Dimanche 1er, Balaruc

Je ne suis pas un adepte des bonnes résolutions. Je continue ma vie comme si elle était sur la bonne voie, même quand elle déraille. Je ne change pas d’habitude sous l’effet d’une date, mais d’évènements intimes, comme quand j’ai déconnecté d’Internet. En 2023, je ne compte rien changer, sauf que je changerai sans que ma volonté ait un quelconque rôle à jouer.

Blanchot au sujet du journal intime : « Le calendrier est son démon, l’inspirateur, le compositeur, le provocateur et le gardien. » Ainsi je n’aurais pas évoqué des bonnes résolutions si nous n’étions pas le premier janvier. En même temps, toutes les œuvres dépendent du calendrier : ce que nous vivons influence ce que nous écrivons.


Je suis un flot. Je peux parler avec passion de ce qui me préoccupe sur le moment, ou sur une période, le vélo depuis quelques années, ou tel ou tel auteur que je suis en train de lire, puis je passe à autre chose et les mots pour dire mes passions anciennes s’étiolent. Je ne peux pas apparaître comme un homme de culture, puisque mon intervalle de connaissance est en translation constante, tout en recouvrant celui qui précède. Je suis une fusée qui ne cesse de perdre des étages.

Lundi 2, Balaruc

Blanchot a une conception lacunaire du journal, assez trouble, car j’ai toujours autant de mal à le comprendre, même si je le lis un peu tous les jours, mais très peu, parce que naviguer dans ces eaux troubles m’épuise. Il semble dire que le romancier quitte la succession des jours, régulière, prévisible, normée, pour entrer dans un monde régi par le hasard. Pourtant dans ce carnet, j’écris ce que le hasard me dicte. Telle phrase obscure découverte par hasard chez Blanchot entraîne une entrée dans mon journal, ou tel lever de soleil rose, parce qu’il n’a rien de commun avec celui de la veille et qu’il suscite en moi l’admiration. Mon journal n’est qu’une accumulation de hasards heureux ou malheureux, sans quoi je n’ai pas besoin d’écrire et tenter de comprendre ce qui me traverse.

Dans les romans, dit Blanchot, « les sentiments s’orientent vers leur centre de gravité où est leur vraie place qu’ils occupent tout entière en chassant le mouvement des heures, en dissipant le monde et, avec le monde, le pouvoir de les vivre : loin de s’alléger l’un par l’autre dans un équilibre qui les rendrait supportables, ils tombent ensemble vers l’espace du récit, espace qui est aussi celui de la passion et de la nuit où ils ne peuvent être ni atteints ni dépassés ni trahis ni oubliés. »

Certes, un texte « littéraire » est tourné vers son centre, mais mon journal ne fait pas autrement : son centre, c’est moi-même. Selon Blanchot, l’auteur doit disparaître dans l’œuvre, s’y perdre, alors que dans le journal, dont le seul intérêt serait l’insignifiance, il y resterait tout entier, pour se consoler du temps qui passe et se soulager de la difficulté d’écrire une œuvre. « Ainsi l’on se garde de l’oubli et du désespoir de n’avoir rien à dire. »

Opposé à l’idée d’œuvre en soi, je refuse cette idée de l’oubli de l’auteur dans l’œuvre, qui selon moi n’est jamais indépendante de l’auteur et ne peut être comprise qu’en le comprenant lui. Ainsi le journal n’est pas moins œuvre qu’une autre œuvre. J’y partage les mêmes obsessions, à cela prêt que j’ai le fantasme d’achever mes autres textes avant d’en commencer d’autres, ce qui n’est guère possible avec ma vie. C’est une gigantesque différence, mais pas au point où la voit Blanchot. Le roman, écrit ou lu, me permet d’avoir plusieurs vies, qui d’une certaine façon se retrouvent toutes dans le journal.

