Lundi 1er, Balaruc
J’imagine l’effet dévastateur des IA sur les jeunes informaticiens, l’amplification mentale doit être gigantesque chez eux, ce qui ne peut qu’entraîner une explosion de créativité. En même temps, la bêtise n’a jamais été aussi répandue sur les réseaux sociaux, mais surtout chez les autocrates qui refusent la complexification du monde et tentent de le contrôler avec la seule arme qui leur reste : la terreur. La guerre israélienne à Gaza n’est qu’un énième exemple. L’incapacité de gérer le terrorisme, un épiphénomène épouvantable, conduit à la destruction d’une région et la persécution de 3 millions de Palestiniens. Comme toujours le sublime et le dramatique se côtoient…
Mardi 2, Balaruc
Mercredi 3, Balaruc
Maestro, un biopic sur Leonard Bernstein, où il est question d’histoires de cul mais pas de musique. Les cinéastes ont peur d’ennuyer, les artistes ont peur d’ennuyer, même Lilas a peur que j’ennuie avec Le Code Houellebecq, mais je m’en contre-fiche d’ennuyer, je fais ce qui compte pour moi. Et ce n’est pas nécessairement divertissant. Il y a une réflexion à mener sur l’usage des IA, et notamment en littérature, et je la mène, sinon à quoi bon vivre dans mon siècle.
Samedi 6, Balaruc
Je suis malade, gravement contaminé : je quoique. Il m’arrive de dire « quoi » trois fois par minute. Je termine mes phrases par « quoi ». Aucune idée de qui m’a contaminé. Isa me compte mes « quoi » pour que j’en prenne conscience. Mais voilà qu’elle aussi quoique.
Dimanche 7, Balaruc
Dès qu’Isa me surprend à quoiquer, j’écris un « quoi ». Huit durant le repas de midi.
Il est temps de replonger dans l’écriture. Bien décidé à me débarrasser du Code Houellebecq. Je commence à le relire, quand je prends conscience que la partie journal doit être au présent. Une évidence.
Lundi 8, Balaruc
Douze heures non-stop pour basculer le journal au présent. Tout devient plus naturel, plus léger, comme si cette forme était latente depuis le début. Un bon exercice à généraliser : s’il est possible de changer la temporalité d’un texte sans difficulté, c’est qu’elle n’avait aucune nécessité.
Mardi 9, Balaruc
Premier mail à un éditeur. Me répond tout de suite et j’envoie le manuscrit. Ce n’est pas une soumission anonyme, puisque nous nous connaissons, mais tout de même, on en est pas loin, en plus avec un éditeur à qui j’ai envoyé beaucoup de manuscrits quand j’étais jeune. Impression ne revenir désagréablement à la case départ, comme si le travail effectué depuis des années n’avait servi à rien. Après tout, nous finissons tous par mourir. C’est comme si on me disait « Tu es déjà mort. »
Vendredi 12, Balaruc
Publier un roman est sans grande conséquence personnelle dans 99,9 % des cas. Deux ou trois petits évènements au mieux, puis plus rien, et l’auteur s’évertue à forwarder des chroniques débiles postées sur Facebook ou Instagram. Chaque murmure est pour lui un soulagement. Tu parles d’une récompense pour des mois d’efforts. Alors pourquoi me préoccuper de publication ?
Peut-être parce que j’ai le sentiment que Le Code Houellebecq a quelque chose à dire. Je veux le publier pour quelques lecteurs. L’argent ? Il serait miraculeux qu’un éditeur me propose un à-valoir pour ce texte. La vie d’auteur ? Elle est bien triste, le plus souvent, à perdre son temps dans les salons. Des rencontres ? Oui, peut-être. Mais la seule vraie raison c’est poursuivre le travail sur le texte jusqu’au bout. Si je ne m’étais pas mis en tête de publier Le Code Houellebecq, je n’aurais pas travaillé avec Lilas, elle ne m’aurait pas suggéré d’envisager une autre forme et j’aurais arrêté le questionnement avant d’envisager toutes les possibilités. Publier un texte, c’est le mener au bout, avec toujours le risque de le dégrader.
