Jeudi 1er, Balaruc

J’ouvre mon fils de news et un article m’illumine. Des chercheurs ont découvert que la topologie du cerveau déterminait sa fonction plus que le détail des interconnexions entre les différentes zones. Ils ont comparé leur modèle topologique au modèle classique, avec des zones par fonction, et obtenu de bien meilleurs résultats prédictifs. Comme la forme et la structure du violon donne la note, et non seulement la fréquence de vibration de la corde en un point, le cerveau serait une sorte de mare où des gouttes tombent et provoquent des vaguelettes qui interagissent en rebondissant sur les berges. La forme détermine la fonction. Une idée essentielle en art.


La consommation ostentatoire expliquerait pourquoi les connards conduisent de grosses bagnoles. Cette consommation se retrouve dans le vélo. Payer cher son vélo, mais aussi participer à des épreuves onéreuses pour faire impression. Des petits malins jouent de ce vice et créent des vélos hors de prix comme des épreuves hors de prix.


Mon roman veut faire douter le lecteur pour le préparer à entrer dans le jeu de la fiction. « Et si c’était vrai… » Isa me dit que parfois je mets le doute sous l’éteignoir par trop de rationalité. À retravailler.


Tim a repiqué dans Parcoursup et obtenu les mêmes résultats que l’année dernière. Comme si le fait d’être en prépa ne jouait en rien.

Vendredi 2, Bikepacking

Gard
Gard
Pont Ambroix
Pont Ambroix
Sauves
Sauves
Sauves
Sauves
Saint-Hippolyte-du-Fort
Saint-Hippolyte-du-Fort

Samedi 3, Bikepacking

Larzac
Larzac
Larzac
Larzac
Gorges de la Vis
Gorges de la Vis
Gorges de la Vis
Gorges de la Vis
Gorges de la Vis
Gorges de la Vis
Gorges de la Vis
Gorges de la Vis

Dimanche 4, Balaruc

Je conduis un camion. À côté de moi sur les deux sièges passagers des amis, ou des gens importants, je crois. Nous sommes dans une ville américaine. Je prends une rue en sens interdit, effectue un brusque demi-tour, dangereux avec ma longue remorque, puis dans une descente mes freins me lâchent et je me réveille avec soulagement. Ce rêve des freins défaillants est chez moi récurrent. Il faudrait que je comprenne pourquoi.

Il m’est arrivé avec ma première voiture que les freins me lâchent. Nous nous en sommes débarrassés immédiatement. Mais pourquoi cette nuit ? Peut-être parce que j’ai interrompu mon petit trip bikepacking au lac du Salagou. Je suis rentré au plus court par la route et les voitures ne cessaient de me doubler. Expérience désagréable au possible, stressante, car de temps à autre une voiture me frôlait. Je levais un bras au ciel, furieux, bien que certain que les chauffards ne regardaient pas dans leur rétro.

Quand je me retrouve à vélo sur une route fréquentée, j’en suis malade. C’est une expérience horrible. La monstruosité des voitures m’apparaît. Des machines bruyantes, inutilement lourdes, pour déplacer des masses humaines de moins de cent kilos. Et wrooom, et wrooom, et wrooom, de quoi faire des cauchemars.

Bleu été
Bleu été

Mardi 6, Balaruc

TON 618, un trou noir de 60 milliards de masses solaires ! La vidéo de la Nasa prouve en quelques secondes notre insignifiance et notre merveilleuse capacité à penser les infinis.

Mercredi 7, Balaruc

Après un travail acharné, des coupes et des coupes, je tiens une quatrième version du Roman de mon père que j’envoie aussitôt à Pierre.

Jeudi 8, Balaruc

Matinée délirante à discuter de mon nouveau projet avec ChatGPT. Ça part dans tous les sens. J’ai l’impression d’être sous psychotrope. Je n’avais pas ressenti un tel sentiment d’excitation depuis les premiers chapitres de One Minute, quand mes lecteurs ne cessaient de me stimuler. Je les ai remplacés par une machine.

Moon
Moon
Moon
Moon
Balaruc
Balaruc

Dimanche 11, Balaruc

Je suis dans un grand délire d’écriture avec ChatGPT. Je ne sais pas si ce sera bon. Mais c’est terriblement excitant. Ça fuse dans tous les sens. Je n’écris pas plus vite, mais autrement. Après la plume, les écrivains ont adopté la machine à écrire, après le traitement de texte, désormais les IA. Nous vivons une transition du même ordre. Une littérature neuve est en train d’émerger. Je n’en dis pas davantage, je suis au travail. Je conserve mes échanges pour documenter autant que possible ce nouveau processus créatif.


