Je fais du vélo pour fuir les voitures, mais j’aime les villes, leurs méandres, leurs rues étroites, leurs places oubliées, leurs escaliers, leurs points de vues, leurs jardins, leurs recoins cachés, leurs friches et entrepôts à l’abandon. Entre ces lieux, il existe parfois des passages secrets, réservés aux piétons ou aux cyclistes, ou négligés par les automobilistes, parce peu pratiques ou peu efficaces, voire à accès toléré malgré les panneaux défense de passer, alors j’aime m’y faufiler à vélo, piratant la logique urbaine, la détournant de sa fonction pour me réapproprier la ville.
Les urbanistes appellent lignes de désir les voies qui leur échappent. Quand j’étais en Floride, des sorties nocturnes à travers ces lignes de convection étaient organisées une fois par mois en soirée, sans qu’il soit explicitement fait référence aux desire paths. J’ai moi-même dessiné un parcours urbain entre Weston et Fort Lauderdale, sautant de parc en parc, coupant à travers des haies, empruntant des sentiers absents des cartes et de larges trottoirs transformés en piste cyclable. C’était une question de vie ou de mort. Plus près de nous, Velomaxou a tracé des tours de Mulhouse et je suis certain que la liste de ces tours urbains doit être longue.
Dan de Rosilles, aka Arles Gravel, a formalisé le concept et depuis organise des évènements lignes de désirs dans quelques villes du Midi. Après avoir participé à la boucle montpelliéraine coorganisée par Original Montpellier Gravel, j’ai eu envie d’inviter des cyclistes à parcourir les rues de Sète, la ville parfaite pour ce petit jeu, avec tous les terrains imaginables à la disposition de nos bécanes.
Attention, il ne s’agit pas de refaire une compétition de descente urbaine comme celle organisée en octobre, mais de se balader entre mer et étang avec bien sûr au programme l’ascension du mont Saint Clair par ses différentes faces, de quoi en prendre plein les yeux tout en se chauffant les jambes. J’ai donc tracé un parcours urbain pour gravel et VTT, ludique et sportif, avec pour contrainte de ne jamais passer deux fois aux mêmes endroits tout en minimisant les interactions avec les voitures.
Tout commence et se termine à la gare. Départ en douceur par le parking de Cayenne, un petit saut sur route, on remonte le quai des Moulins, un des grands chantiers sétois, avec sa chaussée défoncée, puis on emprunte un bout de piste cyclable, passe sous la voie ferrée et tout de suite bifurque sur un chemin théoriquement à accès restreint, qui, à travers deux murs de roseaux, dessert des jardins ouvriers, aussi quelques dépotoirs et longe l’usine d’incinération. Il me semblait important de montrer ce visage de Sète, qui je l’avoue ne me déplaît pas. Cette piste méconnue a un charme suranné.
Une fois de retour à la hauteur de la gare, dans son dos, on coupe la D2, la prudence s’impose, et on rejoint l’étang de Thau, dont on va longer les rives pendant un bon moment, sans croiser la moindre voiture : quartier pittoresque de la Pointe courte, de la Plagette, du Barrou, on roule sur le sentier côtier, c’est superbe, puis on effectue un détour par la ZUP, aussi appelée Île de Thau, une zone HLM gagnée sur l’étang à la fin des années 1960, qui offre un superbe point de vue sur l’étang, un petit bout de route, puis on bascule dans non moins pittoresque quartier du Pont-Levis. On enchaîne les cartes postales, d’autant qu’on plonge en suite dans les anciens marais salants, empruntant un single fort joueur qui ondule à fleur de l’eau, avant de nous ramener vers la voie ferrée.
Après le passage à niveau, on entre dans le quartier moderniste des salins de Villeroy, immeubles design et white houses s’enchaînent. On se glisse dans les rues, joue dans un petit jardin, rejoint le bord de mer et la zone balnéaire avec ses cafés et restaurants. On la quitte un instant pour explorer la marina des Quilles, un ratage architectural, qu’il faut voir pour mieux mesurer les beautés qui nous attendent par la suite, puis on rejoint la plage, on roule un peu sur le sable, question de ne pas mourir idiots, puis on grimpe sur les falaises de la Corniche. Si on prend soin de tourner le dos aux immeubles hideux, la vue est superbe.
Après la crique de l’Annau, les choses sérieuses commencent. On attaque l’ascension de Saint Clair, découvre des passages étroits entre des murets de pierre, se paye des pourcentages à plus de 18 %, puis on atteint la forêt des Pierres Blanches, un bout de garrigue au cœur de la ville, avec une piste assez caillouteuse qui exige la prudence, surtout en descente. La vue porte loin, on retrouve en miniature les plages et les salins, aussi la montagne d’Agde et par temps clair la chaîne des Pyrénées, avec le Canigou en vedette.
On redescend la face nord de Saint Clair en sous-bois par une belle piste, rejoint une rue étroite, puis attaque une ascension, qui de méandre en méandre, via des détours secrets et des passages herbeux nous amène au sommet. Les photos s’imposent avant une descente vertigineuse qui exige des freins parfaitement réglés. Au détour d’un virage, on doit mettre pied à terre, grimper quelques marches, puis terminer la descente qui nous ramène sur la Corniche, près du théâtre de la Mer.
Voici Sète version carte postale. On roule jusqu’au bout du mole Saint-Louis, fait le tour du phare, puis descend le long des quais, avant d’attaquer la rampe des Bédouins, l’ascension la plus fameuse de Saint Clair, celle empruntée par le Tour de France, mais on la quitte assez vite, joue à quelques explorations, négocie deux volées de marches, avant de plonger sur le quartier haut où après le lycée Paul Valéry nous attend la pente la plus méchante du parcours, gardée pour la fin.
On grimpe entre des villas en terrasse, certaines magnifiques, puis on bascule vers la ville basse, rejoint les quais, passe par le centre-ville, joue aux touristes avant de rejoindre la gare après une boucle de 43 km pour environ 550 mètres de dénivelé positif.
Sur le parcours les points d’eau ne manquent pas. Il y a une fontaine à l’entrée de la marina des Quilles avec des WC, une autre au sommet des Pierres blanches, sans doute bien d’autres que j’oublie. Cette balade peut s’effectuer de jour comme de nuit pour un dépaysement garanti. Si vous voulez tenter l’aventure, faites-moi signe, je vous accompagnerai si je suis disponible. Je vais voir si les copains ont envie d’organiser une sortie groupée comme à Avignon, Montpellier, Nîmes ou Arles.
La trace est disponible sur Google Map, OpenRunner et Komoot.