Samedi 13, Balaruc
Vieillir, ce n’est pas tant dans la tête que dans le regard des autres. Être auteur aujourd’hui, c’est presque avant tout être instagramable. Il faudrait que je joue de ma chevelure hirsute, que je me mette en scène, que je renforce ma maturité pour la rendre monnayable.
Je suis dans le trou d’après Le Code Houellebecq, avec ce sentiment que la suite ne dépend plus de moi, que plus rien ne dépend de moi. Je devrais écrire la troisième partie, qui s’impose, au lieu de me préoccuper du monde autour de moi. Je ne suis pas assez fou pour m’oublier dans le solipsisme.
Dimanche 14, Balaruc
Je lis La grande peur dans la montagne de Ramuz, qui réveille des puissances anciennes et sombres, à l’opposé de la lumière que j’aime invoquer. Un texte d’une force souterraine, qui impose sa musique dès les premières lignes. Trop peut-être, parce qu’après je n’entends plus que la musique, et suis obligé de poser le livre pour qu’elle ne m’étourdisse pas. Ça me change du cycle d’Hypérion de Dan Simmons, magnifiquement inventif, mais stylistiquement sans la moindre saveur, parfois même déprimant de platitude, avec des descriptions mécaniques dont je cherche à me débarrasser au plus vite en lisant en diagonale. Je reste admiratif de ces auteurs capables de remplir d’épais volumes de bien peu d’art, et je repense au lecteur que j’étais dans ma jeunesse, friand de ces aventures, dont aujourd’hui je me contente de picorer les architectures au plus profond de mes insomnies.
Comme la plupart des romans de SF, Hypérion a mal vieilli. On y couche les bébés sur le ventre, on y a des persoc avec des disques, ce qui frise l’absurdité dans un univers cyberpunk où la cybersphère imprègne les mondes, on y écrit encore sur du papier… Je note à tout bout de champ des anachronismes alors que seulement 30 ans ont passé depuis la publication du premier tome de la saga qui reste néanmoins visionnaire quant aux risques liés aux IA. Écrire de la SF et des essais, c’est dangereux au regard de la postérité.
Volodine cité par Sébastien Bailly : « Depuis toujours je suis conscient de la vanité de tout discours. Et je suis convaincu, par expérience, que ce que je formule avec difficulté est interprété de travers par mon interlocuteur. Quel que soit mon interlocuteur, femme ou homme, ami ou ennemi, indifférent ou non. Et, très vite, j’ai honte d’avoir pris la parole. Prendre la parole est une erreur, la plupart du temps c’est un geste de survie pitoyable. Une tentative misérable de faire exister au-dehors un petit quelque chose qu’on a en soi. On expose ça devant les autres, on se trahit, on se dénude, on est bêtement désarmé, c’est obscène et c’est raté. »
Paradoxe : Sébastien publie ce texte sur Facebook où lui-même et nous autres ne cessons de prendre la parole. J’essaie d’être toujours plus discret sur les réseaux, et je regarde les autres s’y exprimer avec fascination. Chez moi, sur mon blog, c’est autre chose. Je m’y sens en présence d’amis.
J’ai créé un GPT de correction qui m’est très utile, mais personne ou presque ne l’utilise alors que d’autres GPT, guère intéressants, ont déjà plus de 100K utilisateurs. Encore une fois, le marketing compte davantage que la qualité du service proposé. Comme j’ai quitté Twitter, laissé en sommeil mon Instagram et végète sur Mastodon, je n’ai plus la moindre force de frappe médiatique. Je me suis éteint dans le monde d’aujourd’hui.
J’ai envoyé en fin de semaine deux mails supplémentaires à des éditeurs, censés me connaître. Pas de réponse. Pourquoi me publierait-il ? Il leur suffit de regarder leurs métrix pour constater que je n’ai aucune valeur marchande.
Vidéo de François Bon sur une édition sans avenir. Émouvante, qui pose des questions essentielles. Comme je le disais hier ou avant-hier, pour moi une seule raison de continuer à fréquenter les éditeurs, dans l’espoir de pousser plus loin un texte, à condition qu’un dialogue s’engage. Autopublier n’est qu’une façon de me débarrasser d’un texte. C’est un constat d’échec.