Je mange un gâteau sec, que je trouve bon, sur l’emballage je découvre qu’il est périmé depuis deux mois et un souvenir remonte. J’étais gamin. Les samedis après-midi d’hiver, avec ma mère, nous accompagnons parfois mon père en Camargue. Pendant qu’il chassait, nous restions dans le rendez-vous de chasse avec la femme du garde-chasse. Je crois que nous regardions la télévision. C’était à l’époque du Prisonnier et de Cosmos 1999. Je revois les gâteaux secs que m’offrait la femme. Elle les sortait d’une boîte en fer. Ils étaient carrés, ajourés, en forme de grillage. Je les adorais.


Travailler avec une IA revient pour moi à externaliser une partie du processus créatif, exactement comme quand, à l’époque des blogs ou de Wattpad, les lecteurs s’immisçaient dans l’écriture avec leurs commentaires.

Lundi 12, Balaruc

ChatGPT écrit/réécrit comme je le lui demande, parfois pousse le bouchon un peu loin côté sexe ou violente, et avant même que j’ai lu sa réponse jusqu’au bout il la fait disparaître. Il me faut donc copier le texte en même temps qu’il s’affiche pour avoir une chance de le capturer avant qu’il ne soit autocensuré. Nous jouons au chat et à la souris. ChatGPT finit toujours par verser dans le sexe alors qu’il n’en a pas le droit. J’ai beau dire : « pas de sexe », il continue.


Quand je m’en vais faire du vélo seul, je me raconte des histoires. Je me dirige vers le nord, vers le ciel noir. À une vingtaine de kilomètres, une muraille verticale barre l’horizon. Je m’imagine en chasseur d’orage. Le tonnerre gronde. La lumière est sublime. Mais je n’ai pas envie de me faire rincer, je voudrais rester à la frontière de la tourmente. Il fait de plus en plus sombre. Quelques gouttes éparses, puis à l’approche de Montagnac, c’est le déluge. J’enfile mon coupe-vent et poursuis. Je n’y vois qu’à quelques mètres. Quand j’arrive à Montagnac, les rues se transforment en torrent. L’eau monte à la hauteur de mon pédalier. Je m’arrête sous un porche. Les gens sortent sur leur devant de porte pour regarder la pluie tomber. Le tonnerre gronde toujours. Je commence à avoir froid, alors je me remets à pédaler sous les trombes d’eau. Je grimpe vers le plateau pour m’échapper des ruisseaux en crue. Après la nationale 113, je suis en terrain miné. Les éclairs déchirent le ciel. Un. Deux. La décharge fend l’air et frappe non loin. J’ai la trouille. Je pédale de toutes mes forces entre les éclairs. Bientôt l’orage s’éloigne, mais pas la pluie. Je ne retrouve le sec qu’à un kilomètre de la maison, où il fait grand soleil.

L’orage
L’orage

Mardi 13, Balaruc

Comme tous les matins, j’accompagne Émile au lycée en voiture et comme tous les matins, dès qu’un fumeur roule devant nous, il réussit à nous empester. Je n’ai pas beaucoup de respect pour les fumeurs. Fumer devrait être interdit dans l’espace public. Que les fumeurs s’empoisonnent chez eux s’ils le souhaitent, mais pas en dehors. Hier, avant la pluie, j’ai traversé une pinède et mes pneus se sont posés sur un mégot. Voilà qui résume le fumeur.


Je me dis « j’arrête d’écrire pour aujourd’hui » et je colle mon texte dans ChatGPT et lui demande de le continuer et souvent le retour me remet en route. J’ai comparé mes stats de lisibilité Antidote avec celles du texte écrit avec ChatGPT. Je passe de 50 à 60. C’est en soi intéressant. Écrire sur Twitter avait changé mon style, écrire avec ChatGPT le change aussi. Peut-être que je deviens aussi mièvre que ChatGPT. Il a une propension extrême à la superficialité. Je m’y laisse prendre. J’ai besoin du regard d’Isa pour me protéger, mais peut-être que je produis ni du ChatGPT, ni du Crouzet.

