Thierry CROUZET
Vivre jusqu’au bout
Vivre jusqu’au bout

Vivre jusqu’au bout

Nous sommes cinq autour d’Antoine. Il nous a convoqués chez lui pour nous voir une dernière fois. Il n’a plus beaucoup de force. Son corps de presque nonagénaire l’abandonne peu à peu, en douceur et sans violence.

« Je ne crois pas aux Enfers, mais la descente est longue », nous dit-il. Il voudrait s’en aller plus vite et ne pas nous offrir un spectacle qu’il croit lamentable. Et moi je le trouve beau, toujours aussi piquant, aussi pétillant. Depuis que je le connais, il est le grand-père idéal, celui qui vous donne envie de vivre jusqu’au quatrième âge. Enthousiaste, intéressé de tout, surtout de littérature, prêt à expérimenter, à apprendre, à s’arracher à sa zone de confort. Ce parangon de la vieillesse radieuse a étendu devant moi le champ de l’existence dans son grand axe.

Bientôt il sera mort, mais pour le moment, il ajoute avec humour un jour à une longue suite de jours. Il ne paraît pas effrayé, juste curieux. S’en aller avec l’idée d’une dernière expérience n’est pas pour lui déplaire.

Il se fait tard. Il se lève seul du canapé. Vacille. Nous l’escortons jusque dans sa chambre. Il nous montre les marines au-dessus de son lit. « J’étais inspiré ce jour-là. » Ses yeux brillent. Il est heureux d’être avec nous, et en même temps, se souviens de cette plage du nord où il a vécu un grand bonheur de lumière.

Nous nous penchons sur lui. Il nous fait jurer de profiter. De ne pas nous embêter avec des broutilles. « Allez, filez. » Je n’arrive pas à le quitter. Jusque dans sa mort, il me sert de guide. Il me montre qu’elle n’est pas compliquée quand elle vous prend de face sur le tard.

« Thierry, il faut que tu t’occupes de mon livre. » Il a écrit un court récit de sa vie, nous l’avons corrigé, mis en page, imprimé. Il a distribué ce testament à ses proches. Il aimerait que d’autres le lisent. L’histoire d’un devancier de 1968. De l’homme qui a sauvé les chèvres sur le Larzac. Lui, le décroissant avant l’heure, a traversé le siècle dans les jardins, loin de la politique et proche de la nature.

Le livre est là, fragile. Il ne sera pas prolongé, c’est le dernier texte. Et cette envie subsiste de voir les mots portés par delà la mort. Aucune amertume, aucun regret. « J’ai eu une belle vie. » Il nous met au défi de faire mieux que lui. Et de l’emporter avec nous dans l’aventure humaine, un peu plus loin, on ne sait pas pourquoi, parce que c’est sublime par instants.

PS : Antoine nous a quittés le 18 février.

Mes guerres à moi
Mes guerres à moi
françoise renaud @ 2014-02-13 09:00:08

On le savait avant d’aller le voir, que ce serait émouvant et sans doute la dernière fois. Comme tu l’as dit, il nous donne du courage et curieusement il semble ne pas avoir peur. Il a seulement hâte... d’en finir.

Antoine, on t’aime et tu seras toujours avec nous.

françoise

A Fleury @ 2014-02-13 10:28:55

Pas besoin de connaitre personnellement cet homme pour accéder à l’universalité de son message. Merci à vous d’en témoigner si simplement. Courage et chaleur pour la suite.

Iza @ 2014-02-13 11:26:19

Il a un joli nom votre ami. Et ce texte est très beau. Bisous à vous.

Lilian @ 2014-02-13 15:57:15

Je n’étais pas de cette visite, mais j’ai eu beaucoup de plaisir à extraire le miel des ruches d’Antoine en sa compagnie, il n’y a pas si longtemps, hier peut-être, et à lire les nombreuses moutures de son dernier texte en date.

J’aime beaucoup ce bonhomme.

Marie R. @ 2014-02-19 18:07:02

Je viens d’apprendre la nouvelle, Thierry, et ça me rend très triste. En 2010, j’étais allée chez lui à sa demande, pour l’aider à créer son blog, c’était bien à la mode à l’époque. Il voulait trouver un titre "parlant", et avait fini par choisir "Les Pensements d’Antoine Blanchemain". Pensements avec un e.

http://lespensementsdantoineblanchemain.blogspot.fr/

On avait mis les couvertures de ses bouquins en ligne et il avait posté quelques articles intéressants mais la fatigue avait fini par le décourager de continuer. J’avais aussi fait pas mal de photos de lui, que je pourrai te faire passer (dont celle qu’il avait utilisée pour la 4e de couverture de son bouquin - je crois, en tout cas, c’est celle où il brandit une pancarte ou une revue.

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