Lundi 15, Balaruc
Quand l’impuissance me saisit dans le ventre, quand tout se concentre dans mes entrailles, quand mon cerveau se paralyse. Je déteste. Je repense à mes moments d’effervescence, me dit qu’ils sont derrière moi, puis me souviens d’ébullitions récentes. Juste détestable de ne pas être excité. En attendant, me regarder le nombril, m’affronter moi-même, parce qu’il faut en passer par là, pour être sûr de ce que je ne veux pas être, quant à ce que je veux être, je ne le sais toujours pas.
Mercredi 17, Balaruc
Sept éditeurs contactés, un seul qui m’a demandé le manuscrit du Code Houellebecq. Deux hypothèses : ils me considèrent comme un has been, soit le sujet leur pose un gros problème, et tout ce qu’ils souhaitent c’est qu’un autre prenne le risque à leur place. Pierre me dit que pour lancer ce bouquin, il faut une grosse maison, et ne pas craindre les conséquences. Ou il faut être un nouvel éditeur, sans rien à perdre, et ne pas avoir peur de taper du poing sur la table.
Jeudi 18, Balaruc
Vendredi 19, Balaruc
Pendant que j’ai du mal à attirer l’attention des éditeurs francophones, le Goncourt japonais a été attribué à un roman écrit avec IA sur les IA sans que personne là-bas ne s’en offusque, au contraire. Soit je suis nul comme commercial (pas encore question de dire que le manuscrit est nul, on n’en est malheureusement pas là), soit je vis dans un pays définitivement technophobe.
De petits bonheurs, heureusement. Un copain cycliste se démène pour me connecter à un éditeur qu’il apprécie. De son côté, Henri Lœvenbruck transmet le texte à XO. Il m’a connu en jouant L’Affaire Deluze.
J’ai peu d’abonnés sur Mastodon, mais les échanges y sont plus profonds et intéressants. Le nombre n’a jamais été un critère de qualité.
Déferlement de mépris contre le prix littéraire japonais. Je nous savais arriérés en France, mais pas à ce point. On en revient à la levée de boucliers des peintres contre la photographie. Rien n’a changé. Moi qui croyais que notre rôle d’artiste était de tout essayer, de ne rien refuser. Flaubert choquait les bonnes mœurs, les auteurs qui utilisent ouvertement les IA sont aussi indécents aux yeux des lecteurs et des critiques prétendument éclairés. Le xxe siècle s’est joué dans la radicalité, le xxie semble se destiner à la mièvrerie conservatrice. On est encore à croire que les gauchistes sont des révolutionnaires ou que la psychanalyse est une science. Les IA démontreront bientôt à ce petit monde qu’elles sont très habiles pour les mièvreries.
Je regarde le premier épisode de Squeezie (visuellement sans intérêt, narrativement barbant, malgré tout intéressant comme toute histoire qui montre une vocation se développer — Squeezie ne cesse de quoiquer : je serais victime d’une pandémie). J’ai vécu de loin l’ascension de Squeezie (il a neuf et onze ans de plus que mes fils). Dans le reportage, on dirait que dans les années 2010 internet était neuf et dingue, alors que tout était en place, même YouTube. De mon côté (vieux con), j’avais terminé ma critique et constaté l’irrémédiable centralisation du web, à laquelle les youtubers érigés en stars participaient déjà, donnant l’illusion trompeuse que tout le monde pouvait les imiter. Un média bottom up était redevenu top down. Ses héros étaient des collabos de l’impérialisme numérique, prônant la course à l’audience et au quantitatif. Rien n’avait changé avec internet. Pour vendre, il fallait fabriquer de nouvelles icônes. Nous en restions collectivement attachés aux mêmes chimères.
Samedi 20, Balaruc
Retour du mal au dos. Voilà dans quel état me met Le Code Houellebecq.
