale et rapide, de la même manière que la transition entre féodalisme et capitalisme (la Révolution française) et contrairement à la transition précédente, qui fut lente et progressive (entre mode de production antique et féodal). Il prédit donc (et au fond de lui-même, il attend) une nouvelle révolution.

Celle-ci donnera lieu à l’émergence d’un nouveau mode de production, caractérisé par la propriété collective des moyens de production: c’est le "mode de production socialiste". Mais celui-ci est également instable et ne sera donc que transitoire. Il conduira donc vers une nouvelle transition, qui sera, quant à elle, lente et progressive (pas de "troisième" révolution): c’est le passage du "mode de production socialiste" au "mode de production communiste" (on y vient enfin). Ce dernier mode de production sera enfin stable et ouvrira une ère éternelle de bonheur pour l’humanité réconciliée. Bref, au bout du chemin - laïque-, le Paradis sur la Terre! :-))

  • quand tu parles de marxisme, parles-tu enfin de ce courant politique formé par ceux, autour de Marx et après lui, qui ont repris cette analyse à leur compte et ont tenté d’intervenir dans le cours de l’Histoire, par une action politique déterminée et collective pour hâter un accomplissement jugé, par ailleurs, de toute façon inéluctable, vers le socialisme d’abord, puis vers le communisme? C’est uniquement dans ce "troisième temps" que le marxisme n’est plus une philosophie, et n’est plus une théorie socio-économique de l’histoire, mais qu’il devient un mouvement politique révolutionnaire, qui s’oppose au capitalisme et travaille à le renverser.

Tu noteras que dans les deux "premiers temps" de son développement la pensée marxiste n’est nullement en contradiction avec le "socle commun" des théoriciens de l’économie de son époque: Marx se situe dans le droit fil des économistes libéraux des 18e et 19e siècles. Il est leur héritier "naturel" et historique! Plus tard, le plus libéral des néo-libéraux parmi les économistes du 20e siècle rendra d’ailleurs à Marx un hommage très appuyé: Joseph Schumpeter, dans "Capitalisme, socialisme et démocratie".

Schumpeter, le théoricien de la "destruction créatrice" comme moteur du capitalisme, souligne à quel point son analyse est convergente avec celle de Marx, même s’il parvient aux mêmes conclusions par un chemin très différent: à la question "le capitalisme peut-il survivre?", Schumpeter comme Marx répond que non. Et ils s’accordent également pour estimer qu’il sera remplacé par le socialisme (défini comme la propriété collective des moyens de production). Là où ils divergent, c’est qu’à la question "le socialisme peut-il fonctionner?", Schumpeter répond que non! (et il poursuit avec une très intéressante analyse de la démocratie comme "compétition pour la Direction politique", que je te recommande aussi. ;-)

Il n’y a donc rien d’étonnant à trouver, comme tu le fais, des points de convergence entre capitalisme et marxisme, puisque Marx situe délibérément sa pensée dans le cours de l’histoire. Il n’entend rien de plus que de "dépasser" le capitalisme, qui était pour lui une étape "nécessaire": donc oui, "capitalisme et marxisme, même combat", Marx n’a jamais rien dit d’autre que ça! :-)

Il ne s’agit pas non plus réellement pour lui de "construire" un nouveau système: mais d’accompagner, et - peut-être- de hâter, l’émergence de ce nouveau système, qu’il estime de toute façon inéluctable. Le marxisme, comme théorie de l’histoire est délibérément déterministe.

Sauf que rien ne s’est passé comme la théorie le prédisait: la Révolution n’est jamais venue en Angleterre et en France, elle a échoué en Allemagne (en 1918). Des révolutions "inattendues" se sont produites en Russie et en Chine, engendrant des systèmes monstrueux et débiles, qui n’avaient pas le moindre rapport avec le socialisme qu’attendait Marx, et qui n’ont jamais débouché sur l’avènement du communisme! Pour une théorie qui se voulait scientifique, comment veux-tu qu’elle s’en remette ! :-))

Enfin, tu ne diffères, au fond, pas tant que ça du Marx, quand tu estimes qu’après le capitalisme et le socialisme vient "l’anarchisme". Lui, il appelle ça le "communisme", mais je crois que vous parlez bien de la même chose. :-)

Thierry Crouzet @ 2010-11-29 10:44:54

Merci Guy pour ce résumé historique. C’est vrai que pour le peu que j’ai lu de Marx à ce jour je me sens assez proche de lui et j’ai les mêmes attentes.

Ce qui m’importe c’est de dénoncer la nécessité d’un outil de production. Cette nécessité m’apparaît être devenue un dogme pour tous les gens qui restent attachés à une forme de "progrès". Si je compare le capitalisme et le marxisme c’est parce que les tenants de ces deux système AUJOURD’HUI ne remettent pas en question ce dogme (je ne m’attaque pas à Marx mais à ce que les prétendus marxistes disent encore aujourd’hui).

Seuls les décroissants peut-être le remettent en question le dogme. Je ne suis pas dans leur camp. Je pense qu’on peut se maintenir sur une trajectoire d’innovation technologique et en même temps renoncer à l’outil de production industriel.

D’un côté des artisans équipés d’outils autorépliquants (les agriculteurs sont depuis toujours dans cette logique, surtout s’ils font du bio), d’un autre des infrastructures publiques, le réseau, ou collectives, les réseaux parallèles.

arvic @ 2010-11-29 12:00:12

Au fond, le "problème" avec la postérité du marxisme, c’est que ceux qui sont les moins fidèles à "l’esprit" de la pensée de Marx (par opposition à la "lettre") sont précisément, à mon avis, ceux qui se revendiquent aujourd’hui comme des marxistes! (partis communistes, léninistes, maoïstes et autres trotskistes, par exemple!)

Ils ont, en effet, fait un dogme, une quasi religion, d’une pensée qui à l’origine se voulait "plastique", qui voulait intégrer, synthétiser, le plus de données historiques possibles, pour les rendre intelligibles. Ils ont instrumentalisé une théorie philosophique à visée scientifique, qu’ils ont "figée" pour en faire une arme de propagande politique... Et ils ont cessé d’être de véritables chercheurs!

Les véritables héritiers de Marx sont ceux qui ont continué, après lui, un vrai travail de fond pour tenter d’intégrer à "la théorie" des données historiques nouvelles, que Marx ne connaissait même pas à son époque. C’est ce qui faisait dire à un grand historien de l’économie comme Fernand Braudel (qui n’était pas spécialement un agitateur révolutionnaire) qu’il se sentait indéniablement "plus proche de Marx que de Jésus" !

Il y a des penseurs qui ont tenté de réellement poursuivre les recherches de Marx après lui, sans s’enfermer dans un dogme: ce sont des Gramsci, Lukacs... et toute une école allemande que l’on qualifie même de "marxienne" (Horkeimer, Adorno, Habermas, Marcuse...), pour la différentier de tous ces pseudos "marxistes"...

L’influence de Marx est aussi déterminante chez des Français comme Debord, Guattari, Foucault, Baudrillard et même Bourdieu.

On ne peut pas être marxiste aujourd’hui en faisant un dogme de la pensée de Marx. Les véritables marxistes sont précisément ceux qui cherchent à comprendre sur quoi Marx s’est trompé! Car il faut bien reconnaitre qu’il s’est trompé et que si la révolution n’est pas arrivée, c’est peut-être qu’elle n’arrivera jamais!

