Deux semaines après la GTMC, Lionel a envie d’une dernière cession de bikepacking sur deux jours. Je lui propose une trace à laquelle je pense depuis quelque temps, qui mixe 727 et i727, ainsi que des chemins que j’ai l’habitude de parcourir.
Si dans son Local Overnighter Project, Bikepacking.com suggère des boucles entre 48-160 km, je tire sur la corde pour aboutir à une boucle de 245 km, avec des variantes à 200 km, pour 3 500 m de dénivelé positif. L’aventure commence à Sète/Balaruc et revient à Sète/Balaruc. De la mer, elle rejoint le mont Saint-Baudille, à 848 m, avant de plonger sur le lac du Salagou et revenir vers la mer, suivant à cette occasion quelques sections du final de la GTMC (mais arrangées pour ne pas manquer des singles incontournables).
Il est huit heures. Nous voilà partis avec un temps gris, pluie annoncée, pas des conditions de saison pour un début août dans le Midi. Je suis sur mes terres, j’évite de commencer par le chemin des Dames, un de mes singles VTT préféré, mais déjà exigeant. Par petites routes et pistes, nous contournons Poussan, nous attaquons aux collines de La Moure, mais Sète, les étangs et la mer se dérobent à nous, plongés dans la brume. La pluie nous prend déjà. La terre à peine humidifiée se décolle en croûtes qui adhèrent à nos pneus.
Des conditions qui ne ravissent pas Lionel. Lui, le Belge trop habitué aux intempéries à longueur d’année, attendait de la lumière et de la chaleur. Il n’a pas roulé depuis la fin de la GTMC, sinon cinquante bornes la veille pour me rejoindre, et ses jambes le font déjà souffrir. La pluie se calme. Après une succession de singles parfois glissants, nous rejoignons la belle piste de la Taillade.
Lionel ne profite par de ces purs paysages de garrigue, un condensé d’ambiance méridionale. La pluie nous reprend quand nous arrivons à Saint-Paul-et-Valmalle. La boulangerie étant fermée, nous nous arrêtons au café. Il est déjà 11 h, nous nous sommes traînés, n’ayant parcouru que 26 km. Lionel a la dalle. Il demande au serveur et à la serveuse s’ils peuvent nous préparer un casse-croûte. Ils nous disent qu’il n’ont rien à manger. Quand Lionel entre dans la salle, il découvre une banque réfrigérée remplie de pâtisseries. Il faut qu’il insiste pour qu’on lui serve un tiramisu.
Je lui dis que c’est une mauvaise idée. Il va recevoir un shoot de sucre et derrière son corps en revoudra tout de suite. Rien de tel pour se préparer une bonne hypoglycémie. Mais bon. Il se renfloue comme il peut pendant que la pluie redouble et détrempe la chaussée. Nous voilà bien.
Quand je vais aux toilettes, je découvre que dans la salle des tables ont été dressées pour le repas de midi. Je vois une pile de baguettes. J’ai du mal à comprendre pourquoi presque partout en France on refuse de nous servir avant l’heure et après l’heure. Je comprendrais si le serveur et la serveuse étaient débordés, mais non, nous sommes les seuls clients et ils fument leurs clopes nauséabondes plus loin sur la terrasse, tout en jouant avec leur téléphone.
Il y a un truc qui cloche. Service minimum. J’ai passé mon enfance dans un café où on servait à toute heure, où on ne refusait jamais rien à un client désireux de consommer. On dirait désormais qu’une normalisation étriquée des horaires s’est imposée. Les serveurs préfèrent ne rien faire plutôt que nous servir, montrant qu’il se fichent bien de nous. Durant la GTMC, nous nous sommes plusieurs fois heurtés à la même déconvenue. Ce problème se répète de voyage en voyage. Heureusement, il reste quelques établissements serviables pendant que la majorité subsiste sans réelle raison d’être.
