Au retour des États-Unis en 2019, je me suis étonné du prix prohibitif de certaines épreuves bikepacking françaises et je me suis attiré l’opprobre de certains organisateurs français (et certains de leurs bouledogues). Maintenant qu’à mon tour j’organise les 727, i727 et g727, c’est l’occasion d’un peu de transparence.
Depuis que nous sommes plus de quelques copains à rouler ces traces, je suis toujours passé par une association pour assurer la randonnée, ce qui a impliqué une participation d’une quinzaine d’euros pour chacun de nous.
Je n’ai pas pris cette décision de gaîté de cœur, elle m’a été imposée par les assureurs, très forts pour alimenter leur business. En cas d’accident, l’assurance responsabilité civile de l’accidenté peut se retourner contre moi l’organisateur ou contre les autres participants, tant bien même l’évènement n’a rien d’officiel. J’ai alors découvert qu’il fallait s’assurer contre les assureurs, même si aucune obligation légale ne nous impose de nous assurer tant que nous rassemblons moins de cent cyclistes et que l’épreuve n’est pas chronométrée (voir le PS pour plus de détails).
Les assureurs ont pour spécialité de chercher à faire porter le chapeau aux autres. Dès qu’on organise une sortie avec plus de quelques participants, même informelle, même entre copains, on prend des risques. Et vu la longueur des 727, j’ai dû me protéger et protéger les participants. Comme l’association par laquelle je suis initialement passé a été dissoute et que, dans le même temps, de plus en plus de bikepackers ont souhaité participer aux grands départs, je me suis retrouvé face à un dilemme.
Première possibilité, faire du 727 seulement une trace ITT (Individual Time Trial), à rouler entre copains, peu importe quand. Ce choix était tentant pour moi qui n’apprécie pas les foules, mais, d’un autre côté, j’ai fait de belles rencontres sur les 727 précédents et je trouvais dommage de ne plus partir avec des inconnus (ce qui ne nous aurait pas dispensés d’une assurance entre copains). J’ai donc conservé l’idée de grands départs, avec l’obligation de me blinder côté assurance.
J’ai choisi de m’associer à l’ECP, un club près de chez moi dont je connais plusieurs membres et dont j’ai moi-même été membre. C’était aussi l’opportunité d’un peu moins d’amateurisme. Jusque là, je transformais ma maison en dortoir la veille du départ et le soir je préparais des pâtes, ce qui devenait de plus en plus ingérable.
De son côté, l’ECP a négocié avec la mairie de Poussan un parking gratuit pour les véhicules, une salle pour l’hébergement la veille du départ, une douche chaude dans les vestiaires du stade à l’arrivée. Pour plus de convivialité, nous avons organisé un repas optionnel la veille du départ, un petit déjeuner le jour du départ, un pot à l’arrivée. J’ai tout de suite dit que je le tarif ne devait pas dépasser 25 €, ce qui restait selon moi plus qu’acceptable comparé aux évènements bikepacking longue distance dont les tarifs sont parfois dix fois supérieurs.
Voici le bilan financier du 727 2023, dont le grand départ a été donné le premier avril.
Ces chiffres démontrent qu’il est possible d’organiser des épreuves de qualité sans faire payer des fortunes tout en s’y retrouvant. La marge générée financera les factures d’essence quand nous irons faire les reconnaissances sur le 727 gravel du 23 septembre 2023 qui sera organisé exactement dans les mêmes conditions.
Pourquoi 25 € et pas 150 € ?
- Je suis un défenseur des biens communs. Je milite pour que leur juridiction s’élargisse plutôt qu’elle se rétrécisse. Par exemple, j’ai distribué librement certains de mes livres, notamment Le geste qui sauve, qui lui-même parle du gel hydroalcoolique dont les formulations et les protocoles d’usage ont été versés au compte des biens communs. Je n’ai rien contre la propriété privée, mais les biens communs ont pour vertu de souder nos sociétés. Le tissu des chemins forme ainsi un canevas social à préserver et à développer. Je promeus le bikepacking notamment dans cette optique.
- Les chemins ne m’appartiennent pas, pas plus qu’ils n’appartiennent à l’ECP. Comme la plupart des chemins français, ils empruntent des terrains privés, que les propriétaires nous laissent gracieusement emprunter. Il me paraîtrait déplacé de vous faire payer pour que vous rouliez chez eux sans que je les rétribue. De même, il me paraîtrait légitime que dans ce cas ils me demandent de les rétribuer puisque je me ferais de l’argent sur leur dos. Sinon, excédés, ils pourraient nous interdire le passage. J’ai envie que les terres privées restent aussi ouvertes que possible. Une trace ne peut pas être un business.