Ou peut-être, plus subtilement, la révolution s’est-elle déjà produite, et elle s’est bien produite exactement là où Marx l’avait vue arriver (C’est à dire... en Angleterre, en France et en Allemagne!), mais on ne s’en est pas aperçus car ça ne s’est pas produit comme Marx l’avait envisagée!

Est-on encore dans le capitalisme que décrivait Marx quand une part aussi considérable de la production est en réalité déjà "socialisée" dans les dispositifs globaux d’assurances sociales, ou même d’assurance tout court autour desquels sont organisées toutes les sociétés post-industrielles? Est-on encore dans le capitalisme du temps de Marx, quand l’essentiel du pouvoir économique (et politique) n’est plus aux mains des propriétaires du capital, mais dans celles des "managers", et autres gestionnaires, aussi bien dans le secteur public que privé? Bref, quand le pouvoir véritable est passé des propriétaires à une technocratie qui ne tient pas ce pouvoir de son capital économique, mais de son capital intellectuel et social?

Comme le suggère Schumpeter, ça fait peut-être déjà un moment que nous sommes passés au socialisme, et on ne s’en est même pas aperçus, car la transition a été progressive, et qu’elle reste incomplète, inachevée...

Et si Marx avait raison sur le début de l’histoire et son principe: un mode de production succède à un autre dans une évolution cyclique de l’histoire, chaque mode de production finit toujours par s’effondrer (plus ou moins rapidement) sous le coup de ses propres contradictions, mais il constitue la "matrice" du système qui lui succède, chaque mode de production est marqué par l’émergence de nouveaux groupes sociaux, qui supplantent ceux autour desquels s’était organisé le système précédent... Et si Marx s’était surtout trompé dans sa croyance que ce processus cyclique s’arrêterait un jour, et qu’il y aurait une fin à l’histoire!

Le capitalisme, affrontement entre la bourgeoisie et le prolétariat, a entrainé l’émergence d’un groupe intermédiaire, les "classes moyennes", que l’on désigne pour le moment aussi vaguement, car cette émergence est diffuse, incomplète, inachevée. Le capitalisme est la matrice d’un nouveau système qui se substitue à lui progressivement, que l’on peut, si l’on veut, très bien qualifier de "socialisme", au sein duquel est en train de naître une nouvelle classe dirigeante, qui n’est pas issue de la bourgeoisie (mais qui finira par "l’avaler", comme la bourgeoisie avait fini par avaler les restes de l’aristocratie qu’elle avait elle-même supplanté). Parallèlement, le nombre d’ouvriers ne cesse de diminuer dans nos sociétés, au profit d’un vaste agrégat social très diversifié fait d’employés, fonctionnaires, petits entrepreneurs, cadres moyens, etc.

Le clivage social fondamental, et le "moteur" de notre société, n’est plus l’affrontement entre producteurs et propriétaires des moyens de production, pour le contrôle de cette propriété, il est devenu l’affrontement entre les technocrates qui gèrent les gouvernements et les conseils d’administration, et la grande masse de la population, pour le contrôle de la répartition de la valeur ajoutée issue de la production.

Aujourd’hui, la lutte des classes ne se situe plus du tout sur le terrain des nationalisations des entreprises, mais sur celui du partage de la valeur ajoutée, à travers le système socialisé de redistribution. Par exemple: la répartition du bénéfice et de la charge... de l’assurance retraite!

julien @ 2010-11-29 12:32:50

" Je pense qu’on peut se main­te­nir sur une tra­jec­toire d’innovation tech­no­lo­gique et en même temps renon­cer à l’outil de pro­duc­tion industriel."

Le problème c’est que la plupart des innovations technologiques aujourd’hui sont issues, ou sont commanditées, par l’industrie. Tu prends l’exemple des agriculteurs : 90%, 95% des fonds de recherche vont vers l’agriculture industrielle (OGM, pesticides, mécanisation, hybrides, voir nano-biotechnologies...) et ces technologies sont tout sauf des technologies émancipatrices. ça serait même plutôt des systèmes "privatifs", comme dirait Stallman, puisqu’ils te privent de ta liberté, notamment de la capacité d’autoréplication pour les semences hybrides ou OGM.

J’ai l’impression que quand tu parles de technologie, tu parles de technologie émancipatrice et pas de ces technologies là. Peut être que je me trompe ? Ce que je veux dire c’est que la technologie n’est pas intrinsèquement émancipatrice; et surtout pas si l’innovation est aux mains des capitalistes !

C’est d’ailleurs certainement ce qui te sépare de la "pensée décroissante" non ? J’avoue que je ne comprends pas cette croyance dans la technologie. Je dirais même que c’est en ce sens qu’on peut dire "Marxisme (quoi que c’est plutôt du Stalinisme que du Marxisme ce que tu décris) / Capitalisme même combat" : dans les deux cas, c’est l’équation "croissance = + d’innovations technologiques, + de productions".

recriweb @ 2010-11-29 12:48:30

Ce texte, n’a, dans le fond, aucun sens.

Je commence par le titre : "Capitalisme et marxisme, même combat". Il est en effet très curieux d’associer, d’une part, ce qui relève de la réalité contemporaine de notre monde, réalité éminemment concrète, objective, où les hommes meurent, où les vie sont gâchées.. et, de l’autre, un système de pensée, caractérisé par le matérialisme dialectique et par l’analyse du capitalisme qu’il a permis. C’est un peu comme si tu écrivais "Structures élémentaires de la parenté et structuralisme, même combat"... Cela étant dit, je ne m’étonne pas plus que ça : en ces temps constructivistes, où il est bon temps de réduire le réel à des "constructions sociales", ce type d’association mêlant l’objectivité du réel à ses tentatives d’élucidations intellectuelles ont probablement leur logique...

On peut craindre toutefois des développements théoriques qu’elle engage. Et effectivement :

Tu écris : "Selon moi, le capi­ta­liste avec son capi­tal com­mence par construire un outil de pro­duc­tion de type industriel" : c’est la vision idéologique du capitalisme (que Marx, déjà, il y a plus d’un siècle, dans ses différents ouvrages de critique de l’économie politique classique qu’il a publiés, a réduit à néant). Qui semble omettre un détail : l’origine du capital avec lequel le capitaliste qui, innocemment, ici, se pointe pour "construire un outil de pro­duc­tion de type industriel". Une vision se préoccupant d’adopter sur le monde des abstractions larges, se préoccupant de la marche des processus, permettrait, par exemple, de rappeler que le capital en question est d’abord le fait de rapines, de massacres coloniaux, de pillages internationaux, puis ensuite (pour assurer sa reproduction, et donc pour ne pas disparaitre) de l’organisation toujours plus perfectionné d’un ordre de production basé sur l’exploitation (on ne lira jamais assez ce que Marx écrivait sur celle-ci, en particulier sur le fonctionnement de la plus-value..). Dit autrement, un capitaliste ne "commence" pas par "construire un outil de pro­duc­tion de type industriel" (comme si il apportait quelque chose là où n’y avait rien), un capitaliste dispose d’un capital dont l’origine est l’exploitation et il engage celui-ci pour en assurer la reproduction dans l’ordre social (capitaliste) dont il hérite (et qui est le fruit d’un long et complexe processus historique, dictée par une seule loi : la reproduction du capital). Donc, si le capitaliste, dans cette histoire, fait preuve de créativité, c’est dans la manière de rendre l’exploitation, l’extorsion de plus-value, la plus perfectionnée possible et de faire en sorte que la lutte de classes, qui en découle, aille toujours à son avantage (quitte à massacrer de temps à autres).

