Thierry CROUZET
Facebook et Twitter s'écrouleront comme un château de cartes
Facebook et Twitter s'écrouleront comme un château de cartes

Facebook et Twitter s'écrouleront comme un château de cartes

Quand je critique Facebook ou Twitter, on me répond souvent : « C’est juste des outils. Je les plie à mon usage. » Et je rétorque avec mon tact habituel : « Vous n’avez rien compris. »

Un bar est-il un outil ? Avez-vous au moins une fois envisagé un bar sous cette perspective ? Moi, pas. Un bar est un lieu où je bois des jus d’abricot, où je retrouve des amis, où je bouquine, où j’écris, où je discute, où je rencontre… c’est un lieu de socialisation. Il faut posséder une pensée bien alambiquée pour le considérer comme un outil de socialisation, sorte d’équivalent du téléphone. Et si on raisonne comme ça tout est outil, même les humains.

Si le bar n’est pas un outil, il en bourré : tables, chaises, verres… Il est le lieu physique de leur interaction. Alors quand on considère le Net comme un territoire, les réseaux sociaux y apparaissent comme des lieux. Et tous ces lieux, physiques ou immatériels, nous sommes incapables de les plier à nos usages. Ils nous façonnent autant que nous les façonnons.

Quand la peinture ne nous plaît pas dans un bar, nous pouvons au mieux nous plaindre au tenancier. Et si vraiment ça ne s’arrange pas, changer de cambuse. Idem quand une bande de tatoués échevelés nous casse les pieds. Nous ne sommes jamais les seuls usagers. C’est le propre du lieu social, sinon il ferme ses portes.

Comme il y a des bars rock, des cafés philo, des paillotes à cocktail, il existe sur le Net différentes ambiances sociales. Quand nous en adoptons une, nous y entraînons nos amis, puis les amis de nos amis. Quand le bruit devient trop fort, nous nous réfugions dans une arrière-salle plus calme. Puis arrive le jour où nous trouvons notre arrière-salle déjà occupée. Le soir suivant, nous ne revenons pas, nous allons ailleurs chercher l’ambiance qui nous convient.

El Farol Restaurant and Cantina, Santa Fe NM
El Farol Restaurant and Cantina, Santa Fe NM

En 1992, Brian Arthur a modélisé ce phénomène. Chercheur au Santa Fe Institute, il aimait écouter de la musique le jeudi soir au El Farol Bar. Tantôt, il y était heureux, il y avait du monde, mais pas trop. Tantôt, c’était si bondé qu’il devait fuir. Tantôt, il n’y avait personne, et c’était glauque. Le public fluctuait grandement sans que la variation soit prévisible.

Brian savait que nous décidons souvent irrationnellement. Nous observons ce qui se passe, et nous supposons que ça se répètera. Assez logique puisque le jour se lève chaque jour. Brian imagina différentes stratégies que les clients étaient supposés adopter.

  1. Il y aura cette semaine autant de monde que la semaine dernière.

  2. Le bar sera bondé cette semaine s’il ne l’était pas la semaine dernière (et inversement)

  3. Le bar sera bondé cette semaine s’il ne l’a pas été durant les trois semaines précédentes.

  4. Il y aura autant de monde que quatre semaines en arrière.

Cent clients imaginaires dotés de ces stratégies, pouvant en changer pour celles qui semblent plus efficaces, se retrouvèrent injectés dans une simulation. Résultat : un patern qui ressemble à s’y méprendre à ce qui se produit effectivement à El Farol. Le public virtuel très vite se règle automatiquement pour une fréquentation moyenne légèrement au-dessous du seuil défini comme bondé (60 clients dans la simulation).

Simulation El Farol
Simulation El Farol

Facebook et Twitter se heurteront inévitablement à cette limite tout en connaissant des fluctuations semblables. Parce qu’ils sont trop bondés (et ne croyez pas que l’espace numérique soit illimité), les internautes commenceront à réduire leur présence autour d’un seuil moyen bien inférieur au pic que nous connaissons aujourd’hui. Nous assisterons à une décroissance de ces réseaux. Mais par malheur, de nouveau plus attractifs apparaîtront, ils aspireront peu à peu l’audience jusqu’à ce que les lieux originels se dessèchent assez pour un écroulement financier (une grande multinationale est bien moins résiliente qu’un simple bar).

