Thierry CROUZET
Le paradoxe des best-sellers difficiles
Le paradoxe des best-sellers difficiles

Le paradoxe des best-sellers difficiles

On parle alors plus volontiers de livres cultes. Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes. Escher, Gödel et Bach. Sous le Volcan. Le Guépard. Rien ne présageait un succès planétaire pour ces livres.

La facilité, la banalité, la médiocrité ne sont pas les conditions nécessaires de la réussite commerciale. De temps à autre, des ovnis traversent le champ éditorial. Ils entrent en résonnance avec les attentes du public, et d’une certaine façon réussissent à lui faire changer sa façon de voir le monde. De fait, ces livres ne peuvent qu’être rares (sinon le monde deviendrait fou).

Comme tous les best-sellers, les livres cultes bénéficient d’un emballement du désir mimétique. Le curiosité dévorante de découvrir leurs secrets, leur sagesse, leur savoir, leur beauté. Preuve que le désir mimétique n’est pas toujours négatif et engendre des effets positifs (et aussi que le lecteur de best-sellers n’est pas toujours fainéant).

Mais il existe une différence fondamentale entre le best-seller et le livre culte. Là ou le premier use de recettes, le second se singularise (et c’est pour cette raison que son succès est inattendu et presque incompréhensible). Il surprend, il choque, il bouleverse.

Nous découvrons concomitamment deux familles d’auteurs. Ceux qui aspirent au best-seller, ceux qui aspirent au livre culte. Le chemin vers les deux réussites est toujours hasardeux, tout en impliquant un engagement différent. Dans le cas du best-seller, il faut user des techniques acceptées. Dans le cas du livre culte, il faut pour la plupart les rejeter. Les premiers auteurs sont des artisans, les seconds des artistes. Et il existe autant d’artisans ratés que d’artistes ratés.

Chaque fois que je sors un livre, j’ai l’espoir qu’il entre dans la seconde catégorie, la première m’étant définitivement fermée. Et comme la seconde catégorie autorise toutes les expérimentations, c’est la voie de la liberté.

Zen and the Art of Motorcycle Maintenance
Zen and the Art of Motorcycle Maintenance
Nom @ 2014-02-22 11:17:14

Le désir mimétique a deux faces : l’emballement positif et l’emballement négatif.

Le best-seller, c’est l’emballement positif : c’est facile d’acheter un livre, donc pas de jalousie, communion fraternelle autour d’un sujet à partager.

La face négative du mimétisme, c’est la jalousie sans solution gagnant-gagnant : vouloir la femme du voisin (la solution de type best-seller c’est alors celle des bonobos ou de l’échangisme : la femme du voisin se prête à tous les désirs, sans propriétaire exclusif.)

Paradoxalement, le positif immédiat et le négatif immédiat se retournent à long terme :

  • La communion fraternelle, source de jouissance mimétique immédiate, peut être de peu de fruits : routine, conformisme, sclérose.

  • La jalousie, source de conflit mimémtique immédiat, peut être créative en poussant à devenir meilleur que le voisin.

C’est pour cela que l’évolution a sélectionné, aussi, la forme négative du mimétisme : il est créatif, comme la concurrence.

C’est pour cela que nous n’avons pas la solution des bonobos, pour la femme du voisin.

En compliquant l’échange amoureux, on a poussé à la créativité.

Les bonobos ont le bonheur immédiat, sans difficulté donc sans créativité.

Le mimétisme est sélectionné par l’évolution, pas sans raison.

René Girard n’a jamais souhaité, ni possible, ni souhaitable, l’abolition du mimétisme.

Dans nos sociétés modernes, avec une population en croissance sur une planète qui ne grandit pas, le mimétisme pose surtout problème quand il porte sur des objets matériels, avec des effets de pollution et de raréfaction des ressources vitales.

Dans la vie individuelle, il faut dépasser le mimétisme le plus stupide qui conduit par exemple à travailler comme un dammé pour s’acheter une Ferrari pour épater la femme du voisin.

La force mimétique n’est pas dépassable, mais la forme plus ou moins stupide ou créative, enrichissante ou déprimante, qu’elle peut prendre, c’est cela qui fait la différence.

BiblioMan(u) @ 2014-02-22 14:29:30

Quand tu dis "ils entrent en raisonnante avec les attentes du public ?" veux-tu dire par-là que ces attentes collent à une époque, qu’un livre n’aurait pas eu le même "succès" s’il était paru plus tôt ou plus tard ?

Petit conseil du jour (on arrête pas un bibliothécaire...)auquel m’a fait penser ton article: un roman (ni best-seller, ni livre culte) qui évoquait avec beaucoup d’humour la réussite totale d’un livre de "développement perosnnel". Toutes les recettes avancées dans ledit bouquin (comment devenir riche en dix étapes, comment arrêter de fumer du jour au lendemain...) fonctionnaient et le monde n’allait pas s’en remettre. On suit dans le roman l’éditeur même du livre, enfin, celui qui l’a jeté à la poubelle et qui met tout en oeuvr epour le retrouver. Le titre quand même, "Bonheur, marque déposée" de Will Ferguson.

Thierry Crouzet @ 2014-02-22 14:40:05

@Bibliomanu Le succès, à mon sens, dépend toujours d’une recontre, d’une résonnance avec le public. De nombreux grands livres n’ont jamais eu de succès populaires.

dom)a @ 2014-02-24 17:06:11

Mimétisme, rencontre, raisonnance… !

J’avais entendu parlé de ce livre, et je le trouve à la librairie du MAC de Lyon [http://bit.ly/1bpr4S6] ce dimanche. Je commence le voyage dans le TER qui me ramène à Montélimar. Et je découvre, en arrivant, ce billet… J’aime ces connexions !

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