Et par hasard, je tombe sur cet article : « ‘Each of us constructs and lives a “narrative”,’ wrote the British neurologist Oliver Sacks, ‘this narrative is us’. Likewise the American cognitive psychologist Jerome Bruner: ‘Self is a perpetually rewritten story.’ And: ‘In the end, we become the autobiographical narratives by which we “tell about” our lives.’ Or a fellow American psychologist, Dan P McAdams: ‘We are all storytellers, and we are the stories we tell.’ And here’s the American moral philosopher J David Velleman: ‘We invent ourselves… but we really are the characters we invent.’ And, for good measure, another American philosopher, Daniel Dennett: ‘we are all virtuoso novelists, who find ourselves engaged in all sorts of behavior… and we always put the best “faces” on it we can. We try to make all of our material cohere into a single good story. And that story is our autobiography. The chief fictional character at the centre of that autobiography is one’s self.’ »

Mais l’auteur s’oppose à cette conception narrative de l’existence et en déduit qu’il existe des personnes narratives et d’autres non-narratives. Mon père était à coup sûr un narratif, moi je suis davantage du côté de Pessoa, à me réveiller tous les matins autre, et peut-être que je pratique le journal matinal pour découvrir qui je suis aujourd’hui ou pour donner une unité à ma vie qu’elle n’a pas, ce qui en soi serait un projet narratif.


Une théorie qui serait de Paul Ricœur : pour rendre le temps vécu, nous n’aurions pas d’autre méthode que la narration. Pourtant quand je vois un champ, je perçois le temps vécu pour le cultiver. Sensation beaucoup plus vivre quand je me promène dans un jardin, ou dans un musée, ou dans une ville. Les œuvres disent autant qu’une narration sans être nécessairement narratives.


Il faudrait écrire son autobiographie assez tôt dans la vie parce que comme toute narration elle influence la vie elle-même. Se raconter, c’est devenir celui qui est raconté. Je n’en finis pas de retravailler Le roman de mon père.

Mardi 3, Balaruc

Je pense à Motel Valparaiso de Philippe Castelneau, lu il y a presque un an. Il m’en reste un lieu, une ville imaginaire, Sonora, le personnage de l’écrivain en devenir qui peu à peu s’enlise a disparu. Philippe a créé un lieu, le reste s’est effacé. Si je repense à un autre roman d’un ami, Le rire d’Olga de Lilian Bathelot, lu il y a beaucoup plus longtemps, il me reste Olga, sa vitalité insolente et dévastatrice, et aucun lieu. Les auteurs seraient fort pour marquer d’une empreinte géographique, psychologique, olfactive… mais peut-être jamais toutes à la fois. Je ne sais si moi-même je suis fort pour quelque chose. J’en arrive à oublier mes propres livres comme la plupart des livres, parce que des auteurs sont juste forts pour nous faire passer le temps, et je n’ai même pas ce don.

Mercredi 4, Balaruc

Comme l’écrit Annie Ernaux dans Mémoire de fille, Blanchot n’a pas une haute estime du journal. Il écrit : « Il y a, dans le journal, comme l’heureuse compensation, l’une par l’autre, d’une double nullité. Celui qui ne fait rien de sa vie, écrit qu’il ne fait rien, et voilà tout de même quelque chose de fait. Celui qui se laisse détourner d’écrire par les futilités de la journée, se retourne sur ces riens pour les raconter, les dénoncer ou s’y complaire, et voilà une journée remplie. C’est « la méditation du zéro sur lui-même », dont parle vaillamment Amiel. »

Suis-je en train de parler de ma vie ? De raconter ma nuit chahutée ? De dire que notre chatte m’agace en me poussant à me lever pour que je lui ouvre la porte de la cuisine ? Non, je parle de littérature, de ce qui me nourrit au plus haut point et je me garde de transformer ce journal en un relevé quotidien de mes faits et gestes. Il existe autant de sortes de journal que d’écrivain. À croire que Blanchot est passé à côté de celui de Gombrowicz.