Tu écris : "Dans la pers­pec­tive mar­xiste, plu­tôt qu’un indus­triel détienne l’outil de pro­duc­tion, cet outil appar­tient à l’ensemble des ouvriers. Il en va de même pour le capital" : si la révolution entend bien procédé à l’expropriation de la bourgeoisie, c’est en reconnaissant à celle-ci un mérite important : celui précisément d’avoir permis, après les régimes féodaux, un développement sans précédent des forces productives. Il s’agit certes de construire un autre système, mais en sachant bien que cela n’eut été possible sans l’existence du précédent système : le système capitaliste. Il s’agit de passer à une autre phase de l’histoire de l’humanité (de transformer la quantité rendu possible par le capitalisme à la qualité d’un système débarrassé de rapport sociaux basés sur l’exploitation, sur la propriété privée des moyens de prod). Il ne s’agit donc pas de transférer le capital dans les mains "des ouvriers" ; il s’agit, fondamentalement, par le biais de l’expropriation, de faire disparaitre précisément le capital (qui, rappelons-le, n’est - naît - que de l’exploitation). La disparition des rapports de production sur lesquels repose l’ordre capitaliste signifie la fin de l’exploitation (la production est entre les mains des producteurs eux-mêmes) et donc du capital lui-même (qui ne peut donc plus exister).

Donc dire "Le mar­xisme ne remet pas en cause la néces­sité d’un outil de pro­duc­tion, ni même celle du capi­tal néces­saire à sa construction", c’est vrai pour la première partie de la phrase (comment produire sans outil de production ? Cela va de soi), mais faux dans sa seconde partie. Et c’est même là la base de la critique de l’économie classique que mène Marx depuis la Misère de la philosophie jusqu’au Capital : si le capital a été nécessaire dans une période de l’histoire de l’humanité, il en est désormais le principal obstacle. La naissance de nouveaux rapports sociaux passera nécessairement par la suppression du capital.

Dire "Envoyons sur une pla­nète vierge un capi­ta­liste avec du capi­tal..." : c’est absurde. Je sais que la dialectique n’a plus guère d’adepte dans les sciences sociales contemporaines (qui préfère un pragmatisme idéaliste qui ne mène généralement à rien), mais de là à proposer un cas de figure qui nie toute historicité aux processus... Non, sur une planète vierge, à la rigueur du y trouveras Robinson qui exploite Vendredi, au mieux un capitaliste qui, s’il ne trouve aucun ouvrier à exploiter sur sa planète vierge, allumera son feu avec ses liasses. Pareil, du reste, pour un "marxiste" qui, seule différence, fera flamber autre chose que des billets de banque pour cuire ses racines...

Il ne s’agit pas, pour les ouvriers, de "ras­sembler leurs écono­mies pour créer ce capi­tal", mais de prendre l’outil de production existant et de l’orienter, non plus vers la production de plus-value (de profits), mais la satisfaction des besoins existants.

Ceci n’a pas plus de sens : "Et inva­ria­ble­ment quelqu’un acquière plus de pou­voir que les autres et devient le capi­ta­liste de la bande" : à moins de faire de la domination ou de l’exploitation une loi de la transcendance (la fatalité), non, il n’y a pas de loi, "invariable", en la matière : la prise de pouvoir par les travailleurs, opérant une démocratie stricte (et sans précédent, sauf en Russie 1917 et pendant la Commune, avec dirigeants révocables à tout moment, etc), n’est pas destiné à reproduire une loi supposée immanente à l’humanité qui devrait nous faire désespérer d’elle... Elle peut, si elle se généralise à l’ensemble des pays capitaliste, produire (ce que Marx, pas plus que Lénine ou Trotsky, ni même personne, ne peut imaginer avec précision) : une société communiste (laquelle, faut-il le RE-préciser, n’a jamais existé nulle part, à part dans les esprits confus de quelques bureaucrates staliniens, et ceux, qui à leur traîne, confondent encore régime staliniens et communisme... c’est très courant).

Tu écris : "Des capi­ta­listes avec leur capi­tal créent un outil de pro­duc­tion qui leur sera retiré pour être redis­tri­bué" : non, les travailleurs récupèrent ce qui leur ai dû. Les voleurs ne sont pas les travailleurs, mais ceux qui, sur leur dos, font les profits. L’outil de production n’est pas seulement redistribué, comme s’il s’agissait seulement de corriger une "injustice", il est réorienté : là où, à l’échelle planétaire, il produit un peu et mais où surtout il produit pauvreté, vies humaines laminées, guerre, etc, il produira désormais pour tous de quoi s’abriter, se nourrir, se soigner, se cultiver, dans le respect de l’environnement.

Tu écris : "Le mar­xisme est un sys­tème de résis­tance et de lutte, non pas un sys­tème construc­tif". Non, le marxisme est la théorie de Marx, point. La lutte de classe ne dépend du marxisme, ni même le communisme. En revanche, sans développement du mouvement ouvrier révolutionnaire à la fin du XIXe, il n’y aurait pas eu de marxisme...

Tu écris : "Le marxisme n’est pas viable par lui-même". Je passe le fait que là encore tu confonds marxisme et communisme, et note que le marxisme a fait la démonstration, au contraire, que la capitalisme, sans produire destruction et barbarie de masse, n’est pas viable. Et que l’urgence, pour les hommes révoltés, c’est de soutenir les travailleurs qui peuvent y mettre fin.

Tu écris : "Pour don­ner les usines aux ouvriers, il faut que des capi­ta­listes les aient construites avant". Évidemment. Mais il ne suffit pas de reconnaitre cette banalité ; il faut encore lire Marx et, au moins, reconnaitre qu’il n’a jamais dit le contraire. Bien au contraire... !! Justement.

Je passe sur les exemples d’édition d’un texte qui, pour moi, n’ont aucun sens. Principalement l’exemple "marxiste"... Quel rapport avec le marxisme ?!?!

Etc.

Beaucoup de confusion, donc. Et manifestement, tu n’as rien lu de Marx. Je te conseilles, tu verras. Tu verras notamment, a posteriori, que sa critique a été caricaturé par les staliniens (qui, eux, en effet, prônent le centralisme) ; tu verras que le communisme pourras, précisément, qui sait, répondre à tes aspirations. Que je respecte.

Mais ne fais pas dire à Marx le contraire de ce qu’il a dit. #please

Morbleu ! @ 2010-11-29 13:33:07

Capitalisme et marxisme, même combat http://is.gd/hX1hC

Thierry Crouzet @ 2010-11-29 13:43:37

@rewcriweb J’ai parlé de Marxisme par de Marx sauf pour l’exemple sur la V->M->V. Donc ne me fait pas dire ce que je n’ai pas dit.

Je n’ai pas parlé de la façon dont les capitalistes ont obtenu leur capital parce que, pour mon propos initial, qu’ils l’aient volé ou pas, ça ne change rien au fait qu’ils aient construit avec l’outil de production industriel. Et je ne cautionne pas l’exploitation. Et c’est même mon projet de la dénoncer et de montrer comment on pourrait en sortir. Là, silence, tu ne me réponds pas, et c’est pourtant là qu’il faut discuter pas sur tel ou tel détail historique.

Tu ne m’expliques pas comment sans capital on construit un outil industriel par exemple ?