La pluie se calme et nous repartons. Dès que le chemin s’élève, je distance Lionel. Autant il a mal aux jambes, autant je pourrais rouler beaucoup plus vite. Je n’ai qu’une envie, accélérer alors que la pluie reprend. Par une petite route, nous rejoignons La Boissière, puis une piste nous amène à l’ancienne mine à ciel ouvert transformée en lac artificiel. Nous suivons une voie ferrée désaffectée, franchissons ponts et tunnel sous une pluie intense avant de plonger sur Aniane, où nous nous jetons dans le premier restaurant venu.
Les prévisions météo sont plutôt optimistes. La pluie devrait cesser vers 13 h, et même le soleil apparaître vers 14 h. Quand nous repartons, le ventre rempli, mais pas de trop, il ne pleut plus. À travers les vignes et les champs d’oliviers, nous rejoignons la trace de la GTH, où je fais aussi passer le i727. Elle nous conduit par un beau chemin jusqu’au pont du Diable, par lequel nous sautons au-dessus des gorges de l’Hérault.
Pas question de nous arrêter à la plage pour un bain, le temps n’est pas encore favorable. Mon Garmin en profite pour planter, disons par cesser d’interpréter la trace correctement, pendant que le Wahoo de Lionnel, lui, continue à la rendre à la perfection. Nous entrons dans l’agréable village de Saint-Jean-de-Fos où se tient un marché de potiers. Nous achetons à la boulangerie de quoi tenir jusqu’au soir.
Quand nous sortons de la boutique, où j’ai craqué pour un Malakoff original, mais qui ne me procure aucun effet proustien, le soleil fait son apparition. Nous gagnons dix degrés en quelques minutes, alors que nous attaquons la grosse difficulté de la journée. Nous contournons Saint-Guillem-le-Désert par une piste magnifique, qui nous fait tantôt découvrir la plaine de l’Hérault, avec ses villages, puis le mont Saint-Baudille qui se dresse fièrement au-dessus de nous.
C’est juste sublime. Un must do. Mais Lionel piétine. Nous grimpons jusqu’au col de la Croix de Fer, entrons dans la forêt domaniale de Saint-Guilhem-le-Désert, avant de replonger vers la combe D’anoud, qui nous conduit par des paysages changeants, à travers les pinèdes puis des bois de chênes vers le col des Lavagnes. Nous voilà au flanc de la Séranne, dans un paysage plus âpre, qui nous dirige vers le point culminant de notre périple.
Lionel n’avance plus. Je commence à me dire qu’il n’est pas raisonnable de pousser jusqu’au Salagou et d’enchaîner le lendemain une journée presque aussi dure. Ce ne sera pas du plaisir pour lui. Bientôt je le perds de vue. J’ai beau grimper le plus lentement possible, je le distance. Quand je m’arrête, j’ai vite froid, car un vent du nord revigorant s’est levé. Je décide de poursuivre jusqu’au sommet et de m’abriter dans le renfoncement de la porte du gigantesque centre de communication qui le chapeaute.
La vue est à couper le souffle, l’une des plus belles de l’Hérault. Sète flotte à l’horizon. Je découvre avec toujours le même plaisir les détails de ma région. Je devine les massifs où j’aime rouler. Mais Lionel ne s’arrête pas. Nous attaquons la descente par la route, avec une vue sur le Larzac clôturée par le massif de l’Aigoual, à l’ouest nous apercevons le Salagou, le Haut Languedoc et la montagne Noire. Quand nous rejoignons la piste menant au lac, nous ne sommes qu’à 20 km de notre objectif du jour, mais décidons plutôt de rentrer chez moi par la route. Cette décision rassure Lionel, même si le retour, malgré le vent de dos ne sera que douleurs pour lui. Nous terminons notre répriple après 138 km et 2 280 m de dénivelé, donc 80 km de chemins et singles.
Notre projet de nuit dehors a capoté, mais reste la trace que j’ai concoctée, et qui je crois mérite le détour. J’ai rassemblé quelques variantes plus ou moins longues sur une carte, à faire en deux ou trois jours, suivant la forme et les conditions. À l’occasion, si vous êtes de passage dans le coin, on se fera cette boucle.