Pour prolonger une habitude, un réflexe, une névrose.
Pour ne pas affronter le vide et le silence.
Pour me persuader que je ne suis pas seul puisque des lecteurs existent.
Pour me sentir bien.
Pour entendre ma musique.
Pour voir surgir un monde.
Pour voir le monde.
Pour me comprendre.
Pour comprendre les autres.
Pour ne pas penser à l’ignominie.
Pour dénoncer l’ignoble.
Pour exister.
Pour créer (parce que créer me procure du plaisir).
Pour être lu (parce que je suis faible et que j’ai besoin de quelques récompenses de temps à autre).
Pour défendre ma philosophie.
Pour être philosophe.
Pour m’engager politiquement (ou tenter de le faire avec mes armes).
Pour crier ma rage (ce qui n’est jamais bon).
Pour contrôler ma rage (ce qui est mieux).
Pour m’apitoyer sur mon sort (ce qui est pitoyable).
Pour prendre du recul (j’en manque souvent).
Pour réguler mes pulsions (souvent assassines).
Pour gagner de l’argent (ce qui ne s’est pas produit depuis longtemps, et donc n’est plus une motivation).
Pour connaître le succès (qui s’éloigne de plus en plus en même temps que les années passent).
Pour rencontrer des lecteurs, interagir avec eux, pour que leurs intelligences augmentent la mienne et avec eux refaire le monde.
Pour appartenir à une communauté.
Pour me faire des amis, et finir par me faire des ennemis.
Pour donner mon avis (même si j’en change souvent jusqu’à me contredire).
Pour débattre, argumenter, sentir mon cerveau bouillonner.
Pour la postérité, pour dire « J’ai vécu ».
Pour m’écrire à moi-même et ne pas oublier.
Pour divertir (même s’il faut être masochisme pour goûter mes divertissements).
Pour fabriquer de la beauté (parce que je crois à la beauté, j’y crois parce que j’en vois partout).
Pour donner à lire (parce que j’aime lire).
Pour le bleu du ciel et de la mer, pour les silhouettes des montagnes et l’odeur des forêts, pour les corps qui se croisent et se frôlent.
Pour mettre en scène ma vie (parce que toute histoire est une autofiction).
Pour ne pas me répéter (parce que chaque nouveau livre est mon premier livre).
Pour me désorienter autant que désorienter.
Pour ouvrir des possibles, entrevoir des infinis.
Pour devenir magicien (les mots étant la matière des sortilèges).
Pour me sentir plus intelligent (parce que quand les mots jaillissent sous mes doigts j’ai cette impression, jamais quand je parle, surtout en société où je me sens stupide).
Pour outrepasser ma timidité congénitale.
Pour avancer dans le chemin de la vie.
Pour faire mentir mes professeurs de français.
Pour continuer à contrarier mon père, même après sa mort.
Pour payer ma dette à mes illustres et plus obscurs prédécesseurs.
Pour qu’aucune journée ne ressemble à une autre.
Pour m’enthousiasmer (au moins lors des premières lignes d’un texte, avant qu’il ne me dégoûte à force de trop les retravailler).
Pour être aujourd’hui (et tenter de me maintenir sur le fil du présent).
Pour ne pas subir la vie.
Pour ma propre édification.
Pour apprendre à écrire (pour apprendre tout court).
Pour gravir la montagne.
Pour partager.
Pour me travailler, me modeler, me transformer.
Pour me surprendre.
Pour discuter avec mon éditeur parce que parfois j’ai l’impression qu’il me connaît mieux que quiconque.
Pour continuer à chercher ce que je ne trouverais jamais tout en étant certain de son existence.
Pour dire et redire que vivre m’enchante.
Pour dépasser la littérature, la nier, la contredire, la salir, la ramener à une activité quotidienne, une respiration, une gymnastique ordinaire.
Pour me prouver que je ne suis pas de l’avis majoritaire.
Pour banaliser l’écriture.
Pour me demander pourquoi j’écris.
Pour ne pas me détester quand je n’écris pas.
Pour me trouver de nouvelles raisons de le faire.
Pour que cette liste n’ait pas de fin.