- Je n’ai rien contre le luxe, mais je m’inquiète quand l’industrie du luxe risque de mettre en danger un bien commun. Je suis un brin anarchiste, mais je sais aussi que ma liberté s’arrête où commence celle des autres. Donc fixer un tarif excessif pour une épreuve de bikepacking n’est pas sans conséquence. Que l’hébergement soit luxueux ou la restauration trois étoiles pourquoi pas, mais que l’accès à la trace soit confondu dans ce package me pose problème. Selon moi, la trace doit rester comme les chemins une ressource du domaine public, elle-même construite par couper-coller à partir de traces publiques. Le traceur ne fait que coudre des traces publiques entre elles, il ne fabrique pas les chemins. Voilà pourquoi je diffuse mes traces en open source.
- Quand j’ai commencé à diviser le tarif de certaines épreuves de bikepacking par leur nombre de kilomètres, j’ai découvert que souvent elles dépassent les 0,20 €/km, voire les 0,50 €/km, sans que cela ne soit en rien justifié (aucune de ces épreuves n’offre réellement plus de services qu’un 727, et souvent bien moins). Il y a donc une dérive tarifaire inexplicable sinon par un désir des organisateurs de gagner un peu d’argent. Je n’ai rien contre ce désir, sauf quand il met en danger le tissu des chemins comme bien commun. Que les épreuves sur route soient hors de prix ne me gêne en rien puisqu’elles se jouent sur des routes publiques et qu’aucun propriétaire ne sera tenté d’en réduire l’accès (après, payer pour rouler sur une route plus cher que sur une autoroute, j’ai du mal à comprendre la logique, mais libre à chacun de payer ou non).
- J’ai donc fixé arbitrairement un tarif selon moi acceptable de 0,05 €/km pour un 727, tarif qui inclut hébergement, petit déjeuner, apéro, tracking semi-temps réel. Comme le bilan le montre, cette tarification est plus que suffisante pour s’y retrouver quand on est dans une logique associative.
- En France, il est quasi impossible d’organiser des épreuves longue distance chronométrées, car il faut en plus des autorisations préfectorales et municipales disposer des autorisations de tous les propriétaires chez qui la trace passe. Un travail déjà titanesque quand un club comme l’ECP organise une boucle locale. Les solutions de tracking comme Trackleaders, bien que tolérées, contreviennent donc à la législation. Leur usage explique souvent en partie le coût élevé de certaines épreuves. Voilà pourquoi à l’occasion du 727 j’ai créé Geogram, une solution gratuite de partage et de documentation d’aventures en semi-temps réel. Si d’autres organisateur adoptent Geogram, ils pourront grandement réduire les tarifs de leurs épreuves.
- Dans ma logique d’écologiser le vélo, j’ai renoncé aux goodies. Si les participants veulent des souvenirs, ils peuvent photographier, filmer, raconter. Les images et les textes me paraissent plus durables que les casquettes, t-shirts ou autres maillots estampillés 727. Les goodies sont superfétatoires, d’autant plus qu’une des règles du bikepacking est « leave no trace », un concept à généraliser.
- Le 727 étant une épreuve à visée non lucrative, je n’ai pas investi pour sa promotion. Ainsi pas d’équipe média pour suivre l’évènement. Aux participants, de documenter eux-mêmes si tel est leur plaisir. Patrick Lamarre ou moi avons ainsi réalisé plusieurs vidéos sur le 727 et le i727. Vouloir promouvoir l’évènement a pour seul but d’augmenter sa popularité à fin d’en augmenter la tarification l’année suivante. C’est une stratégie du tout en avant.
- Le 727 n’est pas un brevet. Ainsi pas de point de contrôle avec présence humaine. Ce qui est une contrainte gigantesque, tout cela pour mettre un coup de tampon sur un carnet. À mettre en place des points de contrôle, autant les virtualiser avec Geogram, par exemple.
- En tant qu’organisateur, je veux pouvoir participer aux évènements que j’organise, ce qui implique d’alléger au maximum l’organisation et de tendre vers le minimalisme.
Pour résumer : le prix d’une épreuve ne dit rien de sa qualité (mais il dit beaucoup de l’esprit dans lequel elle est organisée).
PS : Le code du sport impose une assurance : « Les associations, les sociétés et les fédérations sportives souscrivent pour l’exercice de leur activité des garanties d’assurance couvrant leur responsabilité civile, celle de leurs préposés salariés ou bénévoles et celle des pratiquants du sport. Les licenciés et les pratiquants sont considérés comme des tiers entre eux. » Mais des copains qui organisent une sortie entre eux forment-ils une association ? Ce n’est pas clair pour moi qui suis tout sauf juriste. On parle d’association de malfaiteurs alors qu’aucun contrat légal de les lient. Alors des cyclistes qui roulent ensemble formeraient dès lors une association. Mais est-ce une association pour le code du sport ? Encore une fois, je ne le pense pas, à la lecture du dit code. Cela implique que nous pouvons organiser des sorties entre connaissances, même lointaines, sans souscrire d’assurance du moment qu’il n’existe aucun contrat pour nous relier (et donc aucun paiement). J’aimerais qu’un juriste nous éclaire à ce sujet.