Mais oui, parfois écrire quelques lignes dans mon journal me donne la petite satisfaction d’avoir accompli quelque chose dans la journée, mais ni plus ni moins que quand j’écris quelques pages d’un livre, ou que quand je fais du vélo avec les copains, ou prépare un plat de lasagne pour la famille. Il n’y a ni petites ni grandes satisfactions parce que j’essaie d’être moi-même jusque dans mes moments de désespoir. Blanchot semble ignorer cette facette de la vie. Cet idéaliste n’aspire qu’à la mise en orbite littéraire. Un fantasme.

Blanchot parle de « l’exigence sans limite de l’art », mais cet homme est complètement con, je n’ai pas d’autre mot. Je crois que je le lis par masochisme. Quelle puanteur que placer l’art au-dessus de tout comme d’y placer la religion ou je ne sais quoi. La tentation hiérachisante me répugne et dit des caractères que je déteste. Place-t-il l’art au-dessus du droit des enfants ? Ça n’a aucun sens. L’art est une facette de la vie, à laquelle je consacre beaucoup de temps, mais c’est une facette, et rien n’empêche de vivre une vie pleine et épanouie sans être un esthète.

La vie est une œuvre cubiste. L’art est un nez tordu entre deux yeux. Il ne vaut ni moins ni plus qu’eux, ou que la bouche, les oreilles, les cheveux. Je ne suis pas moins vivant quand je fais du vélo que quand je lis ou que j’écris, et même je me sens bien souvent plus vivant, surtout quand je suis avec des amis. L’art n’a aucun sens sans les facettes autour de lui qui le reflètent et qu’il reflète.

J’en reste là de cette discussion, parce que j’arrête à ce point ma lecture de Blanchot, pour ne pas transformer cette entrée en analyse critique de sa pensée. J’y reviendrai demain, dans un autre état d’esprit. J’ai un roman dont je veux boucler le troisième jet et je pressens une journée lumineuse qui va me jeter sur les chemins.


Étrange de voir les Pyrénées pratiquement sans neige en cette saison. Il va falloir s’y habituer.

Pyrénées
Pyrénées
Gardiole
Gardiole
Gardiole
Gardiole
Gardiole
Gardiole

Jeudi 5, Balaruc

Inutile de se raconter si ce travail sur nous-mêmes ne nous transforme pas (le lecteur lui-même n’aura aucune chance d’être transformé). Toute histoire est celle d’une transformation. La recherche est un parfait exemple : la transformation d’un enfant en adulte et en écrivain. Coup de génie parce que tout livre n’existe que parce qu’un enfant est devenu adulte puis écrivain. La recherche parle de création, ou de récréation du temps perdu pour en faire de l’art.

Vendredi 6, Balaruc

Je lis le texte de Blanchot contre le journal au moment même où je découvre des textes sur l’importance de l’écriture de soi. Hier soir, je reçois la newsletter de NewsScientist. Son titre : The power of your self-narrative. Chapeau de l’article : « The story you tell about yourself, known as your narrative identity, has a big influence on your well-being and ability to achieve personal goals. Here’s how to harness it to your advantage. » Et si tenir un journal était une façon d’atteindre son but, et si lire les journaux des autres était une façon d’atteindre aussi ses propres buts en se nourrissant de leurs expériences ? Je me demande même si nos lectures comme notre relation à l’art n’ont pas un but édifiant. Nous sommes constamment en train de nous construire. Cesser de le faire, c’est mourir.