Si l’outil de production est partagé entre ceux qui l’exploitent, ils sont que tu le veuilles ou non dépositaires du capital qu’il représente. Le capital au sens capitaliste est détruit, mais pas le capital au sens monétaire.

Le scénario sur l’autre planète est tout à fait réaliste. Des dizaines d’auteurs de SF l’ont imaginé. Tu ne peux pas balayer ça d’un geste. Imagine un vaisseau affrété par un capitaliste qui part avec lui et des ouvriers... Imaginons le même vaisseau affrété par des marxistes (peu importe leur nom). Voyons voir comment les deux simulations évoluent. Il me semble que la seconde mission est condamnée à mort. Ce qui ne condamne bien sûr pas le marxisme quand il survient après le capitalisme.

Sinon je ne suis pas un fataliste, je crois que l’homme peut changer. En revanche, il y a des lois physiques qui pèsent sur nous encore un peu. Il se trouve qu’un outil industriel est plus optimal quand il est géré par une structure pyramidale. Et quand des systèmes concurrents cohabitent, le plus optimal a plus de chance de survivre, ce qui est favorable à la pyramide, donc aux inégalités sociales.

La seule manière de sortir de ça, c’est d’exploser les pyramides (ce que Marx défendait déjà si je ne me trompe). Donc, ma façon de voir est sans doute très marxiste comme la relevé Narvic.

C’est sur ces points que ton avis d’expert m’intéresse... justement sur les trois exemples d’éditions (et l’exemple que j’ai appelé marxiste appelle-le collectiviste si tu veux). Et le troisième exemple, organiste, tu peux même l’appeler marxiste car il est pour ce que je sais plus dans l’esprit originel de Marx.

A force, de rester attaché à une doxa, on avance plus. C’est tout sauf ce que souhaitait Marx.

@Julien L’histoire de l’homme et l’histoire de la technologie sont intimement liés. On ne peut pas vivre sans technologie. Leur évolution nous détermine. On n’a pas le choix que de discuter de la technologie quand on s’intéresse à la société.

recriweb @ 2010-11-29 16:10:05

Tu écris : "Com­ment on pour­rait en sor­tir". Pour ma part, et à l’instar des communistes révolutionnaires (marxistes, léninistes, trotskistes), je soutiens qu’il n’y pas de raccourcis : la réorganisation sociale passera par l’expropriation des possédants et la réorganisation mondiale des moyens de production. Et, dans cette perspective, seule une révolution internationale menée par les travailleurs les permettra.

Tu écris : "Com­ment sans capi­tal on construit un outil indus­triel" : dans un système capitaliste, ce n’est pas possible. Dans un système communiste (qui aura vu la disparition de l’exploitation, du capital, de la monnaie, etc.), on peut imaginer que l’organisation de la production ne nécessitera guère, en fonction des besoins à satisfaire, que la mobilisation des moyens nécessaires. Mais, de nos jours, tandis que notre imagination est encore contrainte par l’opacité des rapports sociaux existants, personne ne peut vraiment imaginer comment les hommes de demain vont s’organiser. Il s’agit, tout au plus, pour nous, de comprendre par quoi passera le changement de société... Certains pensent qu’il faudrait changer les manières de penser, de concevoir les choses, de faire de l’éthique, etc., d’autres, dont je suis, pensent que les travailleurs doivent s’organiser pour, demain, mettre fin à la dictature catastrophique d’une minorité sur la société (un bon exercice : en fonction de ce que tu connais des hommes, de leur faculté, de ce que tu crois meilleur pour eux pour en faire des hommes meilleurs, imaginer cette société débarrassée de l’exploitation..).

Tu écris : "Ima­gine un vais­seau affrété par un capi­ta­liste qui part avec lui et des ouvriers…" Oui, et bien ? A qui va-t-il vendre sa production (la vente des marchandises est nécessaire pour payer les salariés et faire des profits). Quant à l’hypothèse de "marxistes" (bizarre que tu emploies cette expression : les comportement ne dépendent pas des "idées" des individus, mais de la nature des rapports sociaux)... Disons, comme partout, ça dépendra des rapports sociaux en leur sein, de la nature de leur société d’origine... Je ne comprends toujours pas ce petit jeu.

Oui, "exploser la pyramide" : c’est-à-dire renverser les rapports sociaux, empêcher que la bourgeoisie, aujourd’hui maitresse d’un "appareil de production destiné à ses profits" (et fondamentalement indifférent aux besoins réels) continue d’avoir le dernier mot sur l’organisation de la production et de la répartition des richesses. Pour cela, exploser le capitalisme. Une bonne fois pour toutes.

Quant à la doxa marxiste, je préfère y revenir en effet, d’autant que ce qu’on en dit n’est, la plupart du temps, que caricatures (Althusser, Négri, Badiou, etc.). Mais Marx donne aussi une boîte à outil (pour reprendre les foucaldiens), non un dogme : à nous d’utiliser les bases de ses découvertes et de les étendre au monde contemporain. Faire preuve de dialectique sans céder à l’atmosphère idéaliste porté par les rapports sociaux actuels, décidément peu favorables aux idées de progrès... Et comprendre que, derrière les apparences communicationnelles de notre monde (occidental), le capital n’en demeure pas moins reproduit par le travail de la classe ouvrière.

arvic @ 2010-11-29 16:34:25

@ Recriweb

Tu fais une présentation de la pensée de Marx (et donc une mise au point utile par rapport à ce que Thierry en avait dit dans ce billet) certainement bien plus précise que je ne l’ai fait, mais tu illustres aussi très bien comment cette pensée :

  • a été d’un côté totalement détournée par la suite (Lénine, Staline, Trotsky comme Mao et consorts)

  • s’est totalement fossilisée chez d’autres, quelque part au milieu du 19e siècle...

Il est assez étonnant d’imaginer qu’une analyse socio-économique puisse rester inchangée dans ses principes fondamentaux, plus de 150 ans après avoir été formulée, alors que de nombreuses réalités historiques inconnues à l’époque ont été mises à jour depuis, et que de nombreux événements se sont produits dans l’histoire, qui contredisent totalement ce que la théorie permettait de prédire à cette même époque.

Il n’est que de lire le travail en profondeur mené depuis Marx sur l’histoire du capitalisme par des Fernand Braudel, des Immanuel Wallerstein et quelques autres, pour relever les erreurs et les approximations qui émaillent toute l’œuvre de Marx et l’ont conduit à proposer une théorie du capitalisme qui est fondamentalement erronée (ce qui explique pourquoi sa théorie conduit à prédire des choses qui ne se sont pas produites, et qui ne se produiront jamais, comme la révolution prolétarienne par exemple). Ce qui n’enlève rien aux éclairs et aux intuitions de génie qu’il a pu avoir par ailleurs.

Une intuition géniale, par exemple, est celle selon laquelle le capitalisme produit lui-même les conditions de sa propre disparition. Et c’est bien ce que nous constatons depuis son origine. L’erreur profonde est d’avoir considéré que le capitalisme pouvait se constituer en système et qu’il formait donc en lui-même un mode de production. Ce que démontrent Braudel et Wallerstein, c’est bien qu’il n’est pas un mode de production (c’est plutôt un mode de prédation!), et que toute la théorie marxiste sur l’accumulation capitaliste du capital est à jeter aux orties. On peut aller voir aussi du côté de Baudrillard, pour réduire à pas grand chose toute la théorie marxiste de la valeur (cf. "Pour une critique de l’économie politique du signe"). Etc.