Selon moi, Facebook et Twitter sont déjà trop bruyants, paradoxalement Twitter plus que Facebook. Et il n’y existe pas vraiment d’arrière-salles. Sur Twitter, on a les listes. Sur Facebook, les groupes. Sur Goole+, les cercles. Mais chacun des visiteurs en occupe d’autres. Au moins dans un bar, si on laisse son smartphone tranquille, on est vraiment là. Concept vide sur le Net. On est partout à la fois. Et pour peu qu’un lieu soit très fréquenté, aucune de ses alcôves n’échappe au tumulte général.

Alors ceux qui sont arrivés les premiers dans le bar, les early adopters, en cherchent un autre. Et puis cet autre devient à la mode, il attire de plus en plus de monde jusqu’à ce qu’il devienne invivable à son tour. Les bars naissent, atteignent parfois la renommée, puis sombrent dans l’anonymat, quelques nostalgiques ou touristes y venant en pèlerinage comme à la Closerie des Lilas. Nous en sommes là sur le Net avec MySpace. Facebook et Twitter connaîtront la même destinée.

Et comme dans le monde numérique tout va plus vite, le cycle de vie du bar risque d’être bien court, et d’autant plus critique qu’il met en jeu des millions, voire des milliards de clients. Imaginez un bar à la mode qui emploie des dizaines de serveurs. La moindre baisse de la clientèle entraîne des licenciements, l’ambiance en pâtit, et c’est la dégringolade avec effet de réaction en chaîne. Un destin que connaissent toutes les mégaboîtes de nuit. Plus un lieu social monte haut, plus vite il s’écroule.

Je n’ai pas encore trouvé le nouveau bar. En fait, je préfère les buvettes de quartier que sont les blogs. Les grandes usines ne m’ont jamais séduit au physique. J’ai toujours préféré les bars négligés avec leurs vieilles banquettes en moleskine. Je ne vois guère d’autres endroits où me réfugier.

Je n’ai pas besoin de la foule, c’est un truc bon pour les jeunes qui espèrent la rencontre fatale. J’ai laissé loin derrière moi ce rêve de vacances à Ibiza. Un tête-à-tête avec deux bougres mal rasés me comble. D’autant que je sais que la foule ne profite en vérité à personne, sauf au patron du lieu et à quelques vedettes que la foule vénère. Donc oui, un petit estaminet crasseux me va très bien. Avec quelques tables sur la terrasse, au bord d’un canal, avec un coin de pelouse où aller faire la sieste sous un parasol. Ça me comble. Et ça ne se démodera pas, contrairement à Facebook et compagnie.

Nicolas @ 2013-05-23 15:12:42

Réflexion intéressante, même si votre graph ne montre pas tellement une décroissance mais peut-être plutôt des variations qui mènent à une moyenne.

Une phrase a retenu mon attention, lapsus volontaire ou pas? "Et comme dans le monde numérique tout va plus vide, (...)" => Elle résume assez bien les médias sociaux finalement, cette fuite en avant de toujours plus de contenu(s) partagé(s).

Thierry Crouzet @ 2013-05-23 15:34:09

Le graphe montre qu’il y a stabilisation en dessous du seuil "comble".

On est juste au début à mon avis, dans le pic initial, ça veut dire que ça va pas mal retomber en suite. Donc perte de fric.

Et faut pas oublier que sur le Net un bar est en concurrence avec tous les autres. Donc nous avons le choix. Nous ne sommes pas attachés à Facebook.

Oui c’était vite :-)

Mais c’est pas lié à la vitesse, il y a des bugs comme ça dans tous les livres depuis toujours...

Antoine Houël @ 2013-05-23 16:25:35

"Et comme dans le monde numérique tout va plus vide,"je ne sais pas si c’est une faute volontaire mais c’est un bel acte manqué.

Je valide, bien que je pense que la transgression qui meut une population est à même de détourner les outils de leur rôle premier et les rend donc plus humains.