Dimanche 21, Balaruc
Je vois passer un article au titre amusant : Pouquoi la plupart des startups échouent. Je ne clique même pas pour lire tant j’imagine qu’il est question de mauvaises stratégies, de défaut d’investissement, de mauvaises idées… alors que la réalité est plus banale : toutes les startups ne peuvent pas réussir parce qu’il n’y a pas de place pour toutes. Voilà pourquoi il y a un Squeezie, puis quelques suivants, puis d’autres plus nombreux, leurs audiences probablement distribuées selon une power law. Enlevons Squeezie, un autre prendra sa place. Il sera sans doute aussi un bosseur, il aura su saisir sa place, mais pour le moment il n’est pas à la place de Squeezie, non parce qu’il manque de talent ou d’énergie mais parce qu’il n’y a de la place que pour un champion dans un système réticulaire.
Comme un jour une chose est apparue, un autre jour elle disparaîtra. Je suis incapable de voir le monde autrement. Tel livre que nous admirons disparaîtra. Alors pourquoi attacher autant d’importance à ce qui pourrait perdurer de moi-même ? Une déficience de la raison.
Squeezie, épisode 2. Sidérant. Les youtubers français sous-entendent qu’ils ont fait YouTube, oubliant que le même phénomène se répétait partout dans le monde, avec Google aux manettes, utilisant la stratégie marketing de l’influenceur bien plus efficace que l’achat de publicité (parce que Google n’a jamais payé en premier lieu les youtubers). Alors une fois eux-mêmes devenus populaires, ils ont commencé à se faire payer par les annonceurs à travers Google (comme nous jadis avec les sites Web). Pour mémoire, le 1er janvier 2015, je commençais la publication quotidienne de One Minute, avec comme héroïne Sara Cash, la youtubeuse aux milliards de vues, qui écrasait tous les networks. Pour les observateurs d’internet, la messe était déjà dite depuis longtemps. OK, les gens de la TV ne pigeaient rien, mais ça, ce n’était pas nouveau. La culture populaire a souvent un train de retard.
Squeezie, en mai 2023, déclare en gros : « Imagine que j’ai 45 ans et qu’une nouveauté radicale arrive, je sais pas comment je réagis, peut-être aussi connement que les mecs de la TV. » La nouveauté était justement en train de nous tomber sur la tête avec ChatGPT. Une truc tellement plus énorme que YouTube, que le monde ne faisait encore que frémir.
Squeezie, épisode 3, le passage adulte, mieux senti, intéressante analyse du succès, la relation toxique aux fans. Mais bordel, ça quoique dans tous les sens. Je n’ai pas choppé la maladie sur YouTube francophone, où je ne vais presque jamais. C’est YouTube qui a contaminé la France entière, ou quoi ?
Lundi 22, Balaruc
Discussion matinale sur Squeezie avec Émile, durant laquelle je comprends le problème de perspective de leur génération : pour eux, YouTube, c’est internet, ils oublient ou passent sous silence que YouTube est un service privé d’une entreprise privée. Dans le reportage, les jeunes youtubers français donnent l’impression qu’ils inventent YouTube alors que Google les utilise pour imposer YouTube. Ils sont devenus les représentants d’une marque, sans trop en être conscients. J’ai décrit ce phénomène en introduction du Peuple des Connecteurs, publié en 2006.
Les youtubers revivent à la fin des années 2010 ce que nous avons vécu dix ans plus tôt avec les blogs, à cela de différent que nous étions souvent plus âgés, plus instruits, plus cultivés, avec plus d’expériences critiques. Nos blogs ne se cantonnaient pas à une plateforme, mais ont créé une blogosphère en grande partie indépendante, que Google s’est évertué à détruire en pénalisant les liens transversaux entre les sites.
La génération des stars de YouTube a prospéré sur les décombres d’une utopie née à la fin des années 1990, taillée en pièce par la nécessité de maximiser les revenus de quelques-uns, et ramener internet au vieux modèle top down de la télévision, même télévision qui a tiré à boulets rouges sur les youtubers parce qu’ils la concurrençaient directement. Il fallait que la diversité réticulaire meure pour que naisse le star système de YouTube.
Par curiosité, je regarde le début d’une des dernières vidéos de Squeezie. Me suis-je trompé ? J’ai l’impression d’être devant une émission ringarde de pseudo TV réalité, sans doute divertissante, à coup sûr pas pour moi, mais tout ça pour ça ? Je ne suis pas renversé par l’incompréhension, par un gap générationnel, plutôt par le sentiment d’avoir assisté à la chose déjà trop de fois pour avoir envie de recommencer. Plus amusant de regarder une partie de jeu vidéo. Au moins, il y a du neuf dans cette affaire. C’est plus intéressant que réinventer la TV et nous servir des plats réchauffés.