Comme le dit Braudel, il n’existe même pas, à proprement parler, de "capitalisme". Il y a "des capitalistes" et c’est tout. Et ceux-ci n’apparaissent que lorsque de nouveaux marchés apparaissent, parce que de nouvelles routes commerciales sont ouvertes ou que des innovations techniques permettent des productions nouvelles. Ces nouveautés créent des opportunités historiques que les capitalistes exploitent et dont ils tirent, durant la brève période d’intégration de ce nouveau marché à l’économie, des profits gigantesques. Mais ces phases d’intégration de marché sont toujours des moments historiques, des fenêtres d’opportunités qui se referment rapidement.

Quand deux nouveaux marchés sont mis en contact, ou qu’un nouveau marché est créé par l’invention d’une nouvelle production, le premier qui spécule sur ce marché en tire un profit énorme (mais le risque y est également énorme). Cependant, le taux de ce profit sur ce marché se met immédiatement à diminuer à mesure que de nouveaux acteurs se précipitent sur la nouvelle poule aux œufs d’or. Ce taux de profit tend à se stabiliser ensuite à un point d’équilibre situé juste un peu au dessus du seuil de rentabilité, ou bien le marché disparait si la rentabilité est impossible.

Ce processus, enclenché par les capitalistes, active immédiatement des mécanismes de régulation qui font disparaitre ces opportunités qui les avaient justement intéressés. L’erreur de Marx est de ne pas avoir distingué que les capitalistes jouaient un rôle très spécifique dans les économies de marché, mais qu’il existe, depuis l’aube de l’humanité, et probablement jusqu’à sa fin, des économies de marché où il n’y a pas de capitalistes.

Les capitalistes sont fondamentalement des joueurs de casino, ils spéculent sur le risque et récupèrent leur mise à chaque opération, pour spéculer ailleurs. Leur démarche est donc fondamentalement contradictoire avec celle de l’assureur par exemple, qui est tout sauf un capitaliste. Et derrière les capitalistes viennent toujours les assureurs, les arbitragistes et autres régulateurs de marché, les législateurs, etc., dont l’action est précisément d’éteindre toute possibilité de spéculation, d’évacuer le risque, quitte à réduire le profit à son minimum.

Plus les marchés sont intégrés moins il y a de place pour les capitalistes, et nous atteignons aujourd’hui probablement la phase ultime de cette intégration mondiale des marchés avec ce que l’on appelle "la mondialisation" (les premières phases de cette "mondialisation" étaient d’ailleurs déjà décrites par Marx dans le Manifeste de 1848 avec des termes d’une étonnante actualité, vu d’aujourd’hui: encore une intuition géniale dont il a tiré des conséquences erronées). Un marché mondial entièrement intégré, organisé, régulé, ne laisse plus de place pour les capitalistes. C’est leur fin. Et ça s’appelle en vérité... une économie, si ce n’est "socialiste", à tout le moins "socialisée". Et on n’a pas eu besoin de passer par la révolution prolétarienne pour y arriver. ;-)

recriweb @ 2010-11-30 11:18:33

@narvic : Tu écris "la pensée de Marx a été tota­le­ment détour­née par Lénine, Sta­line, Trotsky comme Mao et consorts". Je ne le pense pas en ces termes : l’une des idées défendues par Marx, tant par son travail sur l’idéologie, sa conception matérialiste de la représentation puis son travail sur l’économie politique a consisté essentiellement à faire la démonstration de ce point suivant : la lutte du prolétariat n’est pas d’ordre idéologique, mais destinée à mettre fin aux contradictions, historiques et nécessaires, du capitalisme. Fidèle à cette idée, je n’en trouve que deux parmi ceux que tu énumères : Lénine et Trotsky. Les autres, à titres divers, mais surtout Staline, ont non seulement été les fossoyeurs du mouvement ouvrier dans leur pays respectif, mais ont, en outre, poussé l’ignominie à faire du marxisme à mécanisme positiviste qui, lui, je te le concède, est bon à jeter aux orties. Pour être plus précis, après la disparition de Marx, il s’en est trouvé bcp pour poursuivre, et prolonger ses idées. Qqs exemples : Du matérialisme historique de Franz Mehring, Essai sur la conception matérialiste de l’histoire de Labriola, Le développement de la conception moniste de l’histoire de Plékhanov, La conception matérialiste de l’histoire de Karl Kautsky. Si bien que dans les dix dernières années du XIXème siècle, le progrès du marxisme est réel : non seulement les tendances proudhonniennes, bakouninistes ou anarchistes se marginalisent, mais nombreux sont alors les travailleurs qui adhèrent à la perspective de la conquête du pouvoir politique – par ex, les "social-démocraties" allemande, russe, néerlandaise, scandinaves, belges, et austro-hongroises se réclament-elles du marxisme.

Et tu as raison, Marx n’avait pas tout prévu : du reste, c’est bien conscient de cela que les auteurs que je viens de citer ont poursuivi sa réflexion : il s’agissait de poursuivre les études d’histoire économique et de théorisation du processus de la production capitaliste à un moment, où, au début du XXème siècle, celui-ci s’étendait outre-mer, connaissait des développements technologiques spectaculaires, à un moment où le mouvement monopolistique du capital accélérait, où les pays industriels connaissaient une croissance importante... Pour info, 4 publis d’importance à cette époque : La question agraire de Karl Kautsky, Le développement du capitalisme en Russie de Lénine, Le Capital financier de Rudolf Hilferding et L’accumulation du Capital de Rosa Luxembourg.

C’est après que ça se corse, notamment après la première guerre mondiale : après la révolution russe, le mouvement ouvrier ne connaitra que défaites (assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, conseils ouvriers et de soldats définitivement écrasés, grèves turinoises réprimées, victoire des armées blanches en Finlande, en Pologne, en Ukraine. Notamment en Hongrie et dégénérescence de la révolution russe). Et de cette période de lourdes défaites pour le mouvement ouvrier international, la théorie marxiste ne sortira pas indemne.

Déjà, avant guerre, le changement était profond : la stabilisation de l’économie capitaliste, puis la formation d’une couche supérieure de travailleurs que l’exploitation des colonies permettait à la bourgeoisie des puissances impérialistes d’entretenir n’était pas resté sans impact sur l’orientation politique. Une distinction s’était ainsi creusée entre réforme et révolution : d’instruments de combats révolutionnaires de la classe ouvrière, la plupart des partis de la seconde Internationale s’étaient peu à peu transformés en appareils institutionnels réformistes – ou "partis ouvriers bourgeois" dira Lénine –, convaincus par l’idée du passage pacifique au socialisme – et ce jusqu’au soutien de leur bourgeoisie nationale respective dans la guerre mondiale de 14-18. Dans ces conditions, dans les années qui suivent, il faudra la révolution russe de 1917 et, sur cette base – et sur l’élan de sa force motrice –, la construction de la 3e Internationale pour maintenir vivant le marxisme et le matérialisme dialectique. Mais un temps seulement. Après cette période, les membres de l’Opposition animée par Trotsky seront arrêtés et exécuté en masse ou, à l’étranger, assassinés les uns après les autres.

Tu écris : le marxisme "s’est totalement fossilisée chez d’autres, quelque part au milieu du 19e siècle…".. Je dirais donc plutôt à partir des années 20-30.

