Thierry CROUZET
Un monstre en bas de chez vous
Un monstre en bas de chez vous

Un monstre en bas de chez vous

Je quitte Genève. Je prends le tram pour la gare. Il est presque vide. Devant moi un papa accompagne son fils à l’école. Il lui apprend à lire. Ils sont indiens, je ne les comprends pas. La main de l’homme saisit l’oreille du garçon, la tord. Le petit corps se rétracte, essaie de trouver quelque chose à dire. Quel âge doit-il avoir ? Peut-être six. Il est si menu dans sa doudoune orange. Mon fils de six ans fait le double de lui. La main du père, je n’ose plus l’appeler papa, revient vers l’oreille. Je tressaille. J’ai envie de m’interposer. Je n’ose pas et je me sens minable. Lorsque cet enfant voudra tuer son père, les psychanalystes invoqueront le complexe d’Œdipe et d’autres conneries semblables. La vérité est plus crue : ce père torture son fils tous les matins. Il lui parle avec une violence invraisemblable. Il le maltraite physiquement. C’est un monstre qui mérite une punition immédiate. J’ai envie de pleurer. Je suis tout ratatiné sur mon siège. J’ai du mal à respirer. La décharge de violence me submerge. Je pense à ma propre violence, à mes propres excès tout aussi inacceptables.

Luc Prévost @ 2014-01-09 22:17:54

Il y a des millions d’années, je suis au Trocadéro, fraichement débarqué de l’hivers québécois pour faire une école francaise. Je venais de découvrir au marchand de couleurs l’existence du martinet. Je vois un père battant son fils qui tient un petit bateau dont les voiles se gonflent sous l’impact de chaque frappe.

Je m’interpose. Le monsieur fait semblant de ne pas comprendre l’accent mais le fils me regarde comme un cycliste qui se relève après une chute. Je fait mine de toucher le père, sans violence mais comme un adulte qui voudrait rassurer. Je n’ai pas 20 ans. Le père se calme. Je quitte les lieux mais de loin j’obserse.

Le parent recommence à battre son petit et comme je m’apprête à revenir sur mes pas, une vieille dame m’intercepte. Ses mots sont toujours avec moi: «Il ne faut pas car le petit souffrira encore plus».

Des millions d’années plus tard, je revis fréquemment cet épisode et à chaque fois, la même tristesse m’envahit.

Je ne sais toujours pas ce qu’il faut faire...

Visibilité
Newsletters Me soutenir