Wikipedia symbolisait le web 2.0, le modèle participatif, ouvert, libre, coopératif. Ajoutez tous les qualificatifs pour célébrer ce qui devait être une nouvelle économie porteuse de valeurs nouvelles, loin de l’ancien monde de la prédation en vigueur depuis des millénaires. Mais ne vous enflammez pas, ce rêve est bel et bien terminé.
Tout commence par une affaire assez ordinaire et symptomatique d’un glissement irrémédiable vers la centralisation, le contrôle, l’apparition d’apparatchiks, d’une caste de fonctionnaires freelances avares de leurs petits pouvoirs.
Les faits. Le 9 octobre, j’apprends qu’une certaine Sophie0842 propose la suppression de la page Wikipédia sur la TRM (Théorie Relative de la Monaie) de Stéphane Laborde. Sans même avoir besoin d’évoquer cette théorie, regardons les trois principaux arguments invoqués.
- Peu de retombées livre.
- Travail inédit.
- Cette théorie n’existe pas.
Je suis sidéré. Au temps du Net, faut-il encore des livres pour légitimer nos théories ? Est-ce à dire que des dizaines de citations sur des blogs ne valent pas pour légitimation ? Pas plus les vidéos ou les conférences publiques où cette théorie a été évoquée, certaines tenues dans des universités ou des colloques respectables ? Il semble que tel soit le cas pour certains Wikipédistes. Ils présupposent que des penseurs indépendants, eux seuls capables de proposer des approches disruptives, n’existent pas. Vous allez voir, cette logique va loin.
Ils oublient surtout que Wikipédia elle-même selon leur critère n’a aucune espèce de légitimité. C’est une initiative d’individus qui ont exactement le même statut que des blogueurs. Personne n’a jamais rien demandé à personne avant d’ouvrir Wikipédia. Surtout pas un article dans un journal, encore moins dans une revue universitaire ou une encyclopédie antérieure.
Le travail de Stéphane Laborde serait inédit. Cette affirmation cache une conception étriquée de la notion d’édition. Parce que la TRM existe bel et bien en livre, disponible en licence libre, en version papier et électronique. Donc, selon moi, ce travail est bel et bien édité (au même titre que cet article que vous êtes en train de lire et peut-être de légitimer par des liens). En fait, nos Wikipédistes reprochent à la TRM de ne pas être éditée par un éditeur, entendez une de ces anciennes entités propres au monde d’antan. Wikipédistes, vous oubliez que Wikipédia aussi est autoéditée. Qu’aujourd’hui, un texte est édité, quand il est accessible. Il est légitime, quand il est interconnecté.
Conséquence logique de l’usage de critères datés, la TRM n’existe pas, d’autant plus qu’elle n’est citée dans aucun corpus universitaire. Comment le pourrait-elle puisqu’elle est construite hors de l’université et contre ce qui se pratique en leur sein ? Petit rappel, il fut de même en 1905 pour la relativité restreinte.
Le fait que nous soyons nombreux depuis des années à avoir discuté de la TRM, en bien ou en mal, ne compte pas. Pour les Wikipédistes nous ne comptons pas. Même Yoland Bresson, un économiste officiel même pour Wikipédia, qui préface la TRM. Alors ils s’en prennent à des pages connectées. Celle d’OpenUDC, la seule alternative sérieuse aux cryptomonnaies de type Bitcoin, ils lorgnent sur la page du Générateur Poïétique d’Olivier Aubert, puis ils finissent par me tomber dessus. Puisque je les critique, je dois être effacé de la Babel. Ils vont jusqu’à prétendre qu’il existe peu de sources secondaires à mon sujet, comme si je n’avais jamais édité de livres selon les anciens critères (un petit lien pour les aider, même un autre via Google). À ce stade, et après avoir ignoré la validation de la TRM par Yoland Bresson, la mauvaise foi devient évidente. C’est une sorte de règlement de compte.
Quand je me plains de cette situation, Remi Mathis, ex-président de Wikimedia France, me rétorque qu’il existe une charte Wikipédia. De toute évidence, elle est foireuse.
Quand je veux défendre la TRM, et que beaucoup d’autres qui en ont plus la compétence que moi essaient de le faire, nous ne le pouvons pas faute d’avoir 50 contributions à notre actif sur Wikipédia. Pourtant le seul fait d’armes de Sophie0842 semble d’avoir demandé la suppression de la TRM.
Le 10 octobre, la page finit par être supprimée. Sans qu’aucun argument technique n’ait été avancé, sans que les Wikipédistes n’aient tenté de sauver le contenu. Ils se sont contentés de se référer aveuglément à leur charte.
Pour moi, cette histoire témoigne de la pente dangereuse vers laquelle verse le Web. En se centralisant, il se sclérose. Il crée des centres de pouvoir, qui attirent les petits egos peu créatifs, un peu à la façon des partis politiques.
Wikipedia a désormais rejoint le troupeau des institutions. En refusant de voir ses règles évoluer, elle s’enferme dans ses propres conventions. Mais pire, elle devient un terrain de bataille idéologique, induit par la nature même de ses règles de fonctionnement.
Comme le premier terroriste venu peut demander la suppression d’une page, les opposants aux idées disruptives ont tout le loisir d’intervenir. Sans jamais avancer d’argument sur le fond, sans avoir l’obligation de l’améliorer, ils peuvent l’abattre.
Dans le temps des anciennes encyclopédies, un seul auteur, de la hauteur de sa légitimité, avait le loisir d’ajouter de nouvel article, sous prétexte qu’il en avait la compétence. Dorénavant, on se fiche de la compétence. On pratique la guérilla informationnelle, et il est difficile de ne pas voir se jouer ce scénario avec la TRM, une théorie économique qui dynamite les théories en vigueur, qui renvoie tous les économistes dans les cordes, et qui ne pourra être acceptée qu’après une rupture de paradigme comme l’explique Thomas Kuhn dans La Structure des révolutions scientifiques.
Sophie0842 n’est venue sur Wikipédia que pour combattre la TRM comme le prouve son journal. C’est une attaque ciblée, délibérée, parce que cette théorie dérange et que s’y opposer par des arguments intellectuels n’est pas simple, même si je m’y suis essayé, sur le plan philosophique.
Maintenant, ils peuvent bien s’ils le veulent me faire disparaître de Wikipedia, nier mes livres, nier les articles de presse ou de blog, les émissions de radio et les TV auxquelles j’ai participé. Je n’existe pas grâce à Wikipedia. J’existe grâce à mes lecteurs.