Et à partir de ce moment les théoriciens du « marxisme » perdent leur lien avec la classe ouvrière et ça ne donnera plus que, grosso modo, du nawak ; et une flopée de théoriciens prêt à reprendre Marx à condition d’en… nuancer l’essentiel (le résultat en général : exit la classe ouvrière au profit d’une sorte de marxisme culturel (la lutte des idéologie plutôt que la lutte de classe), exit l’accumulation du capital, la plus-value, la loi de la valeur, l’impérialisme, tout ça, en faveur d’une romance réformiste indifférente à la classe capitaliste mais toute orientée sur des espoirs électoralistes et qqs politiciens…)...(seuls les organisations liées aux travailleurs peuvent encore produire des écrits théoriques qui permettent de comprendre le monde actuel, mais celles-ci sont peut nombreuses, hélas).

Tu écris : "les véri­tables héri­tiers de Marx sont ceux qui ont conti­nué, après lui, un vrai tra­vail de fond pour ten­ter d’intégrer à “la théo­rie” des don­nées his­to­riques nou­velles, que Marx ne connais­sait même pas à son époque. Fer­nand Brau­del, Gram­sci, Lukacs… et toute une école alle­mande que l’on qua­li­fie même de “mar­xienne” (Hor­kei­mer, Adorno, Haber­mas, Mar­cuse…), pour la dif­fé­ren­tier de tous ces pseu­dos “marxistes”… L’influence de Marx est aussi déter­mi­nante chez des Fran­çais comme Debord, Guat­tari, Fou­cault, Bau­drillard et même Bourdieu". Je pense exactement le contraire : Pour Marx et Engels, les structures du monde ne relevaient pas d’une conscience mystificatrice et illusoire. Marx et Engels avaient le souci d’inscrire l’idéologie dans l’objectivité du conditionnement matériel et social de l’existence. Le marxisme occidental, à l’inverse, s’emploiera la réintroduire la conception hégélienne de la conscience – transcendante à l’histoire et décisive. Pour justifier cette tendance, le marxisme occidental développera une conception en opposition au déterminisme économiste et mécaniste auquel la Seconde internationale a bien souvent réduit le marxisme ; mais au lieu de montrer en quoi consiste cette réduction et d’expliciter la nature réelle des rapports sociaux de production telle que la concevait Marx, le marxisme occidental a fini par opposer, à un marxisme réduit à l’économisme, un véritable idéalisme. La théorie critique, quant à elle, à l’instar du marxisme occidental, en isolant les formes de la conscience sociale des rapports de production, va axer sa recherche des principes d’explication et de résolution des phénomènes sociaux dans la "Raison", la "conscience", le discours, l’activité imaginative. En pointant la raison moderne – cette "raison totalitaire" – issue de la philosophie rationaliste des Lumières comme la cause de la torpeur et de la rigidité dans lesquelles se déploient les rapports sociaux, elle fera donc de la lutte contre la raison instrumentale l’enjeu du XXème siècle. Un enjeu qui tient dans cette idée : les hommes, aliénés, c’est-à-dire devenus les instrument de leur propre instrumentalisation, ne peuvent s’instituer en sujets libres qu’en cassant leur fascination fétichiste et en retrouvant la voie d’une raison décontaminée, résolument engagée et critique. Michel Foucault et les structuralistes en général (le charlatan stalinien Althusser, notamment) s’opposent au marxisme fondamentalement : Michel Foucault sera d’ailleurs explicite : rejet de la dialectique, d’une part, puisqu’il rompt avec toute notion de totalité contradictoire au profit de celle de multiplicité – multiplicité du pouvoir, en premier lieu, considéré par lui comme inhérents et immanents à toutes les rapports humains. Multiplicité mais absence de contradiction donc, et partant, négation de toute forme de dépassement. Quant à Bourdieu, il participera à ce mouvement qui tendra à rattacher de moins en moins la réalité sociale à ce qui la compose dans sa matérialité sociale et contradictoire, mais beaucoup plus aux dispositifs de sa construction symbolique. En gros, il offrira une nouvelle théorie du monde social (nouvelle par la rhétorique principalement) qui confère aux changements dérivés des luttes entre conceptions du monde la force de faire l’histoire...

Tu écris : "Il est assez étonnant d’imaginer qu’une analyse socio-économique puisse rester inchangée dans ses principes fondamentaux, plus de 150 ans après avoir été formulée, alors que de nombreuses réalités historiques inconnues à l’époque ont été mises à jour depuis, et que de nombreux événements se sont produits dans l’histoire, qui contredisent totalement ce que la théo­rie permettait de prédire à cette même époque". Tu le devines, je ne peux être d’accord : d’abord parce que l’essentiel (pour en pas dire le fondamental, qui donne sa cohérence à la "totalité" du système capitaliste actuel) n’a pas changé.

Contrairement aux élucubrations des critiques (ou partisans ?) du "capitalisme cognitif" (qui aimerait tant pouvoir accréditer sur le plan théorique leur abandon, de fait, du militantisme et du combat ouvrier), l’ensemble du capital international circulant demeure le fruit de l’exploitation de la classe ouvrière mondiale (et ce n’est pas la spéculation financière, monétaire qui y change quoi que ce soit). Pour ne pas le comprendre, il faut (au lieu de penser les forces productives, dont les nouvelles technologies d’information et de communication font partie, subordonnés aux exigences de la reproduction de modes de production caractérisés par des rapports sociaux de production) il faut postuler le rôle instituant des forces productives. Or, le capitalisme, comme il l’a toujours fait, intègre les innovations techniques à sa puissance productive. Pour Marx, en effet, les innovations techniques ne sauraient entraîner à elles seules, de manière autonome, une nouvelle phase de croissance de la société ; le développement des forces productives, au contraire, ne peut être dissocié du mouvement mettant en prises des classes sociales dans le processus d’engendrement de la plus-value. Il n’y a pas de séparation entre le travailleur et les forces productives elles-mêmes. Les innovations techniques peuvent donc être chez certains sources d’espoir, au point d’être magnifiées et érigées en nouvelles matrices de l’histoire, mais l’essentiel se joue ailleurs, dans les rapports de production hors desquels l’évolution technologique n’a aucun sens.

Aujourd’hui, le capitalisme n’a pas grand-chose à envier, dans le fond, à celui que décrivaient Marx et Engels à leur époque : le capital, face à l’exigence de sa reproduction élargie, cherche bel et bien, et sans vergogne, à débarrasser la production – et, à partir de là, la recherche, les stratégies organisationnelles, la gestion de l’information et des connaissances – de toutes les entraves susceptibles de la détourner de sa logique fondamentale, à savoir la production de valeur ajoutée à l’échelle mondiale. Bref : derrière un capitalisme qui semblerait doucement se pacifier (grâce à ses nouvelles technologie, notamment), il n’y aurait ni plus ni moins que ce vieux capitalisme qui, comme toujours dans un contexte de récession généralisée, s’emploie à durcir ses vieilles méthodes, ce capitalisme qui, loin de muter – quelque soit l’ampleur des innovations dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication – ne cesse, bien au contraire, d’accentuer la violence sociale exercée sur le monde du travail (il faut être aveugle ou se contenter de lire la presse pour ne pas s’en rendre compte). En réalité, aujourd’hui, le capitalisme se contente d’évacuer les affaires courantes : d’une part, assurer au capital financier désormais prédominant – lequel, faut-il le préciser, ne crée aucune valeur – les moyens d’assurer le succès de toutes les formes de transactions spéculaires susceptibles d’engranger des profits rapides (concentration accrue des capitaux par "fusions-acquisitions", rachats d’actions ou de titres de propriété d’entreprises, spéculations monétaires, etc.) ; d’autre part, appliquer autant que faire se peut les recettes classiques d’intensification du travail et d’aggravation de l’exploitation (réduction et mise en jachère massive de la force de travail, pression du chômage de masse, intensification du travail, généralisation de la précarité et de la flexibilité, offensive contre les protections sociales, etc.). Et il n’y a rien à espérer de bon de ce système, même pourrissant. Bien au contraire (j’y reviens de suite).