Mistral. L’IA open source française bien qu’ultra léger rivalise en performances avec les modèles monstrueusement lourds et coûteux d’Open AI, Claude, Google… Cette légèreté dit que les IA vont entrer dans tous les produits, imprégner toutes les parcelles de l’univers numérique. Elle laisse surtout entrevoir que nous sommes à la veille de l’émergence des IAG, quand ces petites IA optimisées seront déployées à plus large échelle.
J’accompagne Isa pour une visite médicale à l’hôpital. Un gars arrive sur un brancard, il hurle, veut frapper le brancardier. Terrible de voir la détresse absolue doublée de la souffrance évidente. Il faut être à l’hôpital pour nous retrouver tous à égalité, quoique moi sur mon ordi, Isa plongée dans un bouquin, les autres à regarder le plafond sans aucune diversion pour leurs angoisses.
Entre moi et mes parents, la rupture générationnelle était flagrante. Ils avaient raté la révolution rock pourtant de leur génération et moi je déboulais avec ordinateurs, jeux vidéo, jeux de rôle, science-fiction, punk, des trucs qui leur étaient totalement étrangers. Mais je n’ai jamais ressenti d’incompréhension face aux passions de mes enfants, ni musicalement, encore moins numériquement. Je n’ai juste pas compris pourquoi ils étaient restés coincés sur Overwatch, que je trouve assez répétitif (même si socialement intéressant). J’attends avec impatience le jour où ils me parleront d’un truc qui me dépassera, où je me sentirais totalement largué (peut-être suis-je trop bouché pour les entendre).
J’ai rêvé d’un monde symétrique, et il n’a jamais été autant asymétrique. Il suffit d’observer la structure des réseaux sociaux. Les comptes très suivis ne suivent en retour que quelques comptes, souvent de même standing que le leur. C’est entre autres ce qui m’a fait fuir Twitter, mais on retrouve le même phénomène partout, même sur Mastodon pourtant plus confidentiel.
Un réseau devait imposer un rapport maximal entre followers/following. Il devrait également imposer une forme de réciprocité. Si tu suis des gens et ne les lis pas, ça ne sert à rien. Un réseau ne devrait que maintenir les relations vivantes. Mais un tel service est devenu impossible avec les IA capables de simuler des conversations (et encore plus impossible puisqu’il ne créerait pas de stars, et donc ne génèrerait ni buzz ni revenus).
Sommes-nous condamnés à une structure fractale de la société, avec des stars, des sous-stars et ainsi de suite, selon une hiérarchisation maladive ? Ceux en haut de la pyramide restent persuadés qu’ils doivent leur position à leur génie propre, alors qu’ils ne font qu’occuper une place qui doit nécessairement être occupée pour maintenir l’invariance d’échelle. Je me suis placé en dehors du jeu et le regarde se répéter, non sans une forme de tristesse.
Il est possible d’entraîner les IA à partir de dataset, en gros des ensembles de questions/réponses. Je passe une bonne partie de la journée à essayer de générer un dataset automatiquement à partir d’un de mes textes, sans y réussir. Pourquoi ne pas jouer à écrire des questions et des réponses, voilà la version moderne de l’abécédaire.
Squeezie, épisode 4, le meilleur : pour l’investissement personnel, l’imaginaire, la communauté, l’amour. Du jeu de rôle grandeur nature. Je ressens l’émotion d’une génération, j’anticipe les souvenirs qui animeront son imaginaire. Ça ne change rien aux mécanismes promotionnels sous-jacents, à la déplorable publicisation du monde, mais au moins Squeezie la retourne pour en faire de la joie (et peut-être la plus perverse des stratégies marketing).
Des spectateurs viennent voir leur star s’amuser, à des jeux toujours plus délires. Dans le fond, c’est ce que sert la TV depuis des décennies. Aucune rupture, mais ça fonctionne (pour ceux qui aiment regarder des gens s’amuser et que ça amusent — perso, je préfère m’amuser que regarder les autres s’amuser). Toutefois impossible de ne pas penser à d’autres foules en délire, lors d’évènement religieux, parfois, ou dans les années soixante quand les Beatles provoquaient des attroupements monstres.