Mais bon c’est juste pour être pointilleux

Hong @ 2013-05-23 17:45:33

Facebook ressemble quand même plus à une soirée chez des potes qu’à un bar. On n’y croise des vrais amis, des connaissances, des gens qu’on a déjà aperçu une ou deux fois, des gens qu’on a plus envie de voir. J’avais fermé mon compte en 2009 car certains se croyaient justement sur twitter et parlaient trop fort. Puis je suis revenu, pour pouvoir prendre des nouvelles des uns et des autres en ayant pris soin d’écarter les plus bavards.

Rosselin @ 2013-05-23 17:54:26

Je te fais toujours la même remarque. Le bar est un lieu où la foule t’est imposée. Tu ne décides pas qui fréquente le bar. Peux-tu, toi qui n’est pas propriétaire du bar, bloquer l’entrée de quelqu’un ? Sur ma TL, je ne vois que des gens que j’ai accepté de voir. Ce n’est hélas pas le cas dans mes bars préférés.

Thierry Crouzet @ 2013-05-23 18:11:53

Et moi je fais la même réponse... :-)

Les gens que tu acceptes, tu contrôles pas ce qu’ils font en même temps qu’ils discutent avec toi. Ils sont dans plusieurs salles en même temps. Ils sont dans le bruit eux, et toi aussi par ricochets, et ils te balancent leurs merdes à un moment ou à un autre. J’ai beau filtrer, je n’arrive plus à trouver la moindre quiétude dans les réseaux sociaux bondés.

Mais peut-être que ce bruit te dérange pas encore, tu es encore jeune dans ce monde :-)

Et puis le patron du bar tu peux aller lui parler, celui de Facebook ou Twitter t’impose sa dictature. Il a riveté les chaises et les tables au sol.

put12pc @ 2013-05-23 18:51:36

Comparer le réel et le virtuel , c’est comme imaginer que nos rêves sont réalités .. ( Surtout à ceux qui se mentent à eux mêmes ) .

Je constate surtout que pour certains , les réseaux sont des tremplins pour la notoriété : Je connaissais pas @crouzet avant Twitter .. Depuis , je n’arrête pas de le voir sur les WEBTV , ou à la TV pour faire la promo de son année sabbatique du WEB et autre (la fin des blog )

C’est clair , avec des milliers de followers, les rencontrer le même jour , la même heure dans un bar, celal risque de faire bizzarre ...

Allez assez de Blabla , le web c’est pas TF1 et l’idée que + c’est choquant, plus il y a de visiteurs ...

Thierry Crouzet @ 2013-05-23 20:07:46

Dans j’ai débranché, je dis justement que seuls les gens qui ont peur du net parlent de virtuel, pour les autres il est une extension de la réalité. Je suppose que c’est moi qui te réponds et que c’est toi qui a écrit, un toi peut-être un peu altéré, tu serais sans doute différent en face à face, mais ça reste toi.

Le virtuel ça existe pas sur le Net plus qu’ailleurs.

None @ 2013-05-23 23:13:16

Toutes ces expériences sociales démontrent surtout un échec perpétuel des humains à créer une société viable et intéressante.

J’ai longtemps résisté à la migration de myspace vers facebook : il me semblait que myspace offrait déjà ce qu’il fallait pour construire des choses (entre artistes par exemple).

Le fait de sans cesse fuir un lieu pour un autre empêche toute construction réelle, c’est chaque fois une immense perte de temps de reconstruire un début de réseau dans un nouveau lieu.

On empile des contacts, puis on s’aperçoit que cela ne débouche que sur du vide, alors on recommence ailleurs, sans jamais se poser la question essentielle : que faire entre humains ? pourquoi tous ces ajouts ?

On ne choisit pas sa famille, mais si des choses se construisent en famille, c’est parce qu’il est clair dès le départ qu’on ne peut pas changer de parents, de frères et de soeurs, etc.

On construit à l’intérieur du fini, sur une longue période de temps.

Le concept d’infini, appliqué aux relations humaines, pose un sérieux problème. On est sans cesse tenté de changer de contacts, et rien ne se construit, par la faute de cette course à l’infini.

Depuis une dizaine d’années que les réseaux sociaux existent, beaucoup ont passé plus de temps à ajouter des contacts, qu’à creuser des relations avec eux.