Voilà pourquoi je pense que l’essentiel de l’analyse de Marx, en dépit des apparences, demeure profondément actuel.

Et pour avoir un peu lu Braudel et Wallerstein, je ne vois pas, dans leurs travaux, quoi que ce soit qui permette de remettre en question ce point principal (quant à Baudrillard, totalement étranger au monde du travail et voguant dans les sphères idéalistes de son époque, qu’il ait remis en question la théorie de la valeur de Marx, cela n’est pas de nature à me convaincre).

Un point qui, pour ma part, est essentiel et me permet de dire aujourd’hui que ce que tu appelles "une théorie du capitalisme fondamentalement erronée" reste, à ce jour, la seule théorie qui convienne. Et "l’accumulation capitaliste du capital", à mon sens, reste aujourd’hui plus que jamais valable le nerf de la guerre de classe qui se poursuit encore de nos jours - je n’ai rien lu, en tous les cas, qui me convainque du contraire. Et ce que tu appelles la "mondialisation" n’est ni plus ni moins qu’une phase de ce processus, où la concurrence joue à plein, où les contradictions du capitalisme, mine de rien, ne cesse de s’accentuer.

Tu conclues, à la suite de Marx (il faut bien le dire, car c’est lui qui en a fait la démonstration) : un marché mondial entièrement intégré, organisé, régulé, ne laisse plus de place pour les capitalistes". Ou à quelques uns seulement, et ce dans un océan de misère. Avec cette difficulté ultime pour eux : écouler leurs marchandises mondialisées là où la misère économique ne cesse de s’étendre.

Pour quoi ensuite ? Car telle est dans le fond la question. La collectivisation, à l’échelle planétaire, de ces formidables moyens de productions (Marx n’a jamais dit qu’elle serait inévitable, sans quoi où il n’aurait pas milité, crée l’Internationale, etc.) ou l’enfer poussé à son paroxysme ? Socialisme ou barbarie ? Ou faut-il croire, sans rire, que les "assureurs, les arbitragistes et autres régulateurs de marché, les législateurs, etc., dont l’action est précisément d’éteindre toute possibilité de spéculation, d’évacuer le risque" vont nous éviter les guerres de demain, de nouveaux pillages impérialistes, de nouvelles politiques consistant à écraser les classes laborieuses de par le monde ? Faut-il croire, à l’instar des réformistes, à l’émergence finale d’un statu quo entre ceux qui, pour exister, exploitent et ceux qui, pour subsister, sont exploités ?

Non, ce que tu appelles la "fin", cette fin naturelle, n’est pour l’heure que la mondialisation du marché du travail et de la concentration croissante de la production mondiale entre les mains d’un nombre relativement limité de grands trusts… Et cette mondialisation est aussi vieille que l’impérialisme. Et en général, dans ce cadre, si "fin" il y a, ce sera dans l’horreur de la guerre (ils y ont déjà eu recours plusieurs fois, et deux fois à l’échelle mondiale..).

Un autre point de la théorie de Marx me parait donc essentiel à défendre. Puisque que le capital, quelques soient les subtilités nouvelles qui en émaillent le développement, reste le fruit de l’exploitation, il n’y aura guère que les exploités, les travailleurs (la "classe ouvrière"), pour y mettre fin. Ça ne se fera pas tout seul, il faudra au préalable un lourd travail militant qui permettra aux travailleurs de passer à, disons, une "étape" suivante de l’histoire de l’humanité. Une étape où, profitant des énormes capacités productives, les hommes les utiliseront pour satisfaire les immenses potentialités de chaque être humain.

zoupic @ 2010-12-02 02:11:04

Une grande grande richesse dans ces commentaires, un grand merci pour m’avoir éclairé dans cette nuit sombre et enneigée.

Si la date limite du capitalisme était écrite lors de sa création, certaines inventions modernes permettent de prolonger la partie et d’élargir la misère pour temporiser le coup de sifflet final. Je pense bien sûr à la dette qui permet de créer un capital avec engagement sur le futur et donc de repousser un peu la date limite.

Si les pyramides nous oppriment par leur réduction des libertés pour assouvir leur soif de conquête de territoires, leur limite s’exprime à un niveau systémique, encore une fois et il semblerait que nous nous rapprochions inexorablement chaque jour un peu plus du jour où il n’y aura plus qu’une world corporation qui aura mangé toutes les autres.

Les rapports de force financiers et les conquêtes de marchés peuvent alors se traduire et se transférer sur les rapports de force humain et la limite supportable que l’ensemble des ouvriers et exploités peuvent supportés face aux gagnants de ce petit jeu.

L’installation de services sociaux participe à ce tampon et à ce soulagement en apparence comme des petites victoires pour le peuple quand en réalité il se bat contre des intérêts et des rentabilités en % c’est à dire exponentielles.

La limite des ressources disponibles et exploitables commence également à se faire ressentir ainsi que l’état climatique global qui, si l’individu supporte encore sa condition, touche un autre niveau d’éveil de conscience au niveau global et augmente les raisons d’insurrection, si nous ne le faisons pas pour nous, faisons le pour nos enfants. Et les bourgeois sont aussi touchés car quand la nature et la terre sont blessés, c’est aussi l’avenir de l’espèce qui est en danger.

Enfin, pour dire que vous n’avez pas mis de capital sur l’expérience inédite, c’est négliger votre temps et vos ressources propres à chacun et toutes l’infrastructure du réseau. Si le numérique et le progrès simplifient et réduisent énormément les apports par rapport au prix qu’il fallait payer pour le premier processeur, il existe un grand nombre de domaines industriels qui nécessitent un apport de capital significatif si l’on veut procéder à une telle entreprise. C’est le même débat que bloggueur vs journaliste. Pas les mêmes moyens, pas les mêmes résultats, même si on se marche sur les pieds sur quelques sujets. Imagine le nombre de personnes de bonne volonté supplémentaires qu’il aurait fallu inclure si vous étiez encore à l’époque de l’imprimerie, ou à une distribution physique. L’avantage pour le numérique est que vous pouvez produire au pièce par pièce et que vous n’avez pas besoin (ou que vous ne vous êtes pas fixés?) d’un retour minimum pour rembourser votre investissement initial (puisque non valorisé au départ).

Le numérique faussant souvent la donne dans ces généralisations, il me semble essentiel de prendre deux exemples, un de l’économie de rareté et un de l’économie d’abondance pour ne pas rater une partie du problème. Ainsi tu différencies bien tout ce qui, grâce à la numérisation peut se dupliquer, transporter, échanger à moindre coût de ce qui requiert encore une quantité non négligeable de main d’oeuvre et de travail machine.

