Un ami ne se sent pas bien, il a un peu de fièvre, il se teste sur internet, il semble être positif, il se rend chez son généraliste qui lui pose les mêmes questions que le test internet et lui donne le même diagnostic. « Prenez du paracétamol et rentrez chez vous. »
Mon ami est dépité. « Mais je n’ai pas cessé de travailler, j’ai croisé beaucoup de personnes ces derniers jours, on ne doit pas faire quelque chose pour eux ? » Le médecin se contente de hausser les épaules avec fatalité.
En rentrant chez lui, mon ami s’arrête à sa pharmacie, qui n’a ni masque pour lui, ni gel hydro-alcoolique. Il a la sensation que la France s’écroule sous ses yeux, que plus rien ne fonctionne. Nous sommes en train d’assister à la faillite de l’État.
Tout le monde constate cet effondrement depuis des semaines, on ne peut que le constater après avoir entendu les mensonges à répétition du Président et de ses ministres, mais quand mon ami me raconte son expérience, son vécu, je ressens le drame plus intensément, physiquement, comme si moi-même j’étais malade.
Mais pourquoi l’administration sanitaire n’a-t-elle pas mis en place une procédure simple pour que mon ami puisse prévenir ses collègues et qu’ils se fassent tester en toute urgence et s’isolent si nécessaire ?
Tester mon ami ne sert à rien puisqu’il est très certainement positif et va se mettre en quarantaine, mais ses collègues peut-être positifs continueront de se transmettre le virus, ce qui aurait pu être évité par quelques tests.
Je ne suis même pas sûr que le manque de tests soit la bonne raison. La vérité encore plus hideuse est sans doute qu’aucune procédure n’a été mise en place pour que les relations d’un positif puissent se faire tester en urgence. Rien n’a été fait pour empêcher la propagation de l’épidémie : l’État est paralysé dans l’indécision. Il dilapide le peu de tests que nous avons de façon inapproprié. Il nous démontre son incapacité à gérer la crise, ce qui révèle son impuissance quotidienne à gérer le pays de manière intelligente, réactive, humaine. Les fonctionnaires transis de peur et impuissants attendent les ordres d’en haut qui ne viennent pas. Et quand ils les devancent, comme certains préfets ou maires, c’est en général pour aller dans le même sens que le gouvernement, pour enfoncer un clou déjà planté de travers.
La faute à l’hypercentralisation. Nous le disons depuis des années, je l’ai théorisé en 2006 dans Le peuple des connecteurs, une société complexe doit disposer d’une organisation sociale, et donc administrative, réticulaire. Il faut décentraliser le plus loin possible, idéalement jusqu’à chacun des citoyens, pour maximiser l’intelligence collective. Nous avons fait le contraire, ne nous appuyant que sur l’intelligence de quelques-uns, des intelligences qui ont démontré et nous démontrent tous les jours leur insuffisance.
Notre gouvernement n’est même plus assez lucide pour prendre conscience de l’impasse dans laquelle il s’est engagé. Il avance à tâtons, les yeux bandés, dans un labyrinthe rempli de pièges. Il n’a pas le réflexe de demander de l’aide. « Enlevez-moi ce bandeau. Allumez. Jetez-moi une bouée de sauvetage. » Il ignore qu’il est enfermé au fond de sa grotte platonicienne et qu’il existe un extérieur infiniment plus vaste que son espace mental étriqué. Il se croit toujours le plus intelligent, défaut d’orgueil rédhibitoire en la circonstance. Nous l’observons se noyer avec effarement, avec aussi frustration. Que pouvons-nous faire ? La police est toujours à son service, aussi une armée de donneurs de leçons qui ont oublié de brancher leur cerveau, prêts à collaborer avec la pire ignominie, en l’occurrence celle de la bêtise la plus crasse.
Quoi faire par la suite ? Les juger ? Les punir ? Ne pas voter pour eux, et voter pour leurs semblables du bord apparemment opposé, mais tout aussi responsables de la faillite de l’État puisqu’ils l’ont eu à charge durant des décennies, ne cessant d’en cultiver l’impuissance et le coût.
Je suis frustré, dégoûté devant le gâchis qui m’est donné en spectacle. Ça me plombe le moral. Il ne s’agit pas de refaire l’histoire, mais de relever au quotidien tout ce qui devrait être fait et ne l’est pas. Chaque fois que le gouvernement a été mis devant le fait accompli, il n’a rien changé, il a même souvent nié, s’obstinant dans l’erreur.
Les exemples ne manquent pas. Le confinement unilatéral pour toute la France alors que les départements étaient diversement touchés. Les mêmes mesures pour les grandes villes et les campagnes. L’interdiction du sport en solitaire hors d’un cercle d’un kilomètre alors que le sport est de l’avis de tous les experts essentiels à la santé d’une population. L’interdiction des voies vertes, des parcs, des plages, des forêts, des montagnes… Le choix de l’autorité contre celui de l’éducation, si bien que nous nous déconfinerons sans ne rien avoir appris. L’incapacité à mobiliser les industriels français pour répondre à l’urgence sanitaire. L’incapacité à admettre ses erreurs et les corriger. L’incapacité à responsabiliser au prétexte que là-haut on serait responsable et qu’on aurait toujours raison. Croire qu’être responsable se limite à obéir alors que souvent la désobéissance s’impose. Faire encore confiance à une économie mondiale en panne pour l’approvisionnement de masques et de tests.
Nous assistons en direct à l’échec d’une méthode dont Macron s’est fait le chantre. La solution passera par la fin du système présidentiel, la fin des scrutins majoritaires, la fin de la centralisation parisienne… Une utopie sans doute, mais que faire d’autre ? La globalisation du monde, c’est la globalisation des problèmes. Leur ubiquité exige des réponses localisées. C’est le paradoxe. Plus les problèmes sont globaux, plus il faut les attaquer localement sans quoi on réduit l’intelligence collective.
La crise Covid-19 nous démontre l’insuffisance de l’intelligence gouvernementale. Continuerons-nous à fonctionner avec un cerveau malade inconscient de sa maladie et qui se croit toujours au plus haut de sa forme ? Que fait-on dans ce genre de situation ? Avant l’invention des antibiotiques, on coupait les membres gangrénés. On est après, faisons preuve de plus d’intelligence, ne nous laissons pas griser par l’idée de révolution, mais vite, très vite, trouvons un chemin vers le renouveau. Car après cette crise, d’autres arrivent, plus terribles. Stocker des masques ne nous aidera pas. Il faut augmenter notre réactivité, notre intelligence. Il y a urgence. Je n’ai pas envie que mes enfants vivent dans un monde de merde à cause de l’aveuglement de nos élites autoproclamée après un scrutin majoritaire sans plus aucune pertinence.
On est un pays gouverné par un seul cerveau alors que nous sommes soixante-sept millions.