Blanchot : « Ce qu’il y a de singulier dans cette forme hybride, apparemment si facile, si complaisante et, parfois, si déplaisante par l’agréable rumination de soi-même qu’elle entretient (comme s’il y avait le moindre intérêt à penser à soi, à se tourner vers soi), c’est qu’elle est un piège. On écrit pour sauver les jours, mais on confie son salut à l’écriture qui altère le jour. On écrit pour se sauver de la stérilité, mais on devient Amiel qui, se retournant vers les quatorze mille pages où sa vie s’est dissoute, y reconnaît ce qui l’a ruiné « artistiquement et scientifiquement » par « une paresse occupée et un fantôme d’activité intellectuelle ». »

Amiel avait un usage pathologique du journal, et prendre son exemple pour discuter de l’intérêt littéraire du journal est pour le moins inintéressant. C’est comme parler de littérature en ne discutant que de livres sans intérêt. Blanchot est de mauvaise foi, même si bien sûr il entrevoit certains des mécanismes à l’œuvre dans la pratique du journal (« l’écriture qui altère le jour »). Il ne comprend pas, par exemple, que Virginia Woolf n’aurait jamais écrit ses grands romans sans son journal, parce qu’elle est devenue écrivaine par le journal. Elle s’y est fabriqué une identité littéraire et n’a cessé de la renforcer.

NewScientist : « Everyone knows what makes a good story. Our hero starts their journey as a flawed but relatable being with a personal goal. In scene after scene, they face challenges and setbacks that push them down new paths. By the end of the tale, they have prevailed and become a better person in the process. » Je suis le héros de mon journal, ni plus ni moins. Comme tous les héros, j’espère devenir une « meilleure personne » (à chacun de définir ce que cela veut dire). Ce projet s’est imposé à moi tôt dans ma pratique du journal : en faire un lieu d’édification de moi-même, et éventuellement de mes lecteurs.

Blanchot ne voit pas l’intérêt de penser à soi, de se tourner vers soi, mais les scientifiques découvrent que se raconter est une façon d’accroître sa volonté. Parce que je tiens un journal, j’ai persisté dans l’écriture. Je me suis armé de volonté tout en renforçant ma carapace contre la critique, pour marcher vers ce qui me semblait mon souverain bien. Peut-être que si mes premiers romans avaient été publiés, si j’avais atteint ce but de pacotille tôt dans ma vie, je n’aurais pas intensifié ma pratique du journal. J’avais besoin d’un lieu pour être celui que je voulais être, pour me transformer en cet être.

Blanchot voit la pratique du journal comme une paresse intellectuelle, et moi je vois ses propres textes, abandonnés à des envolées brumeuses, comme une autre forme de paresse. La paresse, en littérature, c’est écrire en s’illusionnant de la qualité de ce que nous écrivons. La paresse, c’est refuser de couper, de tailler, de recommencer. Le journal lui aussi peut être coupé, édité, retravaillé. Gombrowicz nous l’a montré. La solution : le publier avec régularité. Cette pratique a changé la nature du mien, l’a préservé de la plupart des maux évoqués par Blanchot.

Dimanche 7, Balaruc

Blanchot : « les abords d’un secret sont plus secrets que lui-même », qui résume son idée selon laquelle le journal d’une œuvre serait impossible, alors que nous avons bien des exemples de textes accompagnant des œuvres, la correspondance de Flaubert, par exemple.

Blanchot s’emprisonne lui-même. Il fait de l’art, de sa source, de sa fabrique un mystère, et de fait tout ce qui tente d’éclaircir ce mystère est voué à l’échec, ou devient mystère à son tour. On voit comment une théorie emprisonne le penseur, l’enferme dans une cellule dorée.

Dans un de mes tout premiers livres, j’ai essayé d’écrire le journal du roman que j’étais en train d’écrire. De faire de ce journal le livre lui-même. C’était une façon d’apprendre, aussi de tenter de comprendre le processus créatif, qui n’est pas plus mystère qu’autre chose, mais un sujet d’étude parmi d’autres.


Les créateurs qui ont peur des IA ne sont que des marchands. Créer, ce n’est pas produire, mais entrer dans un processus intense et renversant, qui ne conduit pas nécessairement à une œuvre, qui le plus souvent se limite à des ébauches informes, ou même seulement à des rêves. Je me contrefiche que les IA puissent imiter les artistes puisque ce qui m’intéresse c’est l’expérience artistique et non les œuvres en elles-mêmes.