Est-ce vraiment différent avec Squeezie ? Je n’en suis pas sûr (et je crois que non). YouTube ne change pas grand-chose, et c’est tout le problème : parce qu’une technologie neuve devrait nous pousser à faire du neuf. À voir si dans soixante ans les vidéos de Squeezie seront encore regardées comme sont écoutées les chansons des Beatles (je doute).
Au moins, je vois des jeunes s’éclater, et pas seulement en se défonçant la tronche. C’est plutôt rafraîchissant. Ça me renvoie à ma génération jeu de rôle. On était dans les mêmes délires, mais dans nos têtes (et d’une certaine façon plus respectueux de l’environnement que nos youtubers avalés par un capitalisme irresponsable).
Mardi 23, Balaruc
Je réussis à fabriquer un dataset à partir de mon blog. Je tente de m’en servir pour personnaliser Mistral, mais mon Mac M1 Pro ne tient pas le choc (il me faudrait 65 Go de Ram et beaucoup plus de puissance de calcul). Je tente sur Google Colab, mais fais exploser la mémoire de l’offre gratuite. Une nouvelle fois, je me retrouve limité dans mes expériences pour cause de fric.
Dernier épisode de Squeezie, le gaming, que je vis en backstage avec mes gamins depuis des années, pas pro, mais pas loin. L’épisode le plus intéressant de la série, même si sponsoriser une équipe de jeu vidéo n’est pas une révolution (il y a partout des sponsors quand l’argent circule).
Mercredi 24, Balaruc
Je lis deux romans qui ont bien marché, captivants, propres, même si sans tonalité stylistique originale, en revanche, et de façon exactement identique, ils ne produisent aucun décalage, ils ne me bougent en rien, sur aucune dimension sensorielle ou intellectuelle. On dirait qu’ils ne veulent produire aucune vague, aucune gêne, ne surtout pas griffer la surface immaculée du monde. Je ne pourrais rien en dire, sinon que je les ai lus. Et mes textes, plus heurtés, plus méchants, plus crades, plus impertinents n’ont rien à faire dans la même étagère, la seule qui apporte quelques lecteurs. Je suis un peu perdu, à me demander une nouvelle fois à quoi bon écrire un livre de plus. Je n’ai plus envie de vivre le refus. Ça fait trop mal. Et écrire, sinon quand on est confortablement installé, implique nécessairement des refus.
Michel Dufranne compare les auto-édités à des footballeurs amateurs qui voudraient jouaient dans une équipe pro plutôt que se satisfaire de rester amateur. Mon commentaire : « Ta métaphore ne marche pas. Un match de foot, on le gagne ou on le perd (parfois, on fait un nul). Plus on gagne, plus on est bon, c’est mécanique, parce que c’est quantitatif. Dans l’art, c’est plus compliqué, à moins de classer les auteurs par leur chiffre d’affaires et de ne décider de s’intéresser qu’à ceux au-dessus d’un certain seuil. Être édité n’implique pas de gagner beaucoup d’argent, et même parfois moins qu’en auto-édition. Un livre édité a juste le mérite d’être aimé par l’éditeur, soit une personne de plus que l’auteur. C’est sans doute déjà énorme. »
Vendredi 26, Balaruc
Cloué au lit par le mal au dos. La journée de VTT de hier me coûte cher. ChatGPT devient de plus en plus lazy. Mes GPTs n’accèdent plus à leur base de connaissances. Réponse de ChatGPT lui-même : « La fonctionnalité permettant d’ajouter des fichiers dans cette interface est conçue pour offrir une flexibilité supplémentaire et pour répondre à divers besoins des utilisateurs. Cependant, il est important de noter que, bien que la fonctionnalité soit présente, ma capacité actuelle à interpréter ou à utiliser directement le contenu de ces fichiers dans mes réponses est limitée. Je m’appuie principalement sur la base de connaissances générales intégrée à ma formation pour fournir des informations et des réponses. » En gros : donne toujours tes fichiers, je n’en ai rien à foutre. Tous les utilisateurs avancés hurlent, OpenAI ne répond pas.
