Thierry CROUZET
Un commoniste est un pacifiste
Un commoniste est un pacifiste

Un commoniste est un pacifiste

Les nouveaux alignements politiques ne disposent pas de leur petit livre rouge pour figer leur discours. Alors il faut se répéter, expliquer, préciser. Et répondre aux questions qui surgissent.

Rareté vs abondance

Il est vrai que nous utilisons souvent ces concepts sans les définir avec précision. Il existe plusieurs formes de rareté et d’abondance, et entre elles des choses qui ne sont ni rares ni abondantes (tout cela a rapport avec la théorie de la complexité).

Rareté naturelle L’or est rare en l’état de nos technologies. Idem pour le pétrole et la plupart des ressources fossiles. La biosphère, elle, est limitée. Les choses sont rares, les possibles sont limités. Les deux qualificatifs sont proches.

Abondance naturelle L’air est abondant, l’eau à l’échelle planétaire, l’énergie solaire reçue quotidiennement. Les terrains étaient naturellement abondants jusqu’à ce que la population augmente. L’information est également abondante sur le Net, à la TV, dans les bibliothèques.

Rareté voulue Dans beaucoup de pays l’eau est abondante, mais les constructeurs de barrages décident de la faire payer avec une monnaie elle-même raréfiée artificiellement (la théorie du revenu de base montre que la monnaie pourrait être abondante). Un livre sous copyright est raréfié artificiellement par rapport à un livre sous licence Creative Commons qui peut être librement copié et distribué. Quand on dit « rendre rare », il s’agit d’une rareté relative par rapport à l’abondance possible. C’est une raréfaction artificielle.

Abondance voulue L’énergie pourrait être rendue abondance pour peu que nous déployions le solaire, l’éolien, la géothermie… Des médicaments deviennent abondants lorsque les brevets qui les protègent sont levés. Les sculptures sont des œuvres naturellement rares, mais le recours aux imprimantes 3D pourrait les rendre abondantes.

La rareté et l’abondance n’ont pas de lien immédiat avec le numérique ou l’immatériel, bien que la technologie ait les moyens de rendre abondant quelque chose de rare (un livre copiable à l’infini) ou rare quelque chose d’abondant (l’eau en construisant des barrages).

Commoniser C’est l’action de transformer un bien rare ou raréfié en un bien commun. Exemple quand soixante-dix ans après la mort d’un auteur son œuvre bascule dans le domaine public. Je peux ainsi commoniser mes livres. Didier Pittet a commonisé la formule du gel antibactérien. En instaurant le revenu de base, on commoniserait la monnaie.

Commoniser, c’est partager, et d’une certaine manière pacifier la société. Un commoniste est un pacifiste, et donc il n’imposera jamais la commonisation à qui la refuserait. C’est à chaque créateur, en conscience, de choisir sous quelle licence il distribue ses œuvres.

Un chercheur est payé, un artiste pas

C’est tout simplement faux. Durant son année mirabilis, Einstein a révolutionné la physique sur ses temps libres. Sthephen Wolfram a créé Matematica pour financer ses travaux scientifiques, considérés par le monde académique comme de simples loisirs. Les exemples sont innombrables. Il existe beaucoup de chercheurs amateurs, en astronomie notamment.

Une œuvre de l’esprit est un œuvre de l’esprit, quel que soit son champ. Je ne fais aucune différence ente une théorie scientifique, un théorème mathématique ou un roman (ils peuvent d’ailleurs tous me procurer beaucoup de joie). Ne confondons pas l’œuvre et son mode de production. Si beaucoup de travaux scientifiques sont commonisés pour le bien de l’humanité, beaucoup d’autres sont brevetés pour le bénéfice de quelques-uns (même les universitaires brevettent). Aucune raison pour que cette dichotomie ne touche pas les œuvres d’art.

Le commonisme est un extrémisme

Cette idée d’attacher une priorité politique aux biens communs a pour je ne sais quelle raison le don de réveiller la haine de quelques personnes. Quand je leur apparais comme un commoniste modéré, donc encore respectable, ils crient au loup. « Ça commence comme ça, puis après vous allez voir les excès. » Plutôt que de prendre en compte mes arguments, ils imaginent d’autres arguments que je n’ai jamais défendus, que je réprouve même, mais qui pourraient éventuellement devenir les miens dans un futur proche. Et, donc, en vertu de ce futur hypothétique, je devrais être condamné.