Lundi 8, Balaruc

Un ami me conseille Les Étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese. Je commence à le lire et le premier paragraphe m’insupporte. Cinq phrases construites exactement de la même façon. « Il fait ça ET fait ça. » Le « et » peut être utilisé pour donner du rythme, créer un effet, ou pour accrocher maladroitement les wagons faute d’imagination. C’est le cas dans ce texte, et malheureusement dans la suite.

ça se répète
ça se répète

J’ai voulu savoir ce qu’il en était dans la version anglaise. Les « and » sont beaucoup plus nombreux, et cette fois n’ont pas été saupoudrés, mais multipliés à dessein, et ça marche. La traductrice s’est pris les pieds dans le tapis. Je lirai la VO.

AND and AND
AND and AND

ChatGPT fait presque mieux : « Il a fait sortir la vieille jument de l’enclos et l’a conduite vers la porte qui donnait sur le champ. Il y avait de la gelée blanche de la veille et ils laissaient des traces derrière eux. Il a enroulé la corde autour de la barre du milieu de la clôture et s’est tourné pour retourner à l’écurie chercher la couverture et la selle. Les traces ressemblaient à des taches d’encre dans la fonte qui suintait, et il est resté un moment à essayer d’imaginer les scènes qu’elles contenaient. Il n’était pas très rêveur, bien qu’il aimât s’y essayer de temps en temps. Mais il ne pouvait voir que l’herbe flasque et la boue du champ et il a secoué la tête devant la folie et traversé l’enclos et a marché à grands pas dans la gueule noire et ouverte de la porte de l’écurie. »

Mardi 9, Balaruc

Exploration à vélo du Minervois, puis petite boucle autour de Vendres. Comme si nous avions encore besoin d’une preuve, nous nous disons qu’il y a vraiment quelque chose de détraqué dans le climat : nos compteurs indiquent 19°, d’une certaine façon rien d’extraordinaire dans le Midi en hiver, mais ces journées ne cessent de se répéter, c’est cela l’extraordinaire.

Mercredi 10, Balaruc

En tant qu’auteur, on peut se laisser griser par ses propres textes, se laisser emporter par une musique qu’on se raconte, la musique du moment passé à écrire, et on perd tout recul. Je tente d’échapper à ce piège en torturant mes textes, les lisant dans une grande variété de mise en page, pour que les mots me paraissent ordonnés différemment, de façon à imposer un rythme différent pour que les verrues apparaissent. François Bourin m’avait suggéré de lire mes livres à l’envers de la dernière à la première phrase, pour les peser une à une par elle-même. Le correcteur Antidote a la même fonction, puisqu’il peut mettre en évidence les structures syntaxiques comme les répétitions. Quand je lis mes textes avec des mots stabilotés, je lis des textes écrits par un autre, et je m’en éloigne, et j’ai moins de scrupule à les détricoter.

Bize
Bize
Bize
Bize

Jeudi 11, Balaruc

Bataille : « Mon livre fini, j’en vois les côtés haïssables, son insuffisance, et pire, en moi, le souci de suffisance que j’y ai mêlé, que j’y mêle encore, et dont je hais en même temps l’impuissance et une partie de l’intention. »


Beaucoup d’écrivains pensent la littérature comme un produit répondant à une fonction auprès des lecteurs et leur apportant certaines satisfactions, du réconfort, des émotions superficielles, comme un instant oublier les chagrins quotidiens pour entrer dans une autre existence, ce qui impose de suivre des protocoles et des procédures quasi industrielles, qui bientôt façonnent les lecteurs, les rendent incapables de lire autre chose que les textes sur les paquets de lessives qui lavent plus blanc que blanc. Cette approche conduit souvent à négliger le style, et ces écrivains écrivent désagréablement, toujours les mêmes textes, déjà lus, épouvantablement ennuyeux parce qu’ils racontent de manière convenue des histoires convenues.