Samedi 27, Balaruc
Je me sens inutile, à perdre mon temps avec mes explorations littéraires. Je découvre des beautés nouvelles que je semble être le seul à goûter, au point de croire que je suis dingue, un malade mental prisonnier d’un monde illusoire. Le mal au dos ne fait qu’accentuer mon sentiment d’impuissance et d’isolement, puisque je ne peux même pas pédaler avec les copains.
Mon corps s’enroule sur lui-même, pour se protéger d’un monde extérieur peu favorable à son expression. À 60 ans, un écrivain est fini pour le marché s’il n’est pas déjà une star. Un canasson boiteux à abattre. Ma stratégie : la fuite, essayer encore de nouveaux trucs. C’est désespéré.
Revue ce soir Mulholand Drive. Plus de vingt ans après. Même gifle. Un enivrement total. Rarement image et musique m’auront autant percuté. Un pur chef-d’œuvre qui me fait du bien face à la platitude contemporaine. Pas besoin d’explication. Transfusion directe aux sens, comme un shortcut du cerveau.
Dimanche 28, Balaruc
Ils ne veulent pas de ce que je pense, écrit, rêve, vous ne voulez pas, tu ne veux pas, je continue tout de même parce qu’au plus profond de moi, malgré les doutes incessants, souvent débilitants, subsiste une certitude, une direction, un désir de vie, une curiosité inextinguible que la normalisation béate ne réussira pas à éteindre, qui au contraire jour après jour la réarme contre les mièvreries doucereuses pendant qu’ailleurs, une fois de plus la guerre résonne, nous ordonnant d’essayer autre chose, parce que tout ce qui a été essayé jusqu’à présent ne marche pas et n’a rien changé à nos malheurs collectifs.
On n’en est plus au « il faut que tout change pour que rien de change ». On en est à « il faut que rien ne change pour que rien ne s’aggrave ». Impression que mon monde, celui du texte, fait l’autruche devant l’histoire, la science, la technologie… Il raconte d’incessantes balivernes amoureuses ou criminelles, se contentant d’en changer les décors. Je préfère me planter en essayant autre chose. Je ne me respecterais plus si je me contentais d’imiter avec un travail honorablement acceptable.
Je publie encore un billet sur IA et littérature dans un silence assourdissant. D’infimes réactions chez des auteurs curieux, mais rien qui ne vient du dehors, comme si encore une fois la littérature se jouait dans une transcendance frauduleuse.
Lundi 29, Balaruc
Un lecteur me dit que mon incursion dans les IA le déboussole, le largue. Il me lance : « Reviens-nous ! » Mais mon devoir d’écrivain n’est-il pas d’explorer les nouveaux territoires quitte à m’y perdre ? Depuis ce matin, je me suis lancé dans un projet potentiellement dingue.
Mercredi 31, Balaruc
Toujours mal au dos malgré une intense rééducation. Pas grave, je suis en train de faire bouillir mon Mac avec des expériences AI délirantes.
Les escrocs de YouTube. Ils sont partout. Ils font des démos survendeuses. Ils sont très excités de nous présenter des trucs qui ne marchent que dans des cas très particuliers, et n’ont aucun intérêt dans des situations réelles. Le buzz, il n’y a plus que ça qui compte.
Bilan : j’ai proposé à dix éditeurs de lire Le Code Houellebecq, trois m’ont demandé le manuscrit, un m’a dit ne pas être intéressé. Il y a un truc que je ne comprends pas. Comment faire plus contemporain, plus ancré dans notre présent ? Ils ont droit de détester le bouquin, mais leur manque de curiosité en dit long sur la profession. Si l’affaire n’avance pas d’ici fin février, j’autopublierai le manuscrit, avec une grande frustration, un sentiment d’échec, parce que cette aventure ne sera pas allée au bout. Mais je crois qu’il est impossible d’accommoder l’édition à la vitesse des nouvelles technologies, et donc des nouvelles technologies d’écriture, et des thématiques qu’elles engendrent. Des livres écrits avec les IA sont plus acceptables qu’un roman qui interroge leur place dans la littérature et l’édition.