J’espère que ceux qui professent de telles accusations mesurent le ridicule de leur position. C’est comme s’il fallait condamner tous les gens de gauche sous prétexte qu’ils pourraient devenir staliniens ou ceux de droite parce qu’ils pourraient devenir hitlériens. L’usage du principe de précaution a quelques limites, j’espère.

Un commoniste extrémiste pourrait vouloir que tous les biens basculent dans le domaine public. Pour ma part, je pense que cette bascule ne doit concerner que les ressources naturellement rares (que nous sommes en train de dilapider à tout jamais) et certaines ressources potentiellement abondantes (dont le coût de distribution et de reproduction sont quasi nuls).

Un commoniste extrémiste pourrait aussi vouloir une production en commun de tous les biens. J’ai bien l’intention de continuer à cultiver tranquillement mon jardin. Que certains projets impliquent la collaboration, je n’ai rien contre, je pense que c’est même indispensable pour résoudre les problèmes complexes comme les questions écologiques, mais ça ne concerne pas les autres types de problèmes.

Laurent Fournier @ 2014-03-05 13:14:42

Il y aurait beaucoup à dire en peu de lignes!

Si l’on s’intéresse à la rémunération de la création artistique, l’attribut rareté/abondance des biens n’est pas vraiment utile. Le coût marginal a plus d’importance et distingue les biens matériels (coût non nul) et biens immatériels (coût nul), mais il ne faut pas impliquer que le prix de vente soit proportionnel au coût marginal et conclure qu’un bien commun informationnel devrait être gratuit.

En "commonisant" un bien culturel immatériel, tu le rends gratuit et impose donc un prix nul sur le Net(concurrence parfaite), contre l’avis de l’auteur. Tu ne pacifies rien du tout, tu crées un déséquilibre économique!

En supportant LQDN ou SavoirsCom1, un internaute cautionne la demande explicite (voir P. Aigrain) de ’légaliser le partage non marchand’ et donc le piratage (P2P torrent). L’extrémisme est déjà dans la demande de consultation faite à l’UE aujourd’hui même...on ne peut pas l’ignorer. Cette légalisation serait un déni démocratique et je ne vois pas d’extrémisme à la dénoncer. je n’ai jamais vu ou entendu un commoniste dire qu’il faut laisser (économiquement préférable) une enclosure sur un bien commun informationnel...mais as tu un contre-exemple ?

La recherche et les brevets sont pour moi incompatibles...mais cela mériterait une longue discussion.

Bien trouvé l’image "Fight Commonism" !

David Bosman @ 2014-03-05 13:17:48

"Un commoniste est un pacifiste, et donc il n’imposera jamais la commonisation à qui la refuserait. C’est à chaque créateur, en conscience, de choisir sous quelle licence il distribue ses œuvres."

Hélas, quand tu lis certains propos, on est loin de ce respect du choix de chacun. Et c’est tout le problème, à mes yeux. Sans doute, il faudrait plus de voix commonistes pour faire entendre ce décalage entre les modérés et la poignée des autres allumés/pitres.

Laurent Fournier @ 2014-03-05 13:32:49

@David Donc selon votre raisonnement, P. Aigrain qui demande la légalisation du partage non marchand, même d’œuvres sous Droit d’Auteur, est bien un extrémiste. Pourquoi ne l’écrivez vous pas sur tous les blogs ? Idem Valérie Peugeot, idem Calimaq, idem Hervé LeCrosnier ?

Quand à la prétendue liberté de choisir sa licence. L’auteur doit manger comme chacun de nous, et n’est ce pas ce qui guidera son choix ? Si la société proposait quelque chose de mieux, l’auteur n’aurait pas à jeter son œuvre dans le sac CC ou le sac DroitAuteur. Il créerait et toucherait un revenu mérité.

David Bosman @ 2014-03-05 13:45:38

@Laurent:

La 1ère chose que je te conseillerai, c’est de choisir plus judicieusement tes mots : il n’y a pas de raisonnement (de mon chef), juste un commentaire en réaction aux propos de Thierry.

Ensuite, ce n’est pas très subtil de décider toi-même des noms des personnes, en les mettant presque dans ma bouche, que je qualifierais de pitre ou d’extrémiste.

Enfin, tu ne serais quand même pas entrain de me dicter ce que je _dois_ faire ou ne pas faire, non ?

Laurent Fournier @ 2014-03-05 14:07:19

@David. Il semblerait que vous ayez choisi les mots pour me tutoyer !

Oui, ma question est directe/brutale à cause de la forme "commentaire" et rien ne vous oblige à y répondre, mais ce n’est pas moi qui ait fait la remarque qu’il existait des "allumés/pitres" chez les commonistes.