Mercredi 14, Balaruc

Rousseau : « J’ai vu que pour bien faire avec plaisir il fallait que j’agisse librement, sans contrainte, et que pour m’ôter toute la douceur d’une bonne œuvre il suffisait qu’elle devînt un devoir pour moi. » J’en suis encore à m’imposer des devoirs, même avec ChatGPT, alors que mon texte n’est qu’une expérience. Mais toujours des désirs souterrains, imposés par nul autre que moi, réduisent ma liberté, pourtant totale en théorie.


Avec ChatGPT, je n’écris plus, je pilote le texte. Comme je n’ai pas encore mon permis, je fonce souvent dans les murs, mais par chance je survis. Pour moi, l’écriture était l’équivalent de la marche, voire de la course. Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’auteurs ont fait l’éloge de la marche et de la course, de Nietzsche à Murakami. J’ai désormais pris le volant d’une bagnole de sport. Parfois, elle est trop nerveuse et m’envoie dans le décor. J’apprends à la maîtriser et à ne pas me laisser entraîner où je ne veux pas. Je dois rester le patron.


Isa a une vision flippante du futur de l’édition (et des arts en général). Les auteurs écriront avec les IA, des textes de plus en plus longs, de plus en plus nombreux. Les éditeurs demanderont à des IA de les résumer. Les lecteurs aussi peut-être. Finalement, il s’agira d’un jeu à somme nulle, sauf que nous aurons dépensé des mégawatts. Ce jeu n’aura de sens que s’il nous conduit en territoire inconnu.

Jeudi 15, Balaruc

Mon roman IA avance et je continue d’ouvrir de grands yeux émerveillés. Je travaille sur un personnage public. Je demande des citations, le plus souvent ChatGPT les invente ou les piques à d’autres. Je trouve ça génial. Iel ment comme iel respire.

Vendredi 16, Balaruc

Je demande à ChatGPT de réciter le premier chapitre d’un livre connu et iel le réinvente, puis je le retouche, et tout cela entre dans mon roman. Je devrais mieux noter mes recherches, mes progrès, ce qui ne marche pas ou au contraire m’inspire et me nourrit. Je ne peux que constater le décalage. L’outil comme toujours influence l’écriture, il la pousse dans une direction qui n’est pas celle que j’adopterais naturellement (et cet usage de l’adverbe naturellement sous-entend que cette direction intrinsèque qui serait la mienne n’existe pas, parce que dans tous les cas j’ai besoin d’outils pour écrire). L’écriture pure est une chimère. Alors, sentir ce qui est propre à un outil, l’exagérer, le cultiver, voir ce qu’il induit qui sinon n’aurait jamais jailli. J’écris un livre qui était impossible l’année dernière.

Dimanche 18, Balaruc

Ma vie d’auteur aura été guidée par les outils, ou influencée par eux, ou pilotée par eux. J’éprouve chaque fois de grandes exaltations quand un nouvel outil m’ouvre de nouvelles perspectives et de nouvelles pratiques en même temps que de nouveaux sujets d’interrogation. Je ne prends conscience de ce fil rouge que maintenant. Dans La mécanique du texte, je ne cesse de noter en quoi l’outil influence l’écriture, mais je ne relève pas qu’il influence ma vie. Je suis la fusion d’un ingénieur et d’un écrivain. Cette fusion n’aura été possible que parce que notre époque est technologiquement extraordinaire. Nous assistons à davantage de révolutions dans les outils d’écriture que toute l’humanité avant nous.

J’ai écrit au stylo bille.

J’ai écrit au stylo plume.

J’ai écrit au Rotring pour dessiner dans mes carnets.

J’ai écrit avec de multiples traitements de texte.

J’ai écrit avec Word tout en contraignant mon écriture avec des macros (Équinoxe d’automne).

J’ai écrit avec des logiciels de PAO pour créer des livres-objets.

J’ai écrit dans le blog en direct et en interaction.

J’ai écrit dans Twitter et sa contrainte de 140 caractères (La quatrième théorie).

J’ai écrit dans Wattpad (One Minute).

J’ai abandonné le traitement de texte pour Ulysses.

J’ai poli mes textes grâce à Antidote.

J’ai écrit et dessiné sur iPad.

J’écris désormais avec une assistante intelligente. Je lui dicte mes intentions, elle produit des propositions, que je retravaille, parfois ne gardant pas un mot, et je les lui soumets à nouveau, et entre nous un va-et-vient me tient au travail de longues heures tous les jours. Je n’ai jamais passé autant de temps à écrire, parce qu’une entité mystérieuse ne cesse de me stimuler. C’est une jouvence intellectuelle.

