Depuis janvier, il y a ceux qui nous annoncent le pire et ceux qui nient la gravité de la situation. Il faut dire que même littérature scientifique dit tout et son contraire. Un jour on nous crie que le virus ne se transmet pas par les surfaces, le lendemain qu’il y survit 25 jours. Comment nous y retrouver ? Comment les politiques peuvent-ils gouverner dans cette cacophonie ?
J’ai la chance de discuter presque quotidiennement avec les scientifiques des HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève), qui consacrent une grande partie de leur énergie à étudier la littérature et à la critiquer : des articles dont tous les médias parlent étant parfois réfutés en quelques secondes (sans que la réfutation n’intéresse aucun média). Nous vivons une surenchère permanente, chacun cherchant à pousser le bouchon un peu plus loin pour gagner sa minute de gloire, les modérés ayant souvent beaucoup de mal à se faire entendre.
Alors qu’est-ce que nous savons de ce virus qui peut nous aider à pondérer la situation. Si on divise le nombre de morts sur une période donnée par le nombre de personnes détectées positives sur cette période, on obtient le taux de morbidité (ou case fatality ratio — CFR). Ce taux est à manipuler avec précautions, car il dépend fortement de la capacité de test. Si on teste dix fois plus, voire cent fois plus, on fait chuter le CFR. Prendre tous les morts en France depuis le début de l’épidémie (32 683) et le diviser par le nombre total de personnes testées positives sur la période (734 974) donne un CFR de 4,4 %, mais cette valeur n’a aucune utilité, sinon d’exciter les alarmistes qui l’utilisent pour essayer de nous ficher la trouille. En début d’épidémie, on a souvent un mort pour un cas, donc un CR de 100 %.
Pour décrire l’épidémie au présent, le CFR doit être calculé sur les jours ou semaines qui précèdent, non depuis le début de l’épidémie. Ainsi la valeur tient compte des progrès des tests ainsi que des progrès thérapeutiques. Il faut par ailleurs tenir compte du décalage d’environ 21 jours en moyenne entre un test positif et un décès. Si, par exemple, on divise le total des morts du 1 au 10 octobre (667 environ) par les cas testés positifs trois semaines plus tôt, du 10 au 19 septembre (94 000 cas détectés environ), on obtient un CFR de 0,7 %. Mieux on teste, plus le CFR tend vers l’IFR, c’est à dire vers le taux de mortalité, une valeur propre à la maladie.
Sur les trois dernières semaines, entre 19 septembre et le 10 octobre, on dénombre 310 000 cas testés positifs, ce qui devrait donc entraîner environ 2 170 décès dans les trois semaines suivantes (les personnes testées positives antérieurement sont tirées d’affaire ou malheureusement déjà décédées). Le gouvernement est inquiet non à cause des alarmistes qui appliquent un CFR de 4,4 % et prévoient plus de 13 000 morts, mais parce que 2 170 morts impliquent la mobilisation d’au moins quatre fois plus de lits en soins intensifs ! Ainsi la courbe épidémique ne peut pas continuer à croître linéairement comme elle le fait depuis le début août. Il faut l’infléchir sinon notre système hospitalier mettra un genou à terre. Les rassuristes se trompent donc tout autant que les alarmistes.
J’espère être plus raisonnable. Vaincre les épidémies sera un éloge de la modération, sans doute la seule stratégie gagnante, mais pas la plus sexy.