Non, c’est non. Il y a quelques semaines, la TV belge m’a invité à Bruxelles pour participer à un plateau sur la déconnexion. Même si je répugne à me répéter à ce sujet, j’ai accepté, parce que la journaliste était sympa, même si elle n’avait ni lu mon livre ni mes articles sur le sujet, ce qui aurait dû être rédhibitoire. Nous avons longuement parlé de mon expérience pour qu’elle prépare son émission, puis il est venu le temps de discuter de mon déplacement. J’ai dit que je venais si on me payait le train depuis Sète via Paris, ce qui me faisait économiser un trajet pour passer du temps avec Tim. On se met d’accord, je lui donne mes horaires, puis je reçois un mail avec un tableau Excel où je dois déclarer mes frais.

J’ai explosé. Ma déconnexion participait d’un mouvement vers une forme de minimalisme et de davantage de simplicité dans ma vie. Là, on me demandait d’avancer les frais, de tout gérer moi-même, tout ça pour rendre service. On ne m’a pas offert une nuit d’hôtel à Bruxelles, qui m’aurait permis de voir des copains, de me promener dans la ville. On m’a traité comme un consultant à qui on faisait une fleur en l’invitant. Mais rien à ficher de passer à la TV pour un livre publié il y a 11 ans. En gros, on me demandait de travailler gratuitement, de payer par avance, tout ça pour être éventuellement remboursé. J’ai mis fin à l’affaire. Je préfère payer de ma poche mes billets pour Paris et ne pas entrer dans des transactions foireuses. Quand la journaliste m’a dit qu’ils pouvaient changer de méthode, je leur ai dit qu’il était trop tard. Faut arrêter de prendre les gens pour des cons.

Vendredi 12, Balaruc

Ça me trotte dans la tête depuis quelque temps. Une date décisive approche. Je vais cesser de payer un hébergement dédié et basculer mon site en statique. Cela ne changera pas grand-chose pour mes lecteurs, mais la mécanique sera radicalement différente. Plus de bases de données en ligne, plus la nécessité de générer les pages à la demande. J’aspire au minimalisme numérique et incidemment à ce que mon site nécessite moins d’énergie, tout en étant plus robuste face aux évolutions technologiques. Un pas vers la sobriété ainsi qu’une sorte de patrimonialisation. Je n’ai commencé le bricolage que ce matin.

Matin
Matin

Lundi 16, Balaruc

Maguelone
Maguelone

Mardi 17, Balaruc

Matin
Matin

Mercredi 18, Balaruc

Matin
Matin
Grande-Motte
Grande-Motte
Les Pyramides
Les Pyramides
Grau-du-Roi
Grau-du-Roi
Dragueuse
Dragueuse

Vendredi 20, Balaruc

J’ai été avalé par le codage, avec ChatGPT comme extraordinaire assistante (oui, c’est une femme, ma nouvelle copine). J’étais bloqué, elle m’a proposé une instruction miracle, qui m’a débloqué et rendu la conversion de mon blog en statique d’une simplicité biblique. Mais pour autant, la procédure est loin d’être simple. Je tenterai de la raconter une fois le travail terminé.