Stéphane Revaz @ 2010-12-05 15:41:34

Pierre Hillard, docteur en sciences politiques que tu connais certainement, évoque justement dans la vidéo ci-dessous le libéralisme et le marxisme (20.11.2010 à Toulon). Il y décrypte également la nouvelle gouvernance mondiale que certaines élites "internationalistes" veulent nous imposer depuis longtemps, en faisant s’affirmer les régions et imploser les pays. Elle dure un peu plus d’une heure, mais est vraiment très intéressante.

http://bit.ly/hdYzuA

arvic @ 2010-12-13 20:47:56

Par égard pour ceux qui suivent cette discussion ici, je reposte ici la réponse à Recriweb que j’ai postée chez lui :

http://recriweb.posterous.com/pourquoi-je-suis-un-marxiste-non-repentant-re

Salut Recriweb,

J’ai pris du temps pour te lire, et pour te répondre, car le sujet, à vrai dire, ne presse pas (en tout cas pas tant que ça) ;-), et que je tente autant que possible de m’extraire de "ce web en temps réel", pour retrouver, autant que je le pourrais, ces "temps longs de l’histoire" que Fernand Braudel est allé chercher précisément chez Marx (et qui restent, selon moi, l’apport essentiel de Marx à l’historiographie), et aussi que je cherche à reprendre pied avec une autre temporalité, non-historique, celle des cycles naturels, de la matière et de la vie, ce qui ne passe pas, évidemment, par internet…

Ma réponse, si je tente de la synthétiser, c’est qu’au fond Marx ne s’est pas tant trompé que ça (et pas autant que j’ai bien voulu l’écrire, dans une formulation volontairement polémique. Mais tu n’es pas tombé dans le "piège": le titre de ta réponse m’avais fait craindre le pire. "Repentance", le terme est manifestement religieux. Si le débat en était-là, autant demander mon baptême à l’église d’Arlette ou à celle de Besancenot, et ensuite plus besoin de discuter: on communie dans le rite de la lutte et on en est quitte pour son Salut ! Rappelle-moi qui parlait de "consumérisme de la contestation"…).

Ma thèse est simple: le capitalisme, c’est fini. Et ça fait bien longtemps déjà qu’il est vaincu. Comme Marx l’avait analysé, il n’a pas résisté à ses propres contradictions. Et comme Marx l’avait prévu, il a bel est bien donné naissance au… socialisme. Et tout ça s’est exactement produit dans les pays où le capitalisme était le plus avancé: l’Europe de l’Ouest et le Japon, et dans une moindre mesure les USA, bref - grosso modo - dans tous les pays qui avaient accompli leur Révolution industrielle avant 1850/1860.

Sauf que la transition ne s’est pas produite par la Révolution prolétarienne, même si le mouvement ouvrier dans les pays industriels a bel et bien joué un rôle tout à fait déterminant dans cette évolution historique. Précisément le "rôle historique" que Marx avait entrevu pour lui… Ça s’est produit dans les urnes et par le mécanisme de la démocratie bourgeoise. Pour la France, les étapes décisives du processus ont été: 1936, 1945, 1981.

Le capitalisme conduisait mécaniquement à la paupérisation, disait Marx. Et il n’avait pas totalement tort… Même si: que s’est-il produit? La paupérisation n’a pas eu lieu, bien au contraire! Le mécanisme "automatique" de la paupérisation a engendré son propre antidote… qui conduisait directement à la sortie du capitalisme.

Comme l’écrivait Schumpeter, dès 1942 : "La thèse que je vais m’efforcer d’établir consiste à soutenir que les performances réalisées et réalisables par le système capitaliste sont telles qu’elles permettent d’écarter l’hypothèse d’une rupture de ce système sous le poids de son échec économique, mais que le succès même du capitalisme mine les institutions sociales qui le protègent et créent "inévitablement" des conditions dans lesquelles il ne lui sera pas possible de survivre et qui désignent nettement le socialisme comme son héritier présomptif."

La "performance" du capitalisme, calculée par Schumpeter pour les cinquante années précédent son analyse (jusqu’à la crise de 1929) est en effet remarquable, et il est indéniable qu’elle a massivement profité à l’amélioration des conditions de vie des ouvriers. Schumpeter envisageait que le capitalisme soit en mesure de renouveler cette performance pour les cinquante années suivantes:. Les "Trente Glorieuses" lui ont donné raison au-delà de toutes espérances. Pour ce qui est de la France, et uniquement pour les ouvriers, leur pouvoir d’achat, mesuré en données réelles (bien concrètes: en kilos de pain, en surface habitable du logement, etc.), a été multiplié par 3,8 entre 1945 et 1975. Tout de même ! [Voir aussi l’évolution de l’espérance de vie à la naissance !]

Je n’ai qu’à me rapporter à ce que me décrit ma propre mère sur les conditions de vie qui étaient les siennes dans sa jeunesse, pour comparer avec celles qui ont été les miennes durant ma propre jeunesse, pour en être convaincu.

Mais que s’est-il passé, en même temps ? Et bien nous sommes tout bonnement sortis du capitalisme… pour entrer dans… le socialisme! Quand nettement plus de 50% de la production brute de l’économie globale est socialisée, quasiment à la source, à travers les systèmes de redistributions sociaux massifs, qu’ils soient publics (fiscalité, Sécurité sociale) ou "privés" (assurances), on ne peut plus qualifier notre système économique de "capitaliste". Il s’agit bien d’un système… massivement socialiste! [ce qui se passait dans les pays de l’Est à l’époque n’a conduit qu’à détourner notre attention du véritable "lieu" où l’histoire était en train de jouer… Une intéressante "’ruse de l’histoire"…]

C’est exactement ce qu’on réalisé les "néo"-libéraux, à partir du milieu du XXe siècle, ce qui a entrainé leur tentative de "révolution conservatrice", qui a trouvé son expression politique avec des Reagan et des Tatcher (et c’est probablement Schumpeter qui leur a ouvert les yeux…). Cette prise de conscience était tardive (même si celle des des "gens de gauche" est encore plus tardive, puisqu’elle n’a même pas encore eu lieu!). Elle n’aura pas de suite. Il est trop tard! Le socialisme, nous y sommes, et nous allons y rester.

Sauf que ça n’est pas aussi encourageant que ce que ce "bourgeois" de Karl Marx avait imaginé…

La question aujourd’hui, c’est de savoir comment nous allons - maintenant - en sortir… du socialisme !

Encore une fois, l’intuition de Marx était géniale (malgré les limites - manifestes - de la documentation disponible à son époque!). La seule porte de sortie du socialisme (qui est loin d’être aussi rose qu’on aurait pu l’espérer), c’est bien…. le communisme!

Le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est bien celui de sortir du "totalitarisme technocratique centralisé" (une autre manière de désigner… le "Socialisme", ou, selon une autre formulation, la "pensée unique"; dit encore "le Système")…

Nous sommes vraiment au-delà du capitalisme. C’est aujourd’hui le socialisme qui est notre ennemi. Et notre avenir… c’est le communisme. ;-)

Mais l’Histoire ne s’arrêtera pas pour autant… C’est là, selon moi, la principale "erreur" de Marx…

Si le socialisme produit lui-même, lui-aussi, les germes de sa propre destruction (et donc les conditions nécessaires de l’émergence de son successeur, qui ne sera autre que… le communisme), le communisme ne sera pas pour autant une panacée. Le communisme a son avers plaisant (la prise en main de leur propre destin économique et social par les gens, dans l’association et la coopération pour la production et le partage des richesses), il a aussi son revers. Et c’est déjà notre problème social principal aujourd’hui: il n’y a pas loin du communisme… au communautarisme, de la société sans classes… à l’invention d’une nouvelle forme de barbarie...

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