Jonas @ 2013-05-24 00:59:31

A noter aussi que Facebook réalise des mises à jour de son site très régulièrement (tous les jours, vraisemblablement) pour offrir à ses utilisateurs, toujours plus de confort dans la navigation, de fonctionnalités pour toujours davantage de temps passé sur la plateforme.

C’est un peu comme si notre bar préféré changeait chaque jour de déco, de modèle de flipper, proposait sans cesse des nouveaux cocktails toujours créatifs à la carte, tout cela pour notre confort, pour qu’on y passe encore un peu plus de temps, et pour qu’on revienne. Pourquoi partir ?

Louis Boël @ 2013-05-24 05:02:39

Yeap! We’ll meet again in one of these small backstreet bar, with a grey cat and some old blues music... ;-)

Thierry Crouzet @ 2013-05-24 08:49:58

Louis a répondu à None... La solution est bien de réinventer l’intime sur le Net, ce serait un pas vers ce que j’appelle le Net campagnard.

@Jonas Pourquoi partir parce qu’on change le décors pour nous accrocher, pour nous maintenir englué à notre table... on utilise pour ça des algos A/B. C’est une mécanique de construction de l’addiction. On se fiche bien de toi... Tout ça sans en rajouter sur le bruit qui lui monte toujours plus.

Les jeunes sont en train de le comprendre:

http://www.buzzfeed.com/charliewarzel/why-young-people-are-sick-of-facebook

Louis @ 2013-05-24 10:13:26

C’est en effet peut-être, inconsciemment, la profondeur extrême ;-). de mon clin d’œil nocturne, même si le sens premier était d’acquiescer à l’idée de Thierry à propos de l’usure des terrains de rencontre et donc de la disparition annoncée de Facebook et Tweeter, du moins dans leur dimension phénoménale actuelle (tout survit, parfois longtemps, à la transformation inéluctable de l’environnement qui l’avait rendu indispensable, même si c’est souvent sous une forme "enkystée" de survie à long terme - voir la survie momifiée des grands monothéismes).

J’imaginais donc qu’un autre territoire informatique, peut-être simple, discret et peu fréquenté, accueillera nos "rencontres" dans l’avenir. Le tout est d’y rester attentif.

Mais l’idée à fait son chemin dans la nuit et si je revenais à cette conversation c’est pour deux points:

  • d’abord j’ai réalisé que j’ai assez souvent parlé "d’outils" . Pour moi c’était pour réfléchir à "la modération dans la fréquentation des réseaux sociaux" ( "outils" en opposition à "habitude addictive"). Je réalise, à travers ce dernier blog, que cela présente un risque de dérive sémantique de la réflexion. Comme dit Thierry c’est plus une notion des"territoire" qui convient. Merci pour ça!

  • d’autre part, je pense que ce "territoire" (des réseaux sociaux) ressemble souvent plus à des affichages "ad valvas" (à l’entrée des épiceries ou des auditoires) : chacun y met sa petite affichette, dans des buts infiniment variés, comme des bouteilles à la mer dont le geste s’adresse plus à soi-même ou à un grand manitou nébuleux qu’à un autre être humain, toujours hypothétique . Il s’agit donc bien, plus qu’une recherche de rencontre du cri d’un besoin de rencontre ( lié à une peur de l’autre? Sinon, pourquoi ne pas descendre dans la rue et dire simplement " bonjour" au fils ou à la fille de la voisine? ;-)

Thierry Crouzet @ 2013-05-24 10:18:56

Il y a besoin de rencontres... mais pas de n’importe quelle rencontre... on aimerait aller plus vite à la rencontre décisive... et pour ça le Net démultiplie notre puissance existentielle, mais souvent on bouffe cette puissance.

Baronsed @ 2013-06-18 00:47:21

Le "net campagnard", hihi...

Belle analogie, dans la mesure où le fossé de civilisation qui se découvre lorsque des gens bizarres (comme nous ?) rencontrent des éléments de la machine est un peu le même que celui qui sépare le citadin du campagnard.

Non, sérieusement, j’ai un oncle dont le stagiaire avait peur des vaches %)

Perpignan Communication @ 2013-07-01 14:33:33

D’accord avec l’auteur. Qu’apportent ces réseaux en terme de valeur ajoutée?

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