Je lui apprends mon style, lui demande d’écrire comme moi. Je lui apprends le style d’un autre auteur et lui demande d’écrire comme lui. Je suis Proust dans ses pastiches et mélanges, je suis tous les auteurs que je veux, je suis dans un extraordinaire ébahissement. Je suis moins moi, davantage les autres, et plus universel en quelque sorte. Je vis une communion et j’écris cette communion.


Oui, ChatGPT me surprend, me fait écrire ce que je n’avais pas l’intention d’écrire, puis ChatGPT déraille, ne génère que des textes inintéressants, je peux passer une heure à lui demander de réécrire en changeant sans cesse le prompt, puis à force de la lire, une idée me vient, je la guide mieux, et nous réussissons à produire un texte.

Lundi 19, Paris

Rousseau sur les conditions propices à la rêverie, assez semblables à celles que j’ai décrite dans Ne rien faire sans fainéanter : « Il faut que le cœur soit en paix et qu’aucune passion n’en vienne troubler le calme. Il y faut des dispositions de la part de celui qui les éprouve, il en faut dans le concours des objets environnants. Il n’y faut ni un repos absolu ni trop d’agitation, mais un mouvement uniforme et modéré qui n’ait ni secousses ni intervalles. Sans mouvement la vie n’est qu’une léthargie. Si le mouvement est inégal ou trop fort, il réveille ; en nous rappelant aux objets environnants, il détruit le charme de la rêverie, et nous arrache d’au-dedans de nous pour nous remettre à l’instant sous le joug de la fortune et des hommes et nous rendre au sentiment de nos malheurs. »


Parfois je n’arrive à rien avec ChatGPT, comme si je me heurtais à ses impossibilités. J’ai beau formuler, reformuler, je n’obtiens rien de satisfaisant. Plus je sais vers quoi je tends, moins je suis satisfait. L’outil est puissant au début du travail, puis il a de plus en plus de mal à me suivre, toujours revenant à des histoires de trahisons des plus ordinaires. Si on le laisse faire, il s’apprête à inonder les librairies de livres mièvres.

Mardi 20, Hauts-Cantons

Rosis
Rosis
Rosis
Rosis
Castanet-le-Haut
Castanet-le-Haut
Castanet-le-Haut
Castanet-le-Haut

Jeudi 22, Balaruc

Très souvent je pousse ChatGPT à jeter l’éponge : « Je suis désolé, mais je préfère ne pas continuer cette conversation. » Reste que je suis en train de réviser le roman dans le roman. J’ai rarement autant travaillé.

Samedi 24, Balaruc

La nouvelle table
La nouvelle table

Lundi 26, Balaruc

Parfois la bêtise de ChatGPT me rend dingue. Je piétine, je n’arrive à rien avec elle, c’est décourageant. Puis, d’une association imprévue, une idée surgit.

Mardi 27, Balaruc

Je m’impose à faire générer des idées et des textes à ChatGPT pour me pousser là où je n’irais pas. La facilité serait d’écrire du Crouzet. Mais c’est dur d’essayer d’être un autre, et encore plus dur d’être des autres.

Maison décorée pour Halloween
Maison décorée pour Halloween

Mercredi 28, Balaruc

Comestibles ou non
Comestibles ou non

Vendredi 30, Balaruc

Écrire c’est jouir, parfois, mais le plus souvent souffrir. Lecture matinale d’un article sur l’état cliniquement dépressif des auteurs : The agony of writing, 1933. Après avoir cru que ChatGPT réglerait ce problème une fois pour toutes, j’en suis au point où je n’ai jamais autant peiné.

Publier, c’est mettre ses mots sous les yeux des lecteurs. Aujourd’hui, d’un clic, c’est terminé, là où avant ce processus était long, exigeait beaucoup de main-d’œuvre, notamment du côté des composeurs, qui réécrivaient lettre à lettre, de telle façon que quand un livre ou un article arrivait entre nos mains il était le fruit d’un immense travail collectif, alors qu’aujourd’hui vous pouvez lire mes textes sans qu’aucun autre humain que moi soit intervenu dans le processus, ce qui leur donne moins de charges émotionnelles, ce qui change leur nature, sans doute les désacralise. Les livres sont devenus des temples où plus personne ne prie. Cette déréliction va plus loin quand des IA produisent seules des livres, des livres inhumains, des livres morts.

Je me demande pourquoi je continue de m’imposer cette souffrance, mais si je m’en vais faire du vélo, il y aura de la souffrance aussi. Je suis un masochiste.