Je pense qu’ils sont tout a fait intelligents et conscients des conséquences de leur discours politisé (voir papier de V. Peugeot) et c’est pourquoi je considère que c’est du populisme (de la manipulation des masses qui n’ont pas étudié la question)...sur les biens communs immatériels (pour les communs matériels Ostrom les a déjà étudiés) A part cela, il y a surement pleins de modérés comme Thierry.

Thierry Crouzet @ 2014-03-05 14:28:01

@Laurent Qui a dit qu’un bien abondant devait être gratuit nécessairement? Ne déforme pas systématiquement ce qui est écrit. Un bien abondant peut être rendu gratuit, ça ne veut pas dire qu’il doit l’être systématiquement.

MERDE.

J’ai bien le droit en tant qu’auteur de rendre mes textes gratuits. Ce n’est pas à toi, ni à personne, de dire ce que je dois faire. Ni de trop te préoccuper de comment je dois gagner ma vie. La vente à l’exemplaire n’est qu’une de nos multiples sources de revenus. ça a toujours était ainsi. Ignorer ce fait dans cette histoire, c’est passer à côté de la réalité économique de la vie des artistes. On n’est pas nécessairement des marchands de biens.

Tu crois que Doctorow ne gagne rien avec ces romans gratuits sur le Net?

Et le P2P n’a rien à faire dans cette histoire. Le P2P est là et les gens l’utilisent que tu le veuilles ou non, que les auteurs le veuillent ou non. Et les boîtes piratent les innovations des autres boîtes. On ne va pas faire cesser ces pratiques par un acte de bonne volonté.

Réfléchir à des modèles de compensation pour ceux qui se font pirater ne me paraît pas une trop mauvaise idée (à condition de trouver une solution décentralisée ce qui commence à devenir complexe).

Ce qui m’importe c’est la non pénalisation des échanges non-marchands. Leur légalisation n’est envisageable qu’en imaginant des modes de compensation. La radio c’est du piratage compensé par la SASSEM. C’est pas neuf comme question.

Le seul mode moderne serait le revenu de base.

Laurent Fournier @ 2014-03-05 16:53:54

Pas la peine de t’énerver...je te croyais pacifiste !

Tu as l’impression de te répéter...Regarde Wikipedia "Biens Communs Informationnels" et tu verras que le "commonisme" implique la gratuité de par la "concurrence parfaite" du Net (chaque IP a la même valeur).

Je constate que tu n’a pas analysé la proposition du Partage Marchand...simplement dommage! Quant à la compensation par la Contribution Créative, as tu simplement réfléchi à son implantation détaillée ?...même P. Aigrain n’ose plus en parler en public car ce serait du pain béni pour une corruption généralisée.

Non la radio n’est pas du piratage. C’est légal et quel artiste se peindrait de passer à la radio ? Légalise le piratage et sous deux semaines, tous tes livres sont en Torrent. Doctorow s’en sort parce qu’il est surfe sur cette originalité, mais est ce généralisable ?

Qui est contre le revenu de base inconditionnel ? mais faut pas te leurrer, c’est 400€/mois!

Bien entendu que tu peux diffuser gratuitement tes textes, mais le fait que tu t’énerves quand on cherche une meilleure solution prouve que le problème n’est pas réglé. Non, je ne suis pas un "newbee", cela fait bientôt deux ans que je bosse dessus.

Thierry Crouzet @ 2014-03-05 17:27:37

Je me fiche de ce qui est écrit ailleurs de mon blog :-)

Je définis ma vision du commonisme. Donc je reconstruis. Déjà en incluant bien rares et abondants, en incluant l’écologie dans le processus... tout ça ce n’est pas ailleurs, je crois.

Tu ne peux pas me prêter des propos tenus par d’autres, ailleurs. Ce n’est pas mon affaire.

Ton système implique un passage en force... sinon tu n’as qu’à tenter de booter, et c’est le même problème avec le revenu de base. Et d’où te vient cette somme de 400€? Les Suisses évoquent 2000 fr :-)

Et même 400€/mois, c’est plus que ne gagnent la plupart des créateurs aujourd’hui.

1/ Commoniser, c’est rendre entre autres gratuit, pas gratuit. Tu mélanges. Et non des biens gratuits ne cessent pas immédiatement de générer des revenus. C’est faux. Ils génèrent encore des revenus directs, et des revenus indirects.

2/ Commoniser n’est pas une obligation. C’est un choix du créateur. Donc où est le problème?

PS : Un monde pacifié, c’est pas un monde de bisounours.

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