Neige
Neige
Neige
Neige
Neige
Neige
Neige
Neige

Samedi 21, TGV

Petit déjeuner avec Isa. Elle me dit qu’elle a perdu son permis de conduire. Moi, je ne le prends jamais avec moi. J’ai un scan dans le cloud. Ce n’est pas très légal, puisque les papiers sont encore exigés en cas de contrôle, mais je remarque que depuis bien longtemps les forces de l’ordre interrogent leur base de données lors des contrôles. C’était déjà le cas en 1986. À Montpellier, nous avions organisé un jeu de rôle en grandeur nature et les joueurs avaient demandé à la police de les aider à retrouver une voiture dont ils avaient la plaque d’immatriculation. Les policiers ont joué le jeu. Ils ont dit que la voiture m’appartenait et ils ont donné mon adresse. Isa me dit qu’aujourd’hui les policiers auraient été moins coopératifs. Sans doute. Ils auraient pu te téléphoner, me dit-elle, oubliant qu’en 1986 nous n’avions pas de téléphone portable. C’était un autre monde, une autre civilisation. Mais ils auraient pu téléphoner à ton appartement, dit Isa. Je n’avais pas le téléphone. Tu n’avais pas le téléphone ? Ben non, à quoi bon, je n’en avais aucun usage. Mais comment tu faisais pour retrouver tes copains ? J’allais au café. S’il n’y avait personne, j’attendais en jouant au flipper ou en bouquinant. Si personne ne passait, ce qui était rare, je repartais. C’était une autre vie. J’ai pris conscience que cette vie me manquait. Qu’il faudrait parler de tout ce qui a radicalement changé à cause de la technologie. Ne serait-ce que cette façon de vivre les amitiés autour du café.

Mercredi 25, Paris

Quand je code avec l’aide de ChatGPT, j’entends la voix de HAL dans 2001. « Dave… » Impossible de chasser cette impression, d’autant qu’il m’a trouvé des astuces auxquelles je n’aurais jamais pensées. Plus je l’interroge, plus je deviens Dave.

Jeudi 26, Paris

Je m’arrache au codage qui a consumé ma semaine parisienne pour assister à une conférence chez Christie’s, à l’initiative d’une amie. La restitution des œuvres confisquées par les nazis. Je me sens tout de suite mal parmi l’audience, les invités pour la plupart excessivement apprêtés, dans un décor d’un luxe choquant. C’est tout à coup comme si notre mode de vie n’avait rien d’anormalement dispendieux, comme si je replongeais au début des années 1990 quand j’étais journaliste et sautais de palace en palace. Je n’ai plus rien à faire là.

Le monde de l’art serait-il inauthentique ? Et tout me semble faux, jusqu’à l’artiste de la tablée qui depuis sa jeunesse se veut léger et drôle. C’est terrible ce que les nazis ont fait. Nous avons un devoir de mémoire. Mais bientôt il n’est plus question que d’argent. Jusqu’à ce qu’un collectionneur se dresse et demande ce qu’il doit faire puisque son Modigliani, L’homme assis, aurait été spolié. Mais lui l’a acheté chez Christie’s, comme des centaines d’autres tableaux. Quelle honte. Un multimillionnaire qui se plaint au sujet d’un investissement douteux. C’est trop, je m’enfuis, sans avoir eu l’occasion d’embrasser mon amie.

Vendredi 27, Paris

Enfin, j’ai basculé mon blog de mon serveur OVH à un hébergement statique, après des souffrances et des complications surréalistes. Reste encore des procédures à optimiser, mais une nouvelle époque de ma vie en ligne commence, qui je l’espère sera mieux en accord avec mes valeurs.

Nuit
Nuit
Nuit
Nuit
Nuit
Nuit
Nuit
Nuit

Lundi 30, TGV

Un ami cycliste que je crois sincère, intelligent, fait la promo d’un gars qui s’en va en Afrique pour battre le record de vitesse en descente VTT. Je me hasarde à une remarque lapidaire : « Toujours plus con… » et mon ami me répond « À chacun sa passion… ». Mais oui, bien sûr, continuons à vivre nos passions délirantes et le monde s’en portera mieux. Mon ami, qui par ailleurs mange bio et tout le reste, a refusé de discuter. Black out intellectuel.

Tout déraille. Les sportifs, les vedettes, les politiques… dépensent des dizaines de fois ce qui est alloué à chacun de nous par an pour tenir les objectifs de l’accord de Paris. Pourquoi auraient-ils ce privilège ? Ce n’est tout simplement pas acceptable. Cela ne pousse personne à la sobriété. Encore une raison d’être pessimiste.

Mardi 31, Balaruc

Pic Saint